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1937

Visite au Folgoët
par François Ménez

 

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Source : La Dépêche de Brest 3 mai 1937

 

C'est une belle chose que de découvrir, dans le lointain du Léon, la haute flèche du Folgoët. par quelque temps qu'il fasse et de quelque côté qu'on vienne : de l'Aberwrac'h, de Plabennec ou de Lanhouarneau.

 

Montant de quelque creux d'aber ou d'un fond de prairies mouillées, disputées au marais, on la voit soudainement se dresser à des lieues.

Il n'est guère d'édifice religieux en Bretagne, en dehors, croyons-nous, du Creïsker de Saint-Pol et de la prodigieuse église de Commana, perchée, en pleