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1926

La Montagne Noire
par
François Ménez

 

 

Source : La Dépêche de Brest 20 mars 1926

 

La Montagne Noire est, sur l'autre rive de l'Aulne, entre les deux Cornouailles, intérieure et maritime, une réplique de l'Arez, mais moins âpre et plus verte.

Elle étire, des landes de Glomel au signal de Laz, sa double ligne de crêtes, gréseuses ou granitiques, entre lesquelles le canal se fraye un sillon au milieu des pâturages et des ardoisières.

Puis les deux crêtes se rapprochant, se rejoignent en une succession confuse de cairns dénudés et de hautes landes qui s'abaissent, aux marais de Briec, pour laisser passage aux grandes routes de Brasparts et de Châteauneuf et se redresse à nouveau pour finir, à la presqu'île crozonnaise, par les sommets de Locronan, de Névet et du Ménez-Hom.

 

Rien, certes, dans ce chaînon occidental, qui enserre le Porzay dans son vert hémicycle, n'est de nature à justifier cette appellation funèbre de Montagne Noire, évocatrice de paysages sombres et de lugubres horizons.

 

On éprouve une impression toute différente lorsqu'on la découvre, des hauteurs de Quéménéven ou de Landrévarzec, dans la plénitude de ses lignes et l'extrême variété de ses tons.

C'est ainsi qu'elle m'est apparue, des estuaires de l'Aulne et de la rivière du Faou aux croupes bleuâtres du Poher, sous un pâle ciel de lavande, par un matin d'août que les cloches emplissaient de sonneries légères.

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Châteaulin dormait au fond du val, mirant dans le canal la double ligne de ses quais blancs, nouant comme des rubans ses routes claires autour de sa colline et de sa chapelle de Notre-Dame du Mûrier.

Au loin, la rade étincelait, étreignant dans les courbes de ses fiords des jardins en cascades et des ruines blanches de monastères.

D'un autre côté, vers Saint-Ségal, l'Aulne s'infléchissait en longs méandres, égayée de chalands qui portaient aux champs pierreux de la montagne le maërl du Poulmic et de l'Hôpital.

Face à nous, sur les premières pentes de l'Arez, Rumengol se dérobait dans un repli bleu des collines.

 

Le paysage, dans l'ensemble, était plein d'harmonie et de sévérité.

Cette terre du Faou et de Châteaulin avait le charme d’un très vieux pays, où le silence est doux autant que la lumière où la nature dispense sans contrainte ses dons magnifiques, bien faite pour servir de refuge aux vieux rois errants et aux moines d'Hibernie.

C’était comme un coin du Trégor, au sein de la Cornouaille plantureuse, mais avec quelque chose de plus alangui et de plus sensuel, et de plus large en ces horizons.

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Chapelle gothique de Saint-Vennec

 

Cette atmosphère trégorroise, baignée de mysticité, je l'ai retrouvée ce même jour, sur l'autre pente de la montagne, en visitant, en compagnie du savant M. Waquet et d'Alphonse de Chateaubriant, la chapelle de Saint-Vennec, voisine du manoir de Trémarec, où le chevalier de Kerguelen vécut sa mélancolique enfance.

Elle apparaît, en son cadre d'arbres verts, comme l'un des grains de ce chapelet mystique d'oratoires :

Kergoat, Ilijour, les trois fontaines, qui relient la douceur marine à la rudesse du vieux Poher.

 

Renan l’eut aimée, cette chapelle finement ouvrée par un maître d'œuvre du quinzième siècle, et qui ressemble à un reliquaire d'argent  gris, posé sur un socle de mousse.

Elle lui aurait rappelé ses promenades d’enfant, en compagnie de sa mère, et ses pieuses visites à des sanctuaires tout pareils, entre Plouguiel et le Lédano.

Le saint Georges en chêne rongé qui ne fait songer, que de bien loin, au bel adolescent florentin, et la sainte Gwenn archaïque qui tend sa triple mamelle aux lèvres gloutonnes de Gildas, de Vennec et de Guénolé, lui eussent sans nul doute inspiré des propos d'une malicieuse tendresse.

Et il n'eût pas manqué de gémir sur la tristesse des temps qui laissent tomber à l'abandon d'aussi charmantes vieilleries.

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Spézet

L’entrée du bourg, route de Châteauneuf du Faou

 

Plus encore que ces derniers contreforts de Landudal et de Landrevarzec, la région de Saint-Goazec et de Laz est un pays d'émeraude, débordant de pittoresque et de fraîcheur.

Je n'évoquerai jamais cette partie verte de la montagne sans retrouver la saveur d'un bol de lait que j'y bus un jour d'été, sur la route de Spézet, en une salle de ferme où des lits clos sombres égayaient de brillants clous de cuivre.

 

C'était chez un vieux carrier de Guernagoc, guilleret encore, malgré ses quatre-vingts ans sonnés — l'œil plein de malice dans une figure rose et ridée comme une vieille pomme — et qui s'enorgueillissait de compter plus de soixante descendants, de l'aîné de ses fils au dernier venu de ses arrière-petits-enfants.

 

L'intérieur de cette maison, perdue dans le silence de la montagne, n'avait guère dû varier depuis un siècle.

Un chat ronronnait sur le banc-dossier, dans l'ombre de l'âtre.

Il entr'ouvrait par moments ses yeux qui luisaient avec fixité.

Et l'on ne savait trop si c'étaient les yeux du chat ou deux, clous de cuivre du lit-clos.

Au-dessus de la cheminée immense, un vieux fusil, du temps de la Chouannerie, il était accroché entre un chandelier d'étain et un paquet de chenevottes.

Une vaste bassine de cuivre, qui servait, à l'automne, à fabriquer le miel, brillait, suspendue au mur, comme un soleil.

Il y avait, au-dessous, des images pieuses aux couleurs vives de miniatures et des « portraits » de temps lointains, fanés et comme usés, qui représentaient de très vieilles gens en très vieux costumes de Coray ou de Châteauneuf.

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Passant devant la maison, le chemin de Spézet descendait, sous un dôme d'ombre verte, jusqu'aux ardoisières de l'Aulne, de Guernagoc et de Kermorvan.

L'on était tout surpris, en plein paysage d'églogue, d'entendre s'éveiller soudain toutes les rumeurs de la vie industrielle moderne, le pic des carriers et le grincement des treuils répondant au ciseau des fendeurs.

 

La route, d'un autre côté, remontait, avec de multiples détours, vers le village de Saint-Goazec :

Quelques maisons de guingois, autour d'une église trop neuve, et une maison d'école aux classes tout assombries par les branches débordantes des pommiers.

Ce chemin, embaumé de chèvrefeuilles et de sarrasin en fleur, côtoyait, sur sa gauche, la forêt, dont les érables, les bouleaux, les hêtres et les pins grimpaient à l'assaut des cimes en un joyeux moutonnement, étreignant de leurs frondaisons les blanches aiguilles du Roc'h Yell, du Ménez an Aotrou et du signal de Laz.

 

À mi-pente, en plein cœur des bois, le château de Trévarez, avec ses toits aigus et ses persiennes closes, avait l'air dans le recul des nobles avenues, d'abriter le sommeil de quelque' princesse au Bois dormant.

Et non loin, de l'autre côté de l'Aulne, qu'enjambait un vieux pont gothique, Châteauneuf -du-Faou, avec ses rues capricantes, ses vieilles maisons à auvents et sa chapelle de Notre-Dame des Portes, semblait un coin de Moyen Age, comme une boîte de Nuremberg oubliée par mégarde, dans le frais silence des collines.

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