1928
La chapelle de Kergoat,en Quéménéven,
possède-t-elle
deux tableaux de Valentin ?
Source : La Dépêche de Brest 12 mars 1928 et 13 mars 1928
Les plus récents Guides de Bretagne, y compris la dernière édition du Guide Bleu signalent dans la remarquable chapelle de N.-D, de Kergoat, située sur la route de Locronan à Quéménéven, en cette dernière commune, deux tableaux du peintre Valentin, artiste renommé qui, Guingampais de naissance, devint Quimpérois d'adoption et repose depuis 1805 sous le porche de la petite église du faubourg de Kerfeunteun.
Ayant eu récemment l'occasion de visiter Kergoat, j'ai voulu tirer la chose au clair, si toutefois il est permis de s'exprimer ainsi en parlant de deux toiles où la poussière et l'altération des couleurs ne permettent de distinguer que de faibles linéaments, de vagues silhouettes de personnages.
Il y a, en effet, dans les chapelles du transept, deux peintures encadrées par les boiseries de l'autel, et qui représentent, à gauche un prêtre administrant à une mourante les derniers sacrements, à droite, la scène bien connue de l'institution du Rosaire, l'une et l'autre effacées, dégradées, à peine reconnaissables.
Sont-ce réellement là des originaux de Valentin ?
Les gens avertis l'assurent ;
ils ajoutent même que le tableau de l'Extrême-Onction fut inspiré à l'artiste par la mort prématurée d'une dame de Keroulas habitant le manoir voisin de Treffry, et qu'une- maladie subite arracha en pleine jeunesse à la tendresse de son mari, à l'affection de ses enfants.
Une bienveillante communication contrôlée par quelques renseignements puisés à diverses sources, me permettent de révéler exactement ce qu'il en est de cette attribution et de l'histoire de la pseudo-marquise de Keroulas.
On voit dans le registre des délibérations du corps politique de Quéménéven, à la date du 21 juillet 1774, que les délibérants donnent tout pouvoir à leur recteur, M. Pièderrière, « de faire faire deux tableaux pour les deux autels qu'on place actuellement au Kergoat, à un des autels le tableau du Saint-Rosaire et à l'autre le tableau des Agonisants, promettant ledit Général d'approuver et trouver pour agréable tout ce que ledit recteur fera à ce sujet. »
Il est probable que le blanc-seing octroyé au pasteur de Quéménéven ne fit que ratifier des pourparlers engagés depuis longtemps déjà avec Valentin, puisque l'un des tableaux portait la date de 1772, l'autre étant de 1774.
Peut-être la première de ces toiles avait-elle été exécutée à l'intention d'une autre église, qui n'en avait pas pris livraison et la commande de la fabrique de Kergoat vint à point pour permettre à son auteur d'en trouver l'emploi.
Le sujet du tableau des derniers sacrements s'explique par ce fait qu'une confrérie des Agonisants, à laquelle le Pape Innocent XII avait accordé en 1695 une bulle d'indulgences, avait son siège dans la chapelle ;
et la confrérie du Rosaire existait à Quéménéven depuis plus d'un siècle.
Le registre n'indique pas, et c'est fâcheux, combien ces tableaux furent payés.
Il est possible que le peintre ait songé dans la toile de l'Extrême-Onction, à rappeler la mort de Marie-Anne de Musuillac, première femme de René-Henri-Louis de Keroulas, seigneur de Treffry, décédée vers 1763 en laissant au moins deux filles, bien qu'un intervalle d'une dizaine d'années entre ce triste événement et l'exécution du tableau rende leur corrélation au moins douteuse.
Un demi-siècle plus tard, l'humidité de la chapelle, qu'entourait un épais massif d'arbres, avait occasionné aux œuvres de Valentin de déplorables dommages, et, écrivait en 1838, M. du Châtellier, dans l’Armoricain, journal de Brest :
« Les inhabiles réparations qu'y avaient déjà faites quelques ouvriers n'avaient pas peu contribué à en précipiter la perte, lorsqu'un jour le desservant de la paroisse, depuis longtemps préoccupé du riche dépôt qu'il possédait, invita deux amateurs de Quimper à venir reconnaître l'état où se trouvaient les tableaux.
L'un d'eux, le plus beau, était dans un tel délabrement qu'il fut mis en question s'il pourrait jamais être restauré. »
On eut d'abord l'idée d'en faire une copie, puis on prit la décision de les transporter à Quimper et d'en tenter le sauvetage.
Cette restauration, poursuit le journal, vient d'avoir lieu au château de Kerrien par les soins de M. Gowland, artiste et amateur anglais qui habite ce lieu.
(J'ajouterai que de temps immémorial, il y a toujours eu un Anglais à Kerrien et qu'en 1928, la tradition est plus vivace que jamais).
