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1889

Porspoder par Henri Urscheller


 

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Source : La Dépêche de Brest 4 mars 1889

 

Porspoder (anciennement Portzpoder, le port des potiers) est une petite commune de 1.800 habitants, du canton de Ploudalmézeau, tout au bord de l’Océan.

Elle ne comprenait, à la fin du siècle dernier, qu’une cinquantaine de maisons, mais ce nombre a presque doublé depuis.

Les petites anses, autour desquelles ces maisons sont éparpillées presque aussi capricieusement que les tas de goémon qui sèchent sur la grève, ne paraissent pas être d'un accès bien facile :

ce qui n’empêcha pas saint Budoc, le patron de l'église de l’endroit, d'aborder dans l'une d'elles, à la fin du VIe siècle, dans une auge de pierre !

 

De tout autre mortel, ce mode de navigation aurait lieu de nous surprendre ;

mais Budoc appartenait à une famille où l'on n'était plus à compter les miracles.

Déjà sa mère, la princesse Azénor de Léon, avait jadis traversé l'Océan dans des conditions presque aussi extraordinaires, et notre saint lui-même, navigateur précoce, s'était trouvé — bien inconsciemment d'ailleurs — de moitié dans cette traversée périlleuse.

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Voici ce que nous dit à ce sujet une vieille légende :

 

Azénor, princesse de Léon, était mariée à Chunaire, comte de Goello et de Tréguier.

Le comte, ayant eu à s'absenter quelque temps, apprit, à son retour, que, pendant son absence, sa femme lui avait été infidèle.

Cette accusation — noire calomnie inventée par une odieuse marâtre — trouva créance auprès du comte qui, pour n'avoir pas à châtier lui-même celle qu'il avait aimée autrefois, la ramena à Brest et la rendit à son père en lui expliquant le motif de ce renvoi.

Le père, exaspéré contre sa fille, voulut incontinent la livrer aux flammes, en dépit de ses protestations d'innocence ; mais, sur sa déclaration qu’elle était enceinte de quatre mois, il préféra s'en remettre au jugement de Dieu.

Il l'enferma donc dans un tonneau qu'il fit jeter dans la mer à la merci des flots, des vents et des écueils.

 

Mais laissons la parole au R. P. Albert le Grand. (Vie des Saints de Bretagne, p. 719 et s. q.).

« Ce petit vaisseau, ballotté par les ondes, servait de jouet aux vents et aux marées cinq mois entiers qu'il côtoya le rivage de la Bretagne, de l'Angleterre et de l’Irlande, en danger continuel de mille naufrages humainement inévitables....

La pauvre Azénor gisait adossée aux flancs de son tonneau, les yeux levés vers le ciel, faisant rouler de grosses larmes comme autant de perles liquides sur ses joues pudiques, lorsque ses yeux mourants furent subitement frappés d'une clarté qui pénétra le haut de son tonneau et lui fit voir un ange qui, de sa seule présence, convertissait ce lieu infect et étroit en un petit paradis de délices et, la saluant amiablement, l'assura que ses prières étaient agréables à Dieu qui ne l'abandonnerait jamais en cette affliction, qu'elle espérât toujours en sa miséricorde et qu'il ferait paraître un jour son innocence avec plus d'éclat qu'elle n'avait enduré d'ignominie, à la confusion de ses ennemis.

Puis il lui présenta des vivres à foison, lui commandant d'en manger.

Elle obéit et ayant rendu grâces à Dieu et à son céleste gardien, prit sobrement son repas, et incontinent son pauvre corps reprit ses forces et son cœur sa première vigueur.

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Le Paradis, chant du Barzaz-Breiz par M. de la Villemarqué

Auteur : Busnel, Théophile

1876

 

« L'ange disparut sur l'heure ;

mais il ne faillit désormais de la visiter et lui apporter journellement tout ce qui lui était nécessaire pour sa nourriture et son entretien.

 

« Au bout des cinq mois de sa périlleuse navigation, elle accoucha heureusement d'un fils dans cette étroite cabane, sans sage-femme ni autre assistance que celle de son ange et de sainte Brigitte, sa bonne maîtresse et patronne, qui la visitait souvent avant et après ses couches.

Quand elle eut mis son enfant au monde, elle le prit entre ses bras, fit le signe de la croix sur lui et lui fit baiser son crucifix en attendant, la commodité de le faire baptiser, et, le pressant contre son sein pour l'échauffer, le baisait tendrement, versant quantité de larmes sur ses petites joues, puis le recommanda à Dieu.

