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1899

Adolphe Paban poète
par Adolphe Dupouy

 

Choses de Bretagne - Nos poètes.jpg

 

Sources : La Dépêche de Brest 20 juillet 1899

 

Être né artiste, enthousiaste, flâneur, se sentir épris de belle nature et de beaux livres, nourrir le rêve d'une existence au grand air, égale, heureuse, pacifique ; avec cela, vivre la dure vie d'un polémiste, fréquenter les bureaux de rédaction et subir les promiscuités de la politique, tel a été, durant vingt années ou davantage,

le cas de M. Adolphe Paban (*).

Il y a quelques mois à peine, le poète qui publie aujourd'hui les Roses de Kerné dirigeait encore le journal quimpérois le Finistère :

Sans grande conviction, si j'en juge par ces quelques vers qu'il a intitulés Journalisme :

 

Chaque matin, luttant et forçant ma nature,

Je prends le mot de haine en mon encrier noir,

Et, sous les traits menteurs dont ma main le rature,

Le mot sacré d'amour reparaît chaque soir.

 

Il est certain que personne n'était moins fait pour batailler et pour haïr, et l'on serait tenté de le prendre au mot, lorsque, dans une pensée d'amertume bientôt réprimée, il déclare avoir manqué sa vie.

 

J'ai manqué ma vie ; il m'aurait fallu,

Près d'un vivier clair, un bois chevelu,

Des raisins ambrés, des épis nombreux,

Un toit pastoral et son pare ombreux

Près d'un vivier clair.

 

Il ne l'a pas manquée, puisqu'il a trouvé le temps de beaucoup admirer et de beaucoup aimer, et de ciseler avec ferveur des vers d'artiste à la gloire de ce qu'il admire et de ce qu'il aime.

Il ne l'a pas manquée, et lui-même le sait bien, puisqu'il reconnaît avoir, comme pas un, savouré l'ivresse des couleurs, des parfums et des sons, puisque, dans la noble et douce pièce À ses Enfants, qui est comme l'épilogue de son œuvre, il ajoute :

 

J'admire le palais que m'offre le destin,

J'accueille la nuit, le soir et le matin

D'un cœur reconnaissant et d'une âme ravie,

 

Puisqu'en un mot sa poésie n'est presque toute qu'une action de grâces à la nature, source de toute vie, de toute indépendance et de toute beauté.

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M. Paban est un adorateur de la beauté et lui a voué un culte d'humaniste plus qu'à demi païen.

 

Sous les portiques blancs où Phryné se promène,

J'ai vêtu la chlamyde et, dans les saints parvis,

Contemplé, tout un jour, avec des yeux ravis,

La Vénus Anadyomène.

 

C'est avec les mêmes yeux, les yeux d'un Grec des temps passés, qu'il a regardé nos campagnes et nos grèves, du Raz de Sein jusqu'au paradis Fouesnantais.

Elles lui ont suggéré des songes peu nuageux, et sans nier ce qu'elles ont parfois de mystérieux ou d'âpre, volontiers il les a vues souriantes, vêtues de noblesse ou de grâce.

La funèbre sauvagerie du Cap l'effraie sans l'attirer :

 

Sizunn, pardonne-moi si devant toi me hante

Le souvenir charmant des jardins de Beg-Meil.

 

Beg-Meil et ses ombrages, l'Odet, le Stang-Ala, Loctudy avec ses moissons et son estuaire bordé de pins maritimes, et la grande plaine lumineuse de Penmar'h, farouche et non mélancolique, voilà les sites qu'il a le mieux aimés, et dont il s'est plu à peindre les personnages, bigoudenns multicolores sortant d'une église, brûleurs de goémons au bord de l'Atlantique, cribleuses de blé aux coiffes blanches qui dressent leur silhouette sur la dune, et les trois faucheuses du Stang-Ala :

 

C'était, au Stang-Ala tout brodé de fougères,

Où l'eau, parmi les rocs se glisse alertement,

Un champ d'avoine blonde au bord d'un bois dormant,

Et, dans ce champ doré, trois filles, trois bergères.

 

Elles fauchaient, riant aux brises passagères ;

Leurs seins s'arrondissaient à chaque mouvement,

Et leurs faucilles allaient, en un bruissement,

Amoncelant le grain et les pailles légères.

 

Au profond de ce val, sous le ciel bleu d’été,

J'avais surpris l'Eglogue et l'antique beauté,

Les sœurs de Neæra qu'un regard effarouche.

 

Tout un monde enchanté venait de se rouvrir...

C'est pourquoi j'ai tenté de cueillir sur leur bouche

Les vers virgiliens que j'y voyais fleurir.

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Je ne sais si la grâce de cette poésie satisfera les amateurs de grisailles et d'épouvantes, qui ne sauraient accorder le don du sourire à la terre bretonne.

Depuis que Michelet, du haut du cap Sizun, l'a déclarée maudite, depuis que Renan lui a tracé son « cercle d'éternels gémissements », on a trop parlé de ses brumes et de ses landes, de sa désolation et de sa tristesse, et l'on a oublié que Chateaubriand, le grand désolé, avait le premier reconnu le charme de son printemps, et que Brizeux, aux environs de Scaër, avait goûté toute la fraîcheur de l'Idylle.

Il est vrai qu'on accuse parfois Brizeux d'avoir mal vu ;

il est vrai aussi que des gens se disant connaisseurs distinguent une Bretagne vraie et une Bretagne fausse, la Bretagne vraie étant le pays aride et sombre de leur littérature et de leurs conventions.

