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1925

L'âme Quimpéroise
par François Ménez

 

 

La Dépêche de Brest 8 octobre 1925

 

Il ne semble guère que, depuis l'ancien régime, la vie de Quimper ait beaucoup changé.

Certains quartiers des faubourgs ont pu se parer du sourire des pierres neuves, mais les gens sont demeurés immuables, comme les lignes du paysage ou comme le rythme des marées.

 

Tel aujourd'hui qu'il y a deux siècles, le Quimpérois a le teint frais, le parler volubile, la démarche aisée du « noble homme » sur qui ne pèse pas l'insécurité des lendemains.

Il a, comme jadis, le plus grand souci des dignités, titres, honneurs et préséances.

Porte-robe ou pèse-épices, il jette sur le campagnard qui, deux fois par semaine, lui vient vendre ses produits, un regard où subsiste quelque trace d'un dédain héréditaire.

Le Fouesnantais demeure pour lui le « malez », le Bigouden le « drant Doué » dont, aux époques de misère, il appréhenda les révoltes.

Il aime le plaisir, d'où qu'il vienne :

les jeux, les cafés, la danse, les beaux cortèges et recherche d'un même cœur la joie mystique des pardons et les délices païennes du Carnaval.

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Fier de sa ville, sensible au privilège d'y habiter, il n'a guère l'attention tournée vers ce qui se passe au dehors.

La marée, qui lui rend visite deux fois le jour, ni les voiliers qui penchent leurs vergues sur le silence des quais, ne lui ont point donné le goût des desseins aventureux ni des lointains voyages.

Les Kerlérec et les René Madec y furent, de tout temps, des exceptions très rares.

Hémon eût mieux aimé, affirme-t-on, être buraliste à Bénodet que gouverneur en Algérie.

 

Le Quimpérois vit d'un assez mauvais œil, vers le déclin du dernier siècle, créer le chemin de fer qui devait le sortir de son isolement.

Certains originaux de l'époque manifestèrent, paraît-il, leur regret, en faisant à la vieille Bretagne des funérailles symboliques, et fort heureusement prématurées.

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René Madec,

né le 27 février 1736 à Quimper

mort à Quimper le 28 juin 1784.

 

Encore de nos jours, Quimper compte bon nombre de ces « émigrés à l'intérieur » — pareils au Piphanic de l'Âme bretonne — obstinément fidèles aux modes et aux usages du passé.

Telle respectable aïeule, à besicles et à rotonde, que vous croiserez chaque matin, entre les Halles et la Terre au Duc ; tel vieux bourgeois à sous-pieds et à feutre clairs, la moustache en bataille, raide et sec comme un demi-solde, sont, à n'en point douter, des contemporains de Balzac qui se refusent à rien apprendre et à rien oublier.

 

Mais si le Quimpérois s'attache à sa ville, s'il a le respect des vieilles pierres et des vieilles habitudes, peut-être est-ce par routine et indolence autant que par véritable culte des choses du passé.

Accoutumé depuis des siècles à vivre sans tracas, derrière le double rempart de ses murailles et de ses collines, il s'est acquis un vieux fonds d'épicurisme et d'aimable insouciance.

 

Il n'est pas, plus que jadis, l'homme des emportements fougueux, ni des enthousiasmes inconsidérés.

Son âme est indécise et douce comme les ciels de Cornouaille ;

elle a la sérénité des barques qui remontent, le soir, entre les peupliers des rives, sur le frisson vert des marées.

Tout en elle continue d'être mesure, prudence, harmonie.

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Jean-Baptiste Louvet de Couvray

(1760-1797)

 

Même dans les luttes politiques, le Quimpérois aime le bon ton et les nobles harangues.

Il fut porté de tout temps aux opinions moyennes, et toutes les fois qu'il dut prendre parti, batailla du côté des sages et des forts.

Il ne bougea point durant la révolte des Bonnets Rouges, alors que les tocsins, sonnant aux églises, depuis lors découronnées, de Lambour et de Languivoa, appelaient au sac des châteaux les Bigoudens rebelles.

Il fut avec Maupeou pour la réforme des Parlements.

Aux jours tragiques de la Terreur, il offrit un asile aux Girondins traqués et Louvet, aussi longtemps qu'il lui plut, vécut son idylle avec Lodoïska dans son refuge de Penhars.

S'il a parfois eu le mérite de montrer le chemin, le Quimpérois ne s'y est jamais engagé bien résolument.