— Dieu, pour sa consolation, lui fit connaître, par un signe visible, qu'il avait exaucé sa prière en déliant la langue du petit enfant, lequel voyant sa mère si affligée pour n’avoir pas le moyen de l'assister comme elle l'eût désiré, la regarda fixement et souriant lui dit :

« Consolez-vous, ma chère mère, nous ne devons rien craindre puisque Dieu est avec nous :

Nous sommes au terme de notre voyage et proche du temps de la consolation que Dieu vous a promis par son ange. »

 

Cette prédiction ne tarda pas à s'accomplir, car le même jour le tonneau échoua sur la côte d'Irlande, en face de l'abbaye de Beauport.

Déjà un paysan allait « donner du guimbelet sur ce tonneau » (le harponner), croyant avoir affaire à un tonneau de vin ou d'autre boisson, épave de quelque navire que les houles et les marées auraient poussée au rivage, quand Dieu, redoublant ses merveilles , délia derechef la petite langue de l'enfant qui défendit au paysan de passer outre, lui commandant d'aller trouver l'abbé de Beauport, seigneur de cette côte, et lui donner avis de ce qu'il avait trouvé.

 

« Le pauvre homme, épouvanté de cette voix, obéit et s'en alla trouver l'abbé, lui raconta ce qu'il avait vu et ouï, le priant de se transporter sur les lieux pour voir ce que ce pourrait être.

Il alla, accompagné de quelques religieux et des plus apparents habitants de son bourg, fit faire ouverture du tonneau où il trouva une belle jeune femme qui tenait un petit enfant de deux jours, lequel de son souris et par gestes enfantins le semblait courtoisement saluer.

Il les mena au bourg de son abbaye, les fit revêtir et rafraîchir, et ayant entendu tout à loisir le récit de leur fortune, il rendit solennellement grâces à Dieu et le lendemain baptisa le petit prince en la présence d'une multitude de peuple qui était venue voir cette merveille.

Et afin que son nom exprimât en quelque façon sa fortune, il le nomma sur les saints fonts Buzeuk (Beuzek, susceptible d'être noyé), pour avoir été par des miracles si prodigieux né sur les eaux et miraculeusement préservé de tant de morts et périls humainement inévitables. »

 

Aujourd'hui encore, le souvenir de sainte Azénor est vivant dans la mémoire des mariniers de Porspoder, qui se plaisent à chanter des vers dont voici la traduction :

 

Qu'as-tu vu, marin, sur la mer ?

Une barque sans rames et sans voiles

Et sur l'arrière pour pilote un ange

Debout et les ailes tendues.

 

J'ai vu, seigneur, au loin, sur la mer, une barque

Et dans cette barque une femme avec son enfant,

Son enfant nouveau-né suspendu à son sein blanc

Comme une colombe au bord d'une conque marine.

 

Elle baisait et rebaisait son petit dos nu

Et lui chantait d'une voix si douce :

Dors, dors, mon petit enfant,

Dors donc, mon pauvre petit !

 

Si ton père te voyait, mon fils !

Comme il serait fier de toi !

Mais hélas ! Il ne te verra jamais.

Ton père, pauvre enfant, est perdu.

 

(CF. DE LA VILLEMARQUÉ: Barzaz-Breiz, p.495.)

 

Pour gagner sa vie et celle de son enfant, la princesse Azénor se fit blanchisseuse sur les côtes irlandaises, non loin de l'endroit où sa frêle embarcation avait abordée et où dans la suite son mari, miraculeusement désabusé, vint la rejoindre.

Quant au petit Budoc, il fut recueilli à l'abbaye de Beauport par l'abbé qui l'avait baptisé, entra plus tard dans les ordres et fut d'une piété si exemplaire qu'à la mort de l'abbé il fut appelé à lui succéder.

L'avenir lui réservait des honneurs plus grands encore, car le peuple d'Irlande, charmé de ses vertus, l'élut archevêque et roi.

 

Budoc eut beau protester contre son élection et représenter à ses sujets qu'il ne se sentait nullement appelé à de si brillantes destinées, ceux-ci ne voulurent rien entendre.

II laissa entrevoir qu'il quitterait le pays si le peuple n'acceptait pas sa démission.

Mais les grands du royaume firent soigneusement garder toutes les issues de son palais et donnèrent, dans tous les ports voisins, des ordres sévères pour qu'aucune embarcation ne fût mise à la disposition de ce roi malgré lui, pour le cas où il voudrait mettre à exécution ses projets de fuite.

