1935
La fermière de l'île Balanec meurt seule
Source : La Dépêche de Brest 2 Février 1935
Source : La Dépêche de Brest 3 Février 1935
Le vent a fraîchi.
La mer gicle sur le brise-lames de l'entrée du port du Conquet, elle brise sur les roches de base du phare de Kermorvan.
L'archipel molénois vient de se signaler une fois encore à l'attention des gendarmes du Conquet.
Une femme est morte à l'île Balanec dans des circonstances assez troublantes pour nécessiter une enquête.
Nous avons, hier, exposé le fait principal.
Aujourd'hui, le chef de brigade Le Dé et le gendarme Le Calvé ont résolu d'aller faire enquête sur les lieux.
Mais les moyens de communication avec Balanec, toute proche de Molène cependant, n'existent pas plus qu'avec Quéménès, où le parquet se rendait, il y a trois jours.
Précisément aujourd'hui, le bateau de sauvetage du Conquet, Naly-Léon Drouin, doit faire une sortie d'exercice.
Les gendarmes en profitent et prennent place à bord.
Roulant, tanguant, le robuste canot à moteurs s'est lancé à travers le chenal de la Helle, piquant droit vers les îles qui s'estompent sous le ciel gris où les grains se succèdent.
De toutes les îles en exploitation dans l'archipel, Balanec est la moins importante.
Elle comporte tout au plus deux ou trois champs qu'un seul domestique suffit bien à travailler avec l'aide du fermier.
Comme elle est située en bordure du Fromveur, où roule un rapide courant, le goémon-épave s'y échoue rarement.
L'unique ferme est tenue, depuis quelques années, par M. Prosper Le Lann, originaire de Lampaul-Plouarzel, et sa femme.
Hier, le fermier avait gagné Molène avec son jeune domestique pour se ravitailler.
À son retour, il trouva sa femme inanimée.
Elle était morte.
Bouleversé, il s'en revint à Molène faire part au maire, M. Eugène Masson, de la triste nouvelle.
M. Masson, accompagné de son adjoint et du garde champêtre, se rendit à Balanec.
Ayant fait certaines constatations qui lui parurent étranges, il s'empressa d'en aviser la gendarmerie du Conquet.
C'est dans ces conditions que les gendarmes viennent d'emprunter le Naly-Léon Drouin.
Ce n'est pas la première fois qu'ils se rendent dans cette île, car il y a un an, un domestique s'y était pendu.
D'autres tragiques souvenirs s'attachent à cet îlot où le cargo anglais Morwood, dont on voit encore les débris de carcasse, s'était échoué le 1er octobre 1933 avec un chargement de charbon.
Le parquet de Brest, saisi de l'affaire présente, a ordonné le transport du corps de Mme Le Lann au Conquet.
À cet effet, par l'intermédiaire de M. Tissier de Saint-Albin, maire de cette commune, il a fait procéder à la réquisition d'une barque.
L'autopsie sera pratiquée, aujourd'hui, par M. le docteur Teurnier.
Source : La Dépêche de Brest 4 Février 1935
Ainsi que nous l'avons annoncé, le corps de Mme Le Lann a été transporté hier au Conquet aux fins d'autopsie.
Vers la fin de la matinée, «le bateau de sauvetage de ce port, Nalie Léon Drouin, réquisitionné, était mis à l'eau et se rendait à Balanec.
Il en revenait à 13 heures, ayant comme passagers le chef de brigade Le Dé et le gendarme qui l'avait accompagné pour procéder à l'enquête sur place.
Le corps était placé dans l'ancien abri du canot de sauvetage où, au cours de l'après-midi, M. le docteur Teurnier pratiquait l'autopsie.
Des constatations faites à l'île Balanec ainsi que la nature des objets trouvés près du cadavre, il semblait déjà résulter que l'infortunée fermière avait succombé à des manœuvres abortives.
Il apparaissait également que ces manœuvres avaient été le fait de la disparue elle-même, mettant à profit l'absence de son mari et de son domestique.
On sait que les deux hommes s'étaient, en effet, rendus ce jour-là, comme chaque semaine, à Molène pour y faire des provisions.
C'est à leur retour de cette île qu'ils avaient trouvé morte Mme Le Lann.
Les constatations faites par M. le docteur Teurnier laissent apparaître que la fermière, avant de tenter les manœuvres dont il s'agit, avait déjà absorbé certain liquide toxique.
Mme Le Lann, née Jeanne Le Bris, âgée de 30 ans, était mère de deux enfants de sept et dix ans, demeurés à Lampaul-Plouarzel chez leurs grands-parents afin de pouvoir fréquenter l'école.
Elle était originaire de Lanildut.
Son corps a été dirigé hier soir sur Lampaul où aura lieu l'inhumation.
Source : La Dépêche de Brest 5 Février 1935
L'enquête relative à la mort de Mme Jeanne Le Lann, la fermière de l'île Balanec, se révèle particulièrement difficile et, sans doute, les recherches auxquelles devra se livrer la justice seront-elles longues.
On sait que Mme Le Lann fut trouvée morte, samedi, par son mari qui s'était rendu à l'île Molène, en compagnie de son domestique, pour y faire quelques achats.
M. Le Lann était alors revenu à Molène et avait prévenu le maire, M. Eugène Masson.
Celui-ci, venu sur place, fit des constatations qui lui parurent étranges et avertit la gendarmerie du Conquet.
Le corps de Mme Le Lann fut alors transporté au Conquet où, dimanche, M. le docteur Teurnier en pratiquait l'autopsie.
Il apparut que la malheureuse fermière s'était livrée sur elle-même à des manœuvres criminelles et avait absorbé, sans doute dans ce but, un liquide dangereux.
À Lampaul-Plouarzel
Hier, à 14 heures, M. de Lapeyre, juge d'instruction, quittait Brest, accompagné de M. Donnait, substitut du procureur de la République, et de MM. Pradère et Le Gall, greffiers.
Le parquet se rendait à Porspaul, en Lampaul-Plouarzel, où il devait procéder, chez deux habitantes du village, à d'importantes vérifications.
Ces deux femmes revenaient précisément des obsèques de Mme Le Lann.
Les magistrats purent alors se livrer, assistés des gendarmes de Saint-Renan, à des visites domiciliaires.
Au cours de ces opérations, divers flacons et quelques bouteilles contenant des produits pharmaceutiques furent saisis pour être ramenés à Brest.
Ces médicaments, sur la nature desquels les magistrats ne sont pas exactement fixés, seront analysés.
Les viscères de la défunte devront également l'être.
On aura ainsi un élément de comparaison qui fixera peut-être l'opinion du parquet.
Mme Le Lann avait séjourné pendant quelques temps à Lampaul les jours qui précédèrent sa mort.
Les personnes au domicile desquelles eurent lieu les visites domiciliaires protestent de leur entière innocence et assurent qu'elles sont absolument étrangères à cette malheureuse affaire.
Elles expliquent la présence à leur domicile de nombreux médicaments par ce fait que plusieurs de leurs proches sont actuellement malades.
Comme toujours en ce genre d'affaire, le magistrat instructeur éprouve les plus grandes difficultés à obtenir les témoignages susceptibles de faire éclater la vérité.
Ainsi l'enquête ne paraît pas devoir être terminée avant plusieurs semaines.