Et c'est ainsi que Kervélégant, après s'être laissé gagner par la grande contagion révolutionnaire, s'éteignit vingt ans plus tard dans sa solitude de Toulgoët, réconcilié avec l'Église et la monarchie, tenaillé par l'angoisse et le remords...

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Augustin Le Goazre de Kervélégan

(1748-1825)

 

Les édifices, dans la capitale du roi Gradlon, n'ont guère plus changé que les âmes.

Quimper n'a pas manqué de subir, comme les plus vénérables villes de la terre, l'intrusion du goût nouveau, sous la forme des ponts métalliques, des bazars sang de bœuf, des hôtelleries meublées de vieux neuf, où se débitent à la carte la langouste des Glénans et le gigot léonard.

Mais elle n'en a point trop souffert dans son atmosphère ni dans ses lignes essentielles.

 

— Ville délicieuse et parfaite, en a dit M. de Chateaubriand, si florentine sous le regard de son vieux cavalier de pierre »…

 

Et certes, tout y, rappelle, comme à Florence, un long passé de poésie et de gloire.

Dans son cadre d’harmonieuses collines, Quimper aussi repose, comme un bouquet, dans le creux d’un beau sein.

Et la campagne qui l’avoisine respire comme les jardins toscans, un air d’abondance et de bonheur.

 

Mais nous ne lui avons point trouvé ce visage sévère et dur qui frappa Maurras, comme un coup au cœur, en débouchant devant Sainte-Marie Nouvelle, non plus, chez ses habitants, ces masques à fureurs peintes, âpres enseignes du désir, portant la trace des flagellations du Destin.

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Charles Maurras,

vers 1908.

 

Les flèches de Saint-Corentin, dressées dans les brumes, comme les piles d'un pont mystique, nous ont paru aussi différentes des campaniles florentins et de la tour sombre du Bargello, que le roi Gradlon, primitif et débonnaire, des tyrans magnifiques et voluptueux que furent les Médicis...

 

Quimper, ville toute de langueur, endormie, avec ses rêves et ses souvenirs, sous les brumes fluides de Cornouaille, nous la reverrons, à la tombée de l'arrière-saison, quand les marronniers joncheront de leurs feuilles d'or le Parc et la rabine, et que l'automne l'aura rendue à son silence monacal.

 

Lors, au lieu des touristes bruyants, nous n'y rencontrerons plus, frôlant les boutiques, que les paysannes venues pour s'approvisionner, au seuil de l'hiver, des villages lointains, ou, de loin en loin, les jours du vapeur d'Audierne, quelques groupes d'Iliennes, au beau profil de Juives, promenant par les rues leur deuil éternel.

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Ce sera vers la première ombre de nuit, quand les glas de Saint-Mathieu répondront aux cloches de Locmaria et de la cathédrale.

Le jardin du Chapitre, dans l'ombre immense du chevet, offrira à notre rêve un refuge archaïque.

Nous nous y asseoirons, sous les lierres de la courtine, dans le silence du chemin de ronde.

Nous monterons par la rue Obscure, entre le double rang des maisons grisonnes, dont les pignons, à cette heure d'ombre, finiront, au-dessus de nos têtes, par se rejoindre.

Nous humerons l'odeur du beurre frit, autour des boutiques des crêpières, et regarderons clignoter les lumières, aux vitres des fenêtres anciennes.

 

Tournant par la courtine de Kerfeunteun, nous reviendrons à petits pas, longeant les hôtels muets, par le dédale des vieilles rues :

des Vendanges, de Kergariou, des Gentilshommes, où, selon la belle expression de Barrés,

« l'herbe verdoie sous un silence prodigieux ».

Peut-être, nous penchant aux croisées, à travers les carreaux verdis, y verrons-nous Madame de Pompery dansant un menuet, face au conseiller de Silguy ou à M. de Keriner, et non loin, dans l'ombre propice d'une plante verte ou d'un paravent, la belle Madame Colonna jouant en a-parte son cœur avec un cadet du régiment de Beauce.

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Madame de Pompery

 

Ayant franchi le Steïr au pont Médard, nous poursuivrons notre promenade et regagnerons la Terre au Duc par les venelles de la Gaze et du Pain-Cuit.

 

Nous tendrons l'oreille aux voix du passé, montant des vieilles pierres ;

longtemps encore, elles nous diront l'histoire d'un peuple aimable, fin, sympathique entre tous, en ce qu'il sut joindre la gaîté, la tolérance, l'esprit d'équilibre et de mesure à la poésie instinctive et à l'idéalisme éternel de la race

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