 

« Dans cette angoisse d'esprit, poursuit le pieux chroniqueur, il eut recours à l'oraison,

son « refuge ordinaire en toutes tribulations, et cette fois encore Dieu vint à son secours. »

 

Sur la recommandation d'un ange descendu du ciel, Budoc s'étendit sur sa couchette, qui n'était autre

« qu'une grande pierre cavée de sa longueur. »

Cette pierre devint miraculeusement flottante et, guidée par l'ange, le transporta sur les côtes de Bretagne, à Porspoder, diocèse de Léon.

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Porspoder - Grève de Saint-Budoc

 

Les gens de la côte, pour décider cet enfant du miracle à vivre au milieu d'eux, lui construisirent un petit ermitage et une chapelle, « mais au bout d'un an de séjour à Porspoder, Budoc s'ennuya de ce lieu fort incommode, à cause du bruit qu'y faisait la mer dont les flots se brisaient continuellement avec violence aux écueils qui étaient au pied de son ermitage, mais encore plus à cause de la multitude du peuple qui l'y venait journellement visiter.

Il fit charger sa pierre sur une charrette attelée d'une paire de bœufs, résolu d'aller où il plairait à Dieu de le guider. »

 

L'incertitude du pieux ermite fut de courte durée, car il avait à peine fait deux petites lieues de chemin que son véhicule se rompit sous le poids de l'auge, qui pesait plus lourdement sur les brancards de la charrette qu'elle n'avait pesé jadis sur les flots de l'Océan, et la pierre elle-même vint s'abattre sur le sol, à l'endroit où s'élève aujourd'hui l'église paroissiale de Plourin.

Le saint homme, attribuant à de secrets desseins de la Providence un accident qui n'était peut-être dû qu'au mauvais état des routes ou bien au peu de solidité de sa voiture de déménagement, crut devoir s'arrêter en ces lieux et y établir sa demeure :

Mais il ne trouva pas à Plourin un accueil aussi enthousiaste que celui qu'on lui avait fait un an auparavant à Porspoder.

Les gens de l'endroit ne virent pas d'inconvénient à ce qu'il vint se fixer auprès d'eux et l'aidèrent même, dans une certaine mesure, à construire le traditionnel petit ermitage et la chapelle y attenante ;

mais lorsqu'il se permit d'excommunier quelques-uns d'entre eux pour leurs mœurs dissolues, ils lui signifièrent qu'il n'avait qu'à s'en aller au plus vite s'il ne voulait pas qu'on lui fit un mauvais parti.

Budoc, pour leur ôter l'occasion de « commettre un parricide si détestable », quitta Plourin et se rendit à Saint-Pol de Léon, où il se démit de sa paroisse entre les mains de son évêque, qui lui donna sa bénédiction et la permission de se retirer.

 

Budoc profita de ces loisirs forcés pour aller jusqu'à Dol voir l'archevêque saint Magloire, qui jouissait dans toute la contrée d'une grande réputation de sainteté.

Le vieux prélat, qui, depuis plusieurs années, n'attendait qu'une occasion favorable pour se démettre de sa dignité épiscopale et aller passer le reste de ses jours dans quelque désert, reçut Budoc comme un envoyé du ciel entre les mains duquel il pourrait en toute sécurité résigner ses fonctions.

Dans la nuit suivante, qu'il passa en prières, un ange lui apparut et lui dit que Dieu approuvait pleinement son intention de se retirer et de se faire remplacer par Budoc ;

mais lui enjoignit cependant de soumettre ce choix d'un successeur au vote de son clergé et l'approbation du pape, qui seul a qualité pour contresigner les décrets du Souverain des Cieux.

Dès le lendemain, saint Magloire rassembla son clergé, lui fit part de son intention de se retirer, et l'invita à procéder immédiatement au choix d'un remplaçant.

En même temps il patronna si chaudement la candidature Budoc, que l'ex-curé de Plourin fut élu à l'unanimité.

Budoc ne crut pas devoir retraverser l'Océan pour fuir les honneurs du pallium, d'autant plus que dans la précipitation de sa fuite de Plourin, il avait laissé sa précieuse embarcation entre les mains de ses paroissiens.

Il se résigna donc à accepter le poste auquel l'appelaient les suffrages du clergé de Dol.

Il ne manquait plus, pour la validité de son élection, que la ratification du pape.

Budoc alla la chercher lui-même.

