top of page


1937

Chez nous cet automne
par François Ménez

 

 

Source : La Dépêche de Brest 17 octobre 1937

 

La Bretagne, au cours de cet été admirable, qui ne veut pas finir, s'est vue de nouveau envahie par des légions de visiteurs.

Jamais, depuis les belles années de la prospérité, sans doute un peu factice, qui suivirent immédiatement la guerre, nos plages ne connurent une telle faveur.

Et non point seulement nos plages, nos coins de côtes perdus, jusqu'alors ignorés du tourisme, mais aussi la Bretagne intérieure qui, pour la splendeur des sites, ne le cède en rien à l'Armor.

Les hôteliers furent débordés ;

il fallut coucher dans des soupentes, des hangars, et en certains cas, m'a-t-on rapporté, jusque dans des églises.

 

L'invasion fut de courte durée.

Il suffit de quelques jours de crachin passager, dans la première décade de septembre, pour entraîner l'exode à peu près général de ces visiteurs.

Déplorons-le pour les hôteliers qui gagneraient à voir se prolonger jusqu'en octobre, la saison.

Mais nous y avons gagné, de notre côté, en cette fin exquise de septembre, puis dans cet été de Saint-Michel, d'autant plus charmant qu'on le sent fugitif, de retrouver la Bretagne rendue à elle-même, plus belle qu'elle ne fut jamais et telle que les touristes ne la connaissent point.

Car les deux plus beaux mois bretons sont mai et octobre.

 

Quel charme de rouler, par des routes presque solitaires, sous le ciel d'un bleu passé parcouru de nuées, bordées d'arbres ou de haies de coudriers qui, par places, commencent à jaunir !

Cet agrément, je l'ai éprouvé, aux derniers temps de septembre, en allant, par Cast, de Châteaulin à Locronan, et puis à Douarnenez.

 

C'est une des plus pittoresques routes du Finistère, et aussi ces moins fréquentées.

Mais elle avait, en cette saison où les touristes étaient partis, une beauté particulière.

Je n'ai jamais vu la Montagne de Locronan, le Ménez-Hom et le pays du Porzay sous une lumière plus nuancée que par ce matin de septembre.

Il avait plu, le matin ; les arbres en étaient encore tout dégouttelants.

Les prairies avaient une fraîcheur de mois de mai, et dans le vert de l'herbe mouillée, saignait le chaume des champs de sarrasin fraîchement fauchés.

Dans les lointains de Plomodiern et de Plonévez-Porzay, des villages essaimés semblaient des caravanes de toits bleus et de pignons blancs.

La baie de Douarnenez, dans sa bordure de grèves en festons et de promontoires alternés, que fermait le cap de la Chèvre, avait les tons qu'on lui voit dans les peintures de Désiré Lucas.

​

Louis Marie Désiré-Lucas

 

On roulait trois kilomètres durant sans croiser une voiture ni entendre un coup de « clackson ».

Traversant Locronan, on retrouvait la bourgade, telle qu'au temps des vieilles Troménies, déserte et désuète, sans rien voir des hostelleries, ni des étalages de vieux saints en bois neuf et de cartes postales peintes.

 

Le soir, longeant les Montagnes Noires, entre Briec et Châteauneuf, c'était la même Bretagne des tombers d'automne, que ses visiteurs avaient fuie, qui vous accueillait au seuil des villages, au bord des vergers rougis de pommes mûrissantes, ou au long de l'Aulne miroitant entre des rives vertes.

On entendait, de ferme en ferme, le ronron des batteuses de blé noir, une vieille femme filait, apparition d'un autre monde, sur le pas d'une porte, au carrefour de Saint-Thois.

 

Passé Carhaix, l'Hyères était redevenue la petite rivière d'autrefois, toute aux histoires de ses moulins et aux caquets des saules, sur ses berges, mirant le clocher du Pénity.

On sentait, dans la traversée de Callac, la bonne odeur de crottin des jours de foires, qui égrènent, vers Bulat, Plougonver et Moustéru, le chapelet des carrioles à pont-levis.

Des femmes tricotaient sur les portes ; on voyait dans les lointains de Lohuec, puis de Belle-Isle, moutonner les grands bois noirs du Beffou et de Coat-an-Noz.

​

Jim Sévellec

 

Douceur des commencements d'automne, où la Bretagne est tendre et nostalgique, plus qu'à l'accoutumée, où chaque détour de chemin vous ramène par bouffées, de votre enfance, des parfums, des visions et des souvenirs.

 

Cette douceur, on la retrouve aussi bien à Brest, dont le véritable climat est le début d'automne.

Brest, engourdi l'été, reprend en septembre son activité et sa couleur.

On ne peut mieux en juger qu'en le découvrant du septième de Jim Sévellec, qui commande toute la ville et toute la rade, et laisse même entrevoir, par temps clairs, par-delà l'échiné de Crozon, les Tas de Pois et le cap de la Chèvre.

Brest, vu de cette altitude, a des tons de pastels :

des gris, des bleus et des verts, au milieu desquels se jouent, sur le rectangle des Glacis, large à peine comme un mouchoir de gabier, le rouge et l'ocre des boutiques foraines.

 

La Bretagne maritime, franche et rude, mais combien cordiale, qui sent le filin et l'embrun, c'est dans les cafés de Brest, qui sont les plus vivants cafés du monde, qu'on est sûr, à toute heure, de la rencontrer.

​

Saint-Pol-Roux

 

Elle était présente, ce soir d'arrière-saison encore ensoleillé, où je m'y attardai avec Saint-Pol-Roux et Sévellec, devant un « breuvage hypocrite ».

Cela faisait une paire de vrais Bretons, car Saint-Pol, avec Gabriel Vicaire, de Ploumanac'h, est la plus parfaite conquête poétique que la Bretagne ait jamais faite.

Et bien Bretonnes aussi, Divine Saint-Pol-Roux, charmeuse de mouettes blessées, et tante Lulu Beghin.

 

Saint-Pol-Roux, tout à fait oublieux de sa Provence, contait sa campagne d'été, à Camaret.

Et il nous disait la recette d'une bouillabaisse, à base d'aiguillette et de pironneau, dont le puissant Alcover et Colonna Romano n'arrivaient point à se rassasier et qui laissait loin derrière elle les bouillabaisses surfaites du Vieux Port marseillais.

 

Tout près de nous, un Vatel lesnevien tendait l'oreille, et le commandant Malbert, en qui revivent la barbe blanchissante et les yeux pleins de rêve de Le Braz, songeait à des mers démontées, dans les mauvais courants de l'Iroise.

​

Commandant Malbert

​

bottom of page