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1940

Au marché de Saint-Renan

 

Au marché de Saint Renan.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 21 juillet 1940

 

Sur toutes les routes et chemins conduisant à Saint-Renan, quelques autocars et autos, raréfiés par le manque d'essence, de nombreuses voitures attelées de chevaux, des cyclistes se suivaient, se rendant à l'important marché hebdomadaire.

 

N'avait-on pas dit, qu'il y a une quinzaine de jours, le beurre s'y vendait 4 à 5 francs la livre ?

Il n'en fallait pas moins pour susciter une affluence inusitée d'acheteurs de Brest et des environs au marché de Saint-Renan.

 

LES COCHONS

 

Il est bien inutile d'arriver tôt.

Le marché ne bat son plein que vers onze heures.

 

Le matin, les « déballeurs » édifient sans hâte leurs boutiques de toile, pendant qu'arrivent, sur la grand'place, les cultivateurs qui rangent leurs attelages près de l’ancienne gare dont toutes les vitres ont été brisées, détellent les chevaux et les attachent à un arbre devant une provision de trèfle.

 

Les caisses de porcelets s’alignent.

Les transactions commencent.

En breton, les prix sont âprement disputés.

Les jeunes cochons sont examinés, palpés, soupesés. 

— Combien ?

— 100 francs.

L’acheteur hausse les épaules et s’en va d'un air désabusé sans que le vendeur cherche à le retenir.

Il revient bientôt, en effet, et offre 70 francs.

Puis, par une vigoureuse tape dans la main, qui scelle la conclusion du marché, le porcelet de quelques semaines, trouve preneur à 80 ou 90 francs.

 

LES VEAUX ET LES VACHES

 

Le marché aux bestiaux se trouve tout au haut du bourg :

Peu de vaches, beaucoup de veaux.

 

Autour des premières, il n'y a pas beaucoup d'acheteurs.

Ils refusent dédaigneusement de les payer le prix demandé de 2 fr. 50 la livre et espèrent les obtenir à meilleur compte à la fin du marché.

 

Des chars à bancs, on extirpe, sans ménagements, les petits veaux, enlevés à leur mère.

On les transporte les quatre pattes solidement liées, sur la maigre litière où va se décider leur sort.

 

Les bouchers sont là.

Les cours s'établissent.

Selon la qualité de l'animal, ils varieront de 2 à 2 fr. 50 la livre.

 

— J'ai vendu 250 francs, mon veau qui pesait 126 livres, dit un cultivateur.

Je ne suis pas mécontent.

Il fallait que je m’en débarrasse, j'avais besoin de lait.

 

LES MOUTONS

 

Une vingtaine de moutons sont attachés près d'un café.

Quelques-uns, entravés des quatre pattes, souffrent en silence, n'ayant même plus le courage de bêler.

— Combien ces six-là ? demande un boucher

— Mille francs.

Le boucher hausse les épaules.

Vendeur et acheteur discutent en breton.

— 600 francs, lance le boucher.

 

Protestations du vendeur, le boucher s'éloigne.

On le rappelle et au bout d'un quart d'heure, on se met d'accord sur le prix de 800 francs après la vigoureuse tape dans la main.

 

D'une paire de ciseaux qu'il tire de sa poche, le boucher coupe, près de la queue et du col des touffes de laine.

Les six moutons sont maintenant sa propriété.

 

Après son départ, un camarade critique le vendeur :

— Il ne fallait pas les laisser à ce prix-là. C’est trop bon marché.

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Au marché de Saint Renan 01.jpg

 

LE BEURRE ET LES ŒUFS

 

Un rassemblement s'est formé autour de deux femmes qui s'agitent et d'un gendarme impassible :

— Non mais, crie une des femmes a-t-on idée de ça :

Oser demander 13 francs d'une livre de beurre et 14 francs d'une douzaine d'œufs !

C'est honteux !

Et vous permettez cela.

Venez verbaliser, M. le gendarme, pour empêcher cette hausse illicite, déplorable en ce moment.

 

— Impossible, madame, répond poliment le gendarme.

Je n'ai pas qualité pour cela.

Le producteur est libre de vendre le prix qu’il veut.

Je ne puis intervenir.

II me faudrait un arrêté de M. le préfet, taxant la marchandise…

 

— C’est bon, interrompt la femme courroucée, où est la Kommandantur que j'aille porter plainte…

 

L'offre et la demande se sont d'ailleurs chargées de rétablir les cours :

Le beurre de cuisine se vend de 8 à 9 francs, la livre.

Le beurre dit « fin ou de table », 10 à 11 fr.

Les œufs de 10 à 12 francs, la douzaine, prix jugé, d'ailleurs, beaucoup trop élevé.

 

LES DROITS DE PLACE

 

Dans chacun des marchés, des femmes munies de tickets multicolores, perçoivent les droits de place.

On paie deux sous pour vendre une livre de beurre ou une douzaine douzaine d'œufs, cinq pour un poulet.

 

Au marché aux bestiaux, il faut payer :

1 fr. 50 pour un veau, deux francs pour une vache et 2 fr. 50 pour une vache accompagnée de son veau.

 

LE LARD

 

Le lard était hier très abondant.

 

Des porteurs déchargent des voitures encombrant les rues étroites des moitiés et des quarts de porc qu’ils viennent en courant suspendre aux crocs entourant le marché couvert.

 

Une foule d'acheteurs attend le roulement de tambour qui, à 11 heures permettra de commencer la vente du lard.

Dans le brouhaha, vendeurs et acheteurs discutent.

Les premiers vantent la qualité de leur marchandise.

Les seconds, au contraire la trouvent ou trop grasse ou trop maigre.

 

Les cours varieront entre 4 et 6 francs la livre, selon la quantité, mais on craint que toute cette quantité de lard ne trouve pas preneur et bien des marchands ne soient obligés de remporter leur marchandise.

 

LA VOLAILLE

 

Alignées dans la rue qui borde le marché couvert, les marchandes de poulets, lapins et pigeons proposent les produits de leur basse-cour.

 

Les vieux coqs se vendent de 20 à 25 francs.

De plus jeunes, bien en chair, atteignent 30 francs.

Les poules, de 20 à 28 fr.

Les lapins de 30 à 35 fr.

Les pigeons, 7 fr. la pièce.

 

Les acheteurs emportent triomphalement leur volaille, par leurs pattes ficelées.

Les femmes s’effraient quand un battement d’ailes leur fait craindre que coqs ou poules tentent de s’échapper.

 

Le marché se poursuit.

Les « déballeurs » ne semblent pas vendre beaucoup de corsages, tabliers ou bas de soie.

 

Les fruiteries qui exhibent des pêches à 12 francs la livre et des melons coûteux ne les vendent guère qu’aux artilleurs cantonnant dans le village.

 

Tout le monde, en fin de compte parait satisfait de sa vente ou de ses achats, même les Brestois venus jusqu'à Saint-Renan avec le frêle espoir de payer moins cher : œufs, beurre et volaille.

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