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1936

Les beautés de notre rade

- Tibidy -

par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest 16 mai 1936

 

Certes, il est tentant d'entreprendre de longs voyages, de sacrifier à la mode en s’en allant excursionner à la montagne, à la plage, où il est bon ton de se montrer, à l’étranger ;

mais combien de ceux qui recherchent ainsi le titre de grands touristes peuvent prétendre connaître les beautés de leur propre région ?

 

Le Finistère, avec l'infinie variété de ses sites, de ses aspects, s'auréolant de magnificences architecturales, d'impressionnants vestiges du passé auxquels s'attachent les plus pures et les plus naïves légendes peut, sans conteste, se placer aux premiers rangs des départements touristiques.

 

À ne considérer que la seule rade de Brest, si curieusement découpée, si profondément creusée, combien de ceux qui vivent dans son voisinage immédiat peuvent se targuer d'en avoir suivi tous les contours et d’en avoir apprécié toutes les faces !

Et cependant, que de diversité dans ce fourmillement de baies, d'anses, de criques et d'estuaires ; que de splendides panoramas offerts du haut des falaises, des presqu'îles et des pointes !

 

Presqu'îles de Crozon, de Plougastel, de Logonna ; baies de Roscanvel, du Poulmic, de Daoulas ;

anses de Kerhuon, du Fret, de Lauberlach ;

estuaires de l'Élorn, de l'Aulne, des rivières de Daoulas, de l’Hôpital et du Faou, tout cela se diversifie de la plus surprenante façon et tout cela charme indiscutablement.

 

La fantaisie du tracé des rives de la rade n'en permet pas la visite rapide ;

son étendue laisse libre cours à toutes les découvertes.

 

Aux pointes des Espagnols, de l'Armorique, de Lanvéoc, le roc est aride, battu par la mer, déchiqueté ;

mais écoutez ces noms :

Doubidy, Bindy, Prioly, Tibidy, cela s'offre comme un gazouillis et se couvre de frais ombrages.

 

Connaissez-vous Tibidy, cet îlot qui prolonge la presqu'île de L'Hôpital-Camfrout, face à Landévennec ? 

Il fut le berceau de l'histoire merveilleuse de saint Guénolé, mais n'était alors qu'un pauvre rocher dénudé tourmenté par les vents.

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— Gurdestin, dit M. de Kerdanet, rapporte que saint Guénolé avait environ 21 ans, lorsque saint Patrice, l'apôtre de l'Irlande, lui fit connaître, dans une apparition, que Dieu demandait de lui qu'il quittât l'île des Lauriers et son cher maître saint Budoc, et qu'il allât chercher une autre solitude pour y travailler lui-même à la vigne du Seigneur.

Il fit part de cette vision à saint Budoc, qui lui choisit entre tous ses disciples onze des plus parfaits, dont-il le nomma le supérieur et, après les avoir tendrement embrassés tous et leur avoir donné, en pleurant, sa bénédiction, il les abandonna à la divine Providence, sans savoir où il les envoyait, ni quel lieu cette Providence adorable leur avait destiné.

 

Nos religieux quittèrent l'île des Lauriers pour se rendre sur la terre ferme.

Ils traversèrent la cote septentrionale de l'Armorique  et vinrent s’établir dans une île déserte près de l'embouchure de la rivière d’Aulne, où ils vécurent d'une manière si édifiante qu'ils firent bientôt changer le nom de l'île, appelée Topaja, en celui de Ty-bidi, qui signifie lieu de prières, nom qu'elle retient encore et qu'elle doit conserver, dit-on, jusqu'à la fin des siècles.

 

Ils y passèrent trois ans entiers.

La terre, arrosée de leurs sueurs et de leurs larmes, répondit assez abondamment à leur travail.

Elle leur donnait des herbes, des racines, avec une petite quantité d'orge.

Mais les vents de mer y étaient si violents et les tempêtes si fréquentes, que le saint fut obligé de transférer son habitation de l’autre côté de la rivière, pour se mettre à l'abri dans un vallon.

 

Ce fut dans ce passage sur le continent que, n'ayant pu trouver de vaisseau, saint Guénolé frappa la mer de son bâton :

L'Océan s'ouvrit aussitôt et laissa voir le fond de ses abîmes.

Les flots se suspendirent des deux côtés et notre saint, ainsi que ses disciples, passèrent ce trajet sans se mouiller.

C'est ainsi que saint Guénolé vint fonder le fameux monastère de Landévennec.

Saint Guénolé - Église de Plouguin.webp

Saint Guénolé

Église de Plouguin

 

Il ne reste plus trace à Tibidy du séjour de saint Guénolé, mais on a soigneusement jalonné certains emplacements.

Le salut d’un si grand saint ne pouvait se perdre.

En effet, les miracles étaient pour lui chose courante il ressuscitait les morts, rendait la vue aux aveugles, guérissait instantanément les pires blessures et les malades les plus gravement atteints.

 

Albert le Grand cite de multiples exemples :

— Une des sœurs de saint Guénolé, dit-il, chassant un jour des oies sauvages par la cour du château de Lesguen (*), une de ces oies lui tira un œil de la tête et l'avala.

Cet accident attrista fort ses père et mère.

Saint Guénolé, étant en oraison en son monastère, fut averti par un ange de ce qui se passait chez son père.

Il s'y en alla en diligence et, l'ayant consolé, empoigne l'oie, lui fend le ventre, en tire l'œil et le remet en sa place.

Et faisant le signe de la croix dessus, le rendit aussi clair et beau que jamais.

(*) Château de Lesven commune de Plouguin

 

On comprend qu'avec un pareil parrainage, l'îlot de Tibidy se soit complètement transformé.

Il n'apparaît plus guère aujourd'hui qu'il fut un simple roc aride et éventé.

 

Ceinturé d'arbres touffus, il possède un beau verger, un ample potager et un château le couronne.

Sur une large pelouse a été planté un monolithe qui marque l'emplacement de la chapelle de saint Guénolé.

 

À quelque distance était un puits dû au miraculeux pouvoir du saint, mais qui n'est plus aujourd'hui qu'une sorte de cèdre poussé au-dessus de la margelle enfouie.

Tibidy, qui doit être prochainement transformée en colonie de vacances, n'a rien conservé de son aspect primitif.

Elle est reliée à présent à la côte verdoyante toute proche par une digue et est entourée d'une passerelle qui permet aux pêcheurs de débarquer à son aplomb.

 

Face à l'île d'Arun, au Prioly, à l'embouchure de l'Aulne et à Landévennec, Tibidy jalonne l'une des baies les plus reposantes et les plus douces de notre rade.

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