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1940

Les taxis continueront-ils à rouler ?

 

 

Source : La Dépêche de Brest 8 juillet 1940

 

Les taxis n'avaient pas été compris dans la liste des véhicules dont la circulation pourrait être autorisée après le 5 juillet.

 

Au dernier moment, les autorités ont décidé que les taxis continueraient librement leur service jusqu'au 15, et les intéressés espèrent que cette mesure bienveillante sera suivie d'une autorisation définitive.

 

Une corporation de braves gens

 

Pour nous faire une idée bien nette sur la question, nous sommes allés nous entretenir avec un conducteur de taxi.

Cette corporation est composée de braves gens qui ont acquis l'estime et la sympathie des Brestois.

 

Ce ne sont ni des capitalistes, ni des salariés, mais de petits artisans travailleurs et serviables.

Chacun d'eux est propriétaire de la voiture qu'il conduit et qu'il n'a pu acquérir qu'au prix de multiples efforts.

Elle lui est chère, et il en prend le plus grand soin.

Aussi nos taxis brestois sont-ils toujours propres et en excellent état de marche.

 

— Vous comprenez, nous dit notre interlocuteur, nous ne pouvons pas payer un chauffeur pour conduire notre voiture.

Aux 1.500 francs par mois que nous serions obligés de lui donner pour rémunérer convenablement son travail, viendraient s'ajouter les frais d'assurance, les taxes de toutes sortes.

Nous n'arriverions jamais à amortir le prix d'achat de la voiture.

 

— Elle vous coûte cher, cette voiture ?

— Environ 25.000 francs.

Et il est probable qu'après la guerre il faudra mettre 40.000 francs pour en avoir une de la même qualité.

Aussi ne la soignera-t-on jamais assez, et pour cela la main du propriétaire est nécessaire.

L'employé le plus consciencieux n'y apportera jamais le même soin.

 

Quelques-uns d'entre nous ont essayé d'avoir deux véhicules ; l'argent que le patron gagnait en conduisant l'une de ses voitures, il le dépensait à payer le chauffeur et l'entretien de l'autre.

Alors, vous comprenez, il vaut mieux s'en tenir à un seul taxi.

 

De longues et rudes journées

 

— Est-ce que vous prenez le travail de bonne heure ?

— Nous sommes à la disposition du public de 6 heures du matin à 11 heures du soir.

Nos heures sont restées celles du temps de paix.

 

Avant la guerre, on nous trouvait le matin à l'arrivée du premier train de Paris, et nous ne quittions la gare, le soir, qu'après le dernier train, à 11 h. 30.

 

Nous étions alors une trentaine de taxis à Brest.

Aux heures des trains, il y en avait toujours une dizaine alignés là, dans la cour de la gare.

Toute la journée, vous pouviez compter autant de voitures rangées le long de la place Wilson.

Depuis la mobilisation, nous ne sommes plus qu'une vingtaine en tout, et comme la population s'est fort accrue, la cour de la gare reste parfois totalement vide pendant de longues heures.

 

— Mais alors, comment peut-on vous trouver, quand on a besoin de vous ?

— Oh ! C'est bien simple.

Tenez, retournez-vous, sur ce poteau, à l'entrée même de la cour de la gare, voyez cette sorte de petite armoire.

C'est un appareil téléphonique toujours à la disposition du public.

Un appel, et deux ou trois minutes après nous sommes là.

 

— Et combien faites-vous payer vos services ?

— Soyez tranquille !

Nous n'écorchons pas les Brestois.

Nous pratiquons le tarif de 2 francs au kilomètre.

Pas de tricherie possible ; le taximètre est là.

Cela ne met pas la course trop chère.

Si vous allez un peu loin, si vous avez des bagages un peu lourds, vous vous en tirez avec une pièce de 15 francs.

C'est le moyen de transport économique et populaire par excellence.

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La suspension du service des taxis procurerait-elle une économie appréciable de carburant ?

 

— Surtout, monsieur, faites bien remarquer que la suppression des taxis ne procurerait qu'une économie d'essence à près nulle…

 

Tous les jours, nous transportons des médecins qui, par économie, ont dû renoncer à se servir de leur voiture.

 

Nous transportons aussi quotidiennement des malades dans les cliniques, où ils doivent être opérés d'urgence ;

des femmes qui vont chez le médecin accoucheur ou qui en reviennent.

Qui assurera ce service, si nous ne sommes pas là ?

Ces médecins, ces malades, il faudra bien dépenser de l'essence d'une manière ou d'une autre, pour les transporter.

 

Nous ne sommes pas exigeants

 

— Dites bien, monsieur, que nous ne sommes pas exigeants.

Nous comprenons mieux que personne la nécessité d'économiser l'essence.

 

Qu'on limite à 200 ou 300 litres par mois, suivant les possibilités, la quantité d'essence attribuée à chacun de nous.

Qu'on nous fixe un périmètre en dehors duquel nous ne pourrons pas circuler.

Nous nous inclinerons sans murmurer.

 

Mais comme je vous l'ai exposé, nos entreprises sont des entreprises privées,

« le service que nous assurons est d'utilité publique ».

 

Nous sommes persuadés que les autorités s'en rendront compte et que nos véhicules seront classés définitivement parmi ceux dont la circulation demeure autorisée.

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