Il partit pour Rome « bien accompagné d'ecclésiastiques et chargé de lettres » de recommandation de la part des princes de Bretagne, de l'archevêque saint Magloire et du clergé de Dol. »

Le pape saint Grégoire le Grand lui remit le pallium et, après lui avoir donné ses instructions secrètes, l'envoya prendre possession de son siège.

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Henri Urscheller

Naissance : 1851

Mort : 01-1921

Professeur d'allemand au lycée de Brest

 

L'entrée du nouvel archevêque dans sa ville métropolitaine donna lieu à de brillantes fêtes après lesquelles saint Magloire se retira dans le désert et Budoc entra en fonctions.

 

Après une vingtaine d'années de pontificat, Budoc sentant sa fin prochaine, mit ordre à ses affaires personnelles et à celles de son église.

Il se souvint alors qu'il n'avait jamais relevé des peines de l'excommunication les gens de Plourin, bien que ceux-ci lui eussent donné, depuis son élévation aux honneurs, des marques non équivoques de repentir.

Il manda donc auprès de lui un de ses aumôniers nommé Hydultus et lui dit de « séparer, après sa mort, son bras droit de son corps, le porter à Plourin, en donner la bénédiction au peuple de ladite paroisse, en signe de l'absolution qu'il leur avait octroyée, et le leur laisser pour gage du souvenir qu'il aurait d'eux quand il serait au ciel. »

 

Toutes ces dispositions prises, il s'endormit dans le Seigneur le 18 novembre 618.

Le chroniqueur ajoute qu'« en présence de tout le peuple, les anges portèrent son âme dans le ciel en chantant une délicieuse musique ».

 

Budoc avait fait tant de miracles de son vivant que, par un reste d'habitude — tant il est vrai que l'habitude est une seconde nature — il continua d'en faire même après sa mort.

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Voici, à titre d'échantillon, un des plus authentiques relaté dans la Vie des Saints de Bretagne :

 

Après l'enterrement de son archevêque, l'aumônier Hydultus, pour se conformer aux dernières instructions du défunt prélat, prit le bras droit qu'il avait détaché du corps, le mit respectueusement dans une boite et se disposa à le porter à Plourin.

Étant descendu dans une auberge du bourg paroissial de Brech, diocèse de Vannes, il déposa la précieuse relique dans un bahut que l'hôtesse avait mis à sa disposition pour y serrer ses hardes.

Or, voici qu'un autre voyageur, qui ignorait complètement ce que renfermait le modeste bahut, alla s'asseoir irrespectueusement sur cette châsse improvisée et devint aussitôt muet et perclus de tous ses membres.

Comme personne ne comprenait rien à cet accident, on s'avisa d'ouvrir le meuble et de fouiller parmi les hardes de l'aumônier, et l'on y trouva la sainte relique avec les procès-verbaux authentiques à l'appui.

 

Alors le pauvre homme, se « laissant tomber par terre, demanda pardon à Dieu et à saint Budoc de l'irrévérence qu'il avait commise envers sa relique et puis se leva sain et dispos, louant Dieu et le saint prélat. »

 

Le recteur de la paroisse, qui avait assisté à ce double miracle — le chroniqueur a oublié de nous dire si c'était l'habitude du curé de passer ses soirées à l'auberge de l'endroit ou bien s'il ne s'y est trouvé que... par miracle — s'empara de la clef du coffre et « le lendemain vint avec ses prêtres en solennelle procession, leva la sainte relique qu'il porta en son église, sans la vouloir rendre à l'aumônier ».

 

Cette expropriation forcée pour cause d'utilité publique ne parut pas suffisamment motivée à l'aumônier Hydultus, qui mit tout en œuvre pour amener le curé de Brech à lui restituer son bien.

Mais tout ce qu'il put obtenir, par de grandes importunités, ce fut d'être admis à baiser une dernière fois la précieuse relique, en présence de tous les fidèles.

« Il s'approcha donc de l'autel, fit dévotement sa prière et le saint bras lui étant présenté, il prit si bien son temps et ses mesures qu'il attrapa entre ses dents le pouce, le second et le troisième doigt de la main et les mordit si serré qu'il les coupa et emporta à Plourin, donna la bénédiction au peuple de la part de son défunt maître et y laissa ces reliques, qui furent richement enchâssées et soigneusement conservées jusqu'à notre temps, Dieu les ayant honorées de plusieurs grands miracles. »

 

Pendant longtemps les serments requis par ordonnance de justice se prêtaient sur ces reliques de saint Budoc

« qu'on posait à cet effet sur son navire miraculeux et se trouvait que ceux qui juraient faussement ne passaient le jour et an sans être rigoureusement châtiés ».

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