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1937

Sein - L'île qui sombre
par Charles Léger

 

 

Source : La Dépêche de Brest 9 octobre 1937

 

Aurait-on fait vingt fois le voyage de Bestrée à l'Île de Sein, qu'on ne manque pas de faire la comparaison entre les deux rivages.

 

Tout à l'heure c'était comme tout au long de la Pointe du Raz, une falaise haute de quatre-vingts mètres, plongeant dans l'Océan avec la rectitude d'une muraille.

Tellement abrupte que pour mettre leurs barques à l'abri des vagues, les pêcheurs du pays doivent les hisser au treuil jusqu'à mi-hauteur et les y accrocher solidement.

 

Ici, les rives de l'île vont en pente douce se prolonger très loin en grèves caillouteuses.

En pourrait-il être autrement puisque le niveau général de Sein n'est qu'à un mètre cinquante au-dessus des plus hautes mers et ses deux points culminants à six mètres !

N'étaient les édifices qui la couronnent elle n'apparaîtrait guère au ras du flot.

 

Voici déjà longtemps que nous la fréquentons et presque à chaque voyage il nous est donné de constater que la mer lui a porté de nouveaux coups.

Et quels coups quand de violentes tempêtes sont intervenues.

 

L'île s'effrite.

 

À la vérité la chose n'est pas nouvelle.

On s'en était bien aperçu lorsque l'administration des Ponts-et-Chaussées résolut d'engager la lutte contre la mer envahissante

 

C'est vers 1866 que cette audacieuse bataille fut entreprise.

Une tempête venait de causer de grands ravages.

L'administration commença de construire un quai avec parapet devant les immeubles puis, tout autour, des digues atteignant par endroit une largeur de deux à quatre mètres et une longueur totale d'un kilomètre et demi environ.

Ces digues devaient en remplacer d'autres qui, constituées par de simples entassements de pierres, étaient trop fréquemment démolies.

 

Au cours de ces travaux, tandis qu'on préparait les fondations, on mit à jour dans la grève les restes d'antiques habitations.

Le fait ne devait pas demeurer unique puisqu'il y a une dizaine d'années, à l'extrémité de la digue de Port-Caïc. la mer découvrait les bases d'une construction.

 

Depuis, d'autres ouvrages et non moins importants ont été exécutés pour abriter efficacement le port.

 

Il était temps d'intervenir.

En 1820, l'île mesurait trois kilomètres et dans sa plus grande largeur 900 mètres.

Elle atteint à peine aujourd'hui deux kilomètres et 800 mètres de large.

Encore en certains points cette largeur se réduit-elle à trente mètres.

 

Il est évident, que Kerlaourou, qu'on n'atteint plus qu'à mi-marée par un vague sillon de galets, était uni à l'île dans un passé qui n'est pas très lointain.

D'autres séparations du même genre s'affirment aujourd'hui prochaines, telle la presqu'île du Guéveur.

 

Il n'est point besoin d'examiner longtemps la configuration de Sein pour se rendre compte de la menace qui pèse sur ces langues de terre qui, s'écartant du massif principal, sont couvertes aux grandes marées.

 

Certes les vagues, surtout en pareils lieux, sont capables de porter de sérieuses atteintes à tout ce qui leur fait obstacle.

Mais il apparaît qu'ici elles veuillent accuser leur violence en entraînant les galets dans leurs assauts.

Et souvent, après s'en être ainsi servi elles les emportent vers d'autres lieux pour opérer de nouvelles destructions.

— Des galets, nous disent de vieux îliens, il y en a toujours eu, mais il y en avait bien davantage au pied des quais comme au pied des murs de défense.

À Port-Caïc, ils s'amoncelaient tellement que lorsqu'on se trouvait du côté de la grève on pouvait facilement s'accouder à la crête de la digue.

Puis ils ont été emportés par la mer.

À diverses reprises il a fallu allonger les bases de la muraille qui, aujourd'hui domine de plus de six mètres le roc laissé nu.

 

« Dans l'avant-port, on franchissait aisément le muretin qui constituait alors le quai des Paimpolais pour descendre sur la grève ; ici encore les galets ont disparu et les roches apparaissent trois mètres plus bas. »

 

S'il n'en est plus là, il n'en va pas de même à l'ouest de l'île, aux abords du phare.

Uniformément polis, ils s'entassent au sommet des grèves au point de dépasser la dune en bourrelet.

 

Lors de l'installation de l'ancien radio-phare, on avait planté sur la côte deux poteaux destinés à porter l'antenne.

Il y a vingt ans on se vit contraint de les reculer de quinze mètres.

Leur base est aujourd'hui noyée dans le bourrelet de galets.

 

À l'ouest du phare, un bloc de maçonnerie avait été construit il y a trente ans.

La vague de galets l'a depuis longtemps dépassé, pour venir donner assaut au mur d'enceinte de la tour.

 

Précisément ce mur se séparait de la grève par une large bande de dune; il est maintenant complètement dénudé et les affouillements furent tels qu'on dut le reprendre et le renforcer à la base.

 

L'avance de la mer est telle sur ce point que même par morte-eau, les vagues franchissent l'enceinte. Qu'une tempête se déclare et la cour est bientôt inondée.

 

Aussi a-t-on dû songer à construire une digue pour protéger le rivage du phare.

 

Évidemment ce sont là des travaux importants mais combien nécessaires, d'autant plus que le phare s'accôte à présent d'une centrale électrique chargée de l'alimenter ainsi que les tourelles et canons de brume en installation.

 

Quand nous arrivions ce matin, le canot se frayait péniblement passage au milieu des goémons qui recouvrent actuellement les étendues arrachées à la dune.

La marée l'a haussé à présent jusqu'au niveau de l'île.

Et celle-ci, tandis que l'eau monte, s'amenuise étrangement.

La mer submerge le rivage et vient affleurer les quais qu'elle inonde bientôt avec un glouglou inquiétant.

 

Cela tient du navire qui sombre.

 

On comprend mieux ainsi que les maisons se soient tassées sur le massif principal, au point de ne laisser entre elles que de fantaisistes ruelles où un couple ne peut s'engager de front.

Elles ont l'air de gens qui, surpris par la marée, s'étreignent au sommet d'un rocher.

 

Et tandis que dans la nuit venue les tourelles blanches s'allument tout autour de l'île, on se surprend à évoquer la flamme vacillante des cierges.

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