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1933

Dans le Léon noir
par François Ménez

 

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Source : La Dépêche de Brest 10 octobre 1933

 

Le Léon, qui a la réputation injustifiée d'une terre uniment sombre, a des coins de douceur qui l'apparentent à la Cornouaille ou au Trégor, particulièrement au long des abers.

 

Il me souvient de l'enchantement que j'éprouvai, par un tomber de soir du dernier mois de septembre, d'une majesté vraiment biblique, à descendre dans les creux boisés du Diouris, où l'Aber-Benoît glisse et bruit.

Je me rappelle avec plus de plaisir encore combien je fus surpris, un jour d'août brûlant, au sortir des landes roussies de Plouarzel, de rencontrer la petite église et le cimetière de Lanildut — un des plus frais de Bretagne — qui, face aux carrières rutilantes de mica, penche sur l'estuaire ses arbres et ses tombes.

 

Mais il existe aussi bien un Léon noir, dont le renom de mélancolie n'est point usurpé, et qui s'ouvre, au nord de Landerneau, comme on monte vers Ploudaniel ou Plounéventer.

 

Aux abords de la ville qui, tout au moins par l'apparence, est moins léonarde que cornouaillaise, vous avez l'illusion que la Cornouaille vous accompagne encore.

Vous respirez, des deux bords du chemin, son charme, sa douceur, sa fraîche odeur végétale, en longeant les beaux parcs où de vieilles maisons de nobles s'emprisonnent.

Et des chapelles comme Saint-Éloi, Sainte-Pétronille, sous leur housse de lichens argentés, viennent vous rappeler, au long de la route, le culte mêlé de paganisme des vieux thaumaturges des Monts.

 

Mais comme on s'écarte de l'Élorn, approchant de Ploudaniel, l'impression qu'on éprouve n'est plus du tout la même.

Le véritable Léon se découvre, jusqu'aux lointains du Folgoët et de Lanhouarneau, grand plateau nu hérissé de clochers, à peine creusé par les rides étroites des abers.

 

L'horizon s'élargit, immense et monotone, mais la végétation se fait moins riante et le paysage s'unifie sous un joug de tristesse et de silence.

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Tout annonce un pays de foi grave, où l'homme, replié sur lui-même, est triste comme sa terre, rempli de la crainte de la mort et du Jugement.

 

En d'autres paroisses du Léon de la mer, comme Plounéour ou Guissény, une brèche s'est faite, peu à peu, dans le rigorisme primitif.

L'on a dû compter avec l'esprit du siècle et faire, aussi étroite que possible, la part du feu.

C'est ainsi que la jeunesse a, paraît-il, acquis le droit de danser, une seule fois par semaine, non dans les salles d'auberges, mais au grand jour des places publiques, sous le puissant regard de Dieu.

 

Le Léon noir des paroisses terriennes, d'entre Plabennec et Plounéventer, se refuse à ces concessions.

Il condamne avec la même intransigeance qu'autrefois la danse, semeuse de désirs impurs, qui ouvre grandes les portes du péché.

 

La religion s'y est maintenue, avec la dureté des vieux temps.

Dans ce Léon des terres, résistant et tenace, îlot de passé que la grande marée moderne n'a pas encore submergé, l'on continue de vivre, dédaigneux du plaisir, selon la loi de Dieu.

 

Un des mystères de l'histoire bretonne, c'est que la foi huguenote n'ait point, au seizième siècle, du temps de Troïluz de Mesgouëz et d'Anne de Sansay, conquis cette terre de pénitence et cette race au dur génie si bien faites à sa mesure et que tout prédisposait, aurait-on pu croire, à l'accueillir.

Les tristes paysans du Léon, plus que les vignerons de Guyenne, semblaient devoir se jeter avec enthousiasme dans la doctrine de Calvin.

 

Or, d'un bout à l'autre des guerres de religion, en Basse-Bretagne, la presque totalité du Léon, hors les châteaux de Kérouzéré en Sibiril, et de Carman en Kernilis, se tint du côté de la Ligue.

Il fallut tous les méfaits d'Anne de Sansay, comte de la Magnane et l'enlèvement, par le « brigand de Cornouaille », Guy Eder de la Fontenelle, de l'héritière du Mézarnou, en Plounéventer, pour que le Léon rompît avec les Ligueurs et se rapprochât du roi Henri.

C'est du Folgoët que les notables de tous ordres, adressèrent au marquis de Sourdéac, gouverneur de Brest, leur soumission, protestant « n'avoir eu oncques l'intention de se désunir de l'État et couronne de France et que telle difficulté qu'ils faisaient de reconnoistre l'autorité de Sa Majesté n'était que dans la crainte de tomber sous la domination de l'hérésie ».

 

Ses évangélistes catholiques tenaient d'ailleurs le Léon d'une poigne dure et dont l'étreinte, depuis lors, ne s'est pas un moment relâchée.

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L'âme léonarde, Michel Le Nobletz et le père Maunoir l'ont façonnée, pétrie pour les siècles au point que leur esprit demeure vivant, dans les campagnes du Léon et dans les tableaux de mission — taolennou ar mision — qui, au dire des frères Blancs, demeurent toujours en usage en Basse-Bretagne, rendant plus directement intelligibles, à l'aide de l'enseignement par l'image, les préceptes de la foi.

 

Le souvenir des Templiers qui les précédèrent et furent pour ces dernières marches païennes de l'Armorique des apôtres sans douceur, se retrouve aussi vivace dans les croix orientales de carrefours, dont les rameaux s'inscrivent dans un cercle à trois points, qui est le symbole de la Trinité.

 

Ces croix « tournantes » de granit noir, dont la décoration rappelle si peu la pittoresque bonhomie des calvaires cornouaillais, ajoutent à la triste grandeur du paysage.

Leur ombre s'étend au déclin du jour, sèche comme une géométrie, sur la terre écrasée du silence du soir.

 

Et les bourgs aussi sont silencieux et vides, hormis le dimanche, après la messe.

Ainsi Ploudaniel, où le Conseil tint longtemps ses séances dans l'ossuaire désaffecté, comme pour s'inspirer de l'avis des morts et mieux persévérer dans la voie tracée par les ancêtres, pour les temps des temps.

 

Nulle terre, mieux que ce Léon de l'Élorn, d'entre les anciennes châtellenies de Landerneau et du Daoudour, ne mérite cette appellation appliquée par Jullien à la Bretagne : Terre des morts.

On comprend qu'au nord des marais de Land-Gazel, dans le champ de Diribin d'où il exhuma des urnes « de fabrique romaine », emplies de cendres et d'ossements, au carrefour des routes du Folgoët à Saint-Méen et de Lesneven à Ploudaniel, Miorcec de Kerdanet ait cru trouver, il y a plus d'un siècle, les ruines du cimetière d'Occismor.

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