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1940

Une aventure de mari trompé à Quimper
au temps de la Ligue

 

 

Source : La Dépêche de Brest 1 juillet 1940

 

Depuis six siècles, la Bretagne a très peu connu la guerre étrangère.

Elle a connu davantage la guerre civile : notamment au temps de la Ligue et au temps de la Révolution.

Si les haines et les vengeances particulières trouvent moyen de se satisfaire pendant les guerres étrangères, cela est bien plus vrai encore pour les guerres civiles.

Voici un épisode du temps de la Ligue qui le montre bien.

 

Il y avait à Quimper, en 1594, deux gentilshommes qui tenaient pour la Ligue :

Le premier, Coroarch, assez pauvre diable ;

le second, Kerservant, homme riche, occupait le château du Pont.

 

Bien qu'ils fussent du même parti, Coroarch portait à Kerservant une haine mortelle.

Coroarch avait épousé peu d'années auparavant une jeune héritière de Roscarnou, en Gouézec « laquelle dit le chanoine Moreau, avait été sauvée par un grand hasard du sac de Roscarnou de parmi les flammes et plus de dix mille fourches de fer ».

Mais cette jeune femme ne montra aucune reconnaissance à l’homme qui l'avait sauvée et épousée.

Elle s'éprit de Kerservant : Celui-ci étant riche.

« La trop grande fréquentation, la privauté trop familière de l’un à l’autre, donnèrent à plusieurs l’occasion d’en mal parler ».

 

Coroarch n’était pas de l’espèce des maris aveugles et satisfaits.

Il jura de se venger.

Son rival venait souvent chez lui et même y donnait des bals :

Car la guerre civile n'empêchait pas les amusements.

Une nuit, Coroarch le guetta à la sortie et lui tira un coup d arquebuse ;

mais il le manqua, bien que presque à bout portant.

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Kerservant, prudent, ne sortit plus de son château du Pont.

Bien qu'il soupçonnât l'auteur du coup porte contre lui, il n'essaya point de le saisir.

Sur ces entrefaites, la noblesse réunie au château du Pont, quitta le parti de la Ligue.

Coroarch, par haine contre Kerservant, n'en voulut rien faire.

Il se déclara neutre, et entraîna quelques amis avec lui.

Ainsi une haine particulière entraînait un changement des partis.

 

Mais Coroarch ne s'en tint pas là.

Il se concerta avec quelques amis et résolut un coup de main contre le château du Pont.

Double but, un politique, et un particulier ; s’emparer de la place et tuer son ennemi.

 

Le coup de main eut lieu un jour du printemps de 1595.

Vingt-cinq hommes de Coroarch, déguisés en pacifiques paysans, s'avancèrent jusqu’au pont du château où Kerservant devisait avec ses amis.

Un des hommes de Coroarch bouscula Kerservant et lui tira un coup de pistolet ;

mais il ne fit que le blesser à la gorge.

Une bagarre suivit ;

la garnison du château accourut et repoussa les assaillants ;

Coroarch qui arrivait à la rescousse avec des cavaliers, fut mis en fuite.

Ainsi échoua pour la seconde fois la vengeance du mari trompé.

Deux pauvres diables payèrent de leur vie cette échauffourée.

 

Ce qui est curieux, c’est que l’affaire se termina en justice.

Coroarch fut arrêté, mis en prison à Rennes et poursuivi devant le Parlement.

L’arrêt définitif le déclara convaincu de trahison ;

mais il s’en tira avec trois années de service forcé et des amendes.

Il aurait pu lui arriver pis.

On dit que « les grandes sollicitations de force dames lui sauvèrent la vie ».

 

Ainsi le mari trompé par sa femme fut sauvé par d'autres femmes.

Ce n'est pas seulement du temps de la Ligue qu'arrivèrent pareilles choses.

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