Gardons-nous de méconnaître à ce point la pittoresque variété de la Bretagne, et n'oublions pas qu'en plus d'un point de ces rivages, comme au Léty chanté par M. Paban,

 

Les fleurs de l'églantier bordent la mer farouche.

 

Des peintres m'ont dit avoir été frappés de l'aspect méditerranéen que sous le grand soleil prennent parfois nos rochers et nos dunes, nos bois de pins et le sol maigre de nos paluds ;

et, dans les derniers vers qu'il a publiés, M. Le Braz racontait comment, sur la mer cimmérienne, il avait vu s'avancer Délos, l'île flottante et symbolique des eaux grecques.

Ne soyons donc pas surpris si de voir aller par les goémons, à Sainte-Anne, une svelte jeune fille de Pleyben, M. Paban rêve d'Aphrodite et de l'Ionie, et si, parmi les faucheuses des prairies qui bordent l'Odet, il a trouvé des sœurs à Neæra.

 

Par son goût de la beauté à l'antique et par ses délicatesses de lettré, par son amour de la couleur et de la ligne, par la fine, précieuse et savante joaillerie de ses sonnets — le sonnet est sa forme de prédilection, — M. Paban nous fait songer à l'auteur des Poèmes antiques et à celui des Trophées, ces maîtres du Parnasse.

Il n'est guère d'artiste qui aime à voir son œuvre classée une fois pour toutes, étiquetée sous une rubrique ou sous une autre, et M. Paban ne tient pas au titre, si honorable soit-il, de Parnassien.

Parnassien, il l'est cependant, par tous les scrupules et la sûreté de sa technique.

Il ne l'est pas, si, bien à tort il est vrai, on réserve ce nom aux impassibles.

Sa poésie ne se borne pas à charmer les sens ;

elle connaît les chemins de la pensée et du cœur.

Elle se complaît aux rimes opulentes, aux noms sonores, aux cadences pleines ;

mais elle a aussi des harmonies plus cachées et comme des voix plus lointaines et plus pénétrantes.

À côté des sonnets tels que Noce bretonne, Soir de juin, le Phare, où le souci de la plastique semble dominer, qu'on lise des pièces attendries et douces comme Penhoat, Action de grâces, l’Éventail, ou celle que j'ai déjà citée :

À mes Enfants, ou seulement cette délicieuse aqua-tinta, d'un sentiment si vif et si sobrement exprimé :

 

Ses grands yeux étaient transparents et vagues

Comme un froid tableau peint en camaïeu ;

Ses doigts où brillait le chaton des bagues

Étaient tristement veinés d'un sang bleu.

 

Sa tête n'avait ni rougeurs ni haies ;

Les désirs sans feu hantaient ses esprits,

Comme fait l'hiver un vol d'oiseaux pâles

Qu'on aperçoit mal au fond des cieux gris.

 

Sous les plis flottants du linceul de neige

Bouton alangui dont l'arbre s'allège,

Elle a laissé choir son front somnolent.

 

Et moi qui l'aimais et qui l'ai connue,

Je viens déposer sur sa pierre nue

Le nymphoea jaune et le pavot blanc.

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C'est à un précédent recueil — Au bord de la mer bretonne — que j'emprunte ces vers.

Depuis, la manière de M. Paban n'a fait que gagner en précision, en sûreté, en ampleur.

C'est un peu à la Bretagne qu'il le doit ;

et la Bretagne, à son tour, doit quelque reconnaissance au poète qui l'a chantée.

Il y a douze années, il disait à Brizeux, dont Lorient inaugurait la statue :

 

Elle n'est plus là, ta naïve idole,

Mais elle a des sœurs, et tu peux les voir.

 

Nous pouvons tous les voir et reconnaître qu'elles ressemblent bien à Marie, — pas trop, puisqu'elles sont aussi les sœurs de Neæra — et ce sont les Roses de Kerné.

 

À lire en ligne sur Gallica : Au bord de la mer bretonne : cliquer ici

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​(*) Adolphe Paban est un littérateur, fondateur-directeur de la Revue de la province et membre de plusieurs sociétés littéraires départementales, né à Combs-la-Ville le 13 novembre 1839 et mort le 18 avril 1909 à Concarneau.

 

Il est le fils d'un chirurgien major de l'armée, il étudia lui-même la médecine mais se tourna vers les travaux littéraires.

 

Il débuta par la publication de 3 volumes de Poésies (1859-1862) dont il reproduisit plusieurs pièces dans un 4e volume, Mes tablettes (1866) qui fut suivi de plusieurs autres volumes : Les Souffles, Voix des grèves, poésies, bibliographie et mélanges, Sonnets fantaisistes, Un drame dans un jardin, nouvelle, Le Petit Mercier, légende, Wolf, conte fantastique, Au bord de la mer bretonne : Alouettes et goélands, Les Roses de Kerné, Catalogue du musée départemental de Keriolet, Cantilènes, Bataille de Solférino (24 juin 1859), Poésies nouvelles.

 

Adolphe Paban a également été régisseur puis conservateur du musée de Keriolet à Beuzec-Conq, journaliste et rédacteur en chef (durant 16 ans) du journal républicain Le Finistère et a collaboré au Figaro, au Clocher breton de Lorient et a été le fondateur de la Revue de la province.

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