Reportés sur de nouvelles toiles, les deux tableaux de notre compatriote peuvent durer encore longtemps, et c'est réellement une bonne fortune pour le pays que de voir ainsi remis en état deux des morceaux les plus remarquables que nous ayons vus de l'artiste qui a laissé, parmi nous une réputation si populaire et si méritée.
Il faut admettre cependant que réparation célébrée par M. du Châtellier fut incomplète ou maladroite car trois ans plus tard, ses heureux effets ne subsistaient déjà plus.
En 1845, M. Quatrevaux, recteur de Quéménéven, écrivait à l'évêque que dès 1841, les tableaux s'étaient « couverts d'une moisissure qui laisse a peine entrevoir les figures » et que les toiles commençaient à se décoller et à tomber en morceaux.
Il avait demandé inutilement au préfet un secours pour les faire restaurer, à Paris, et il avait non moins inutilement offert au Conseil municipal de Quimper de les lui céder, à contrition d'obtenir en retour deux copies.
Trois amateurs consultés estimaient que le tableau de l’Extrême-Onction était à peu près perdu, que celui du Rosaire pouvait encore à la rigueur être sauvé, mais que dans ce dernier les poses manquaient de naturel, et que l'un ni l'autre, peints avec négligence, ne pouvaient compter parmi les meilleures œuvres du maître.
En 1846, le baron Boullé, préfet du Finistère, répondait au recteur que la municipalité de Quimper s'obstinait à refuser son offre, qu'il s'était adressé au ministre mais que ce dernier n'avait encore pris aucune décision.
Après une visite de M. Barret, ou Barré, professeur de dessin au collège de Quimper, le recteur proposa à l'évêque de lui céder les deux tableaux pour sa chapelle, moyennant des copies.
« Quant à nous, nous pouvons nous passer des monuments ;
il nous faut simplement des tableaux qui puissent flatter pieusement l'attention de nos bons laboureurs, sans pourtant être dédaignés des soi-disant connaisseurs qui visitent en passant notre chapelle. »
La réponse de Mgr Graverain fut d'abord négative.
Il en écrivit cependant au ministre des cultes et lui exposa que M. Barré s'offrant à faire chaque copie pour la modique somme de 350 francs, l'octroi d'un secours aurait le triple et heureux résultat « d'arracher deux beaux tableaux à une destruction prochaine, de contribuer à l'ornement de la chapelle du palais épiscopal, qui est à peu près nue, et de stimuler le zèle d'un jeune peintre dont le talent mérite les pins grands encouragements ».
Cette proposition ne fut pas du goût du ministre ;
il répondit, le 22, février 1847 « qu'il convenait, dans l'intérêt même du culte, de maintenir les tableaux religieux dans les églises où ils sont placés, et que leur grande valeur est un motif de plus pour ne pas en dépouiller celles qu'ils décorent ».
Il exhorta, la fabrique et les habitants de Quéménéven à faire tout leur possible pour sauver les toiles de Valentin, en ajoutant que c'est seulement dans le cas où tout espoir, de les conserver serait entièrement perdu que l'État pourrait en envisager l'acquisition à dire d'experts.
Le ministre se ravisa peu après, et informa le préfet qu'il allait charger un artiste choisi parmi la division des Beaux-Arts de restaurer les deux tableaux de la chapelle de Kergoat.
Entretemps, l'évêque s'était décidé à entrer dans les vues du recteur de Quéménéven et s'était fait adresser les tableaux, qu'il avait confiés à M. Barré pour en faire des copies.
Cet artiste y travaillait en mars 1847, et demandait qu'on lui laissât achever son œuvre avant l'envoi des originaux dans la capitale.
Les trois ou quatre semaines qu'il jugeait d'abord suffisantes se prolongèrent si bien que ce fut seulement, au mois d'août que ces copies purent être placées sur les autels de Kergoat.
Ce sont elles qu'on montre aujourd'hui au touriste comme les chefs-d’œuvre authentiques,
mais bien malades, de Valentin.
Ceux-ci ne firent pas le voyage de Paris : ils demeurèrent dans la chapelle de l'évêché.
Malgré tout, le recteur ne renonçait pas à tout espoir de les voir un beau jour, intelligemment restaurés, venir, orner de nouveau le beau sanctuaire de la Forêt-au-Duc ; et il s'informait encore, en 1850, des démarches à faire pour obtenir qu'ils fussent repérés par les artistes attachés au Musée du Louvre.
Peine inutile ! en 1871, lorsque Yan Dargent peignit les fresques de la cathédrale, il tenta de retoucher la scène de l'Extrême-Onction, alors reléguée dans un corridor du palais épiscopal.
Aujourd'hui, ce tableau, dont l'état de dégradation fait peine, se voit appendu au mur de la sacristie de la cathédrale.
Quant au tableau du Rosaire, nul ne sait ce qu'il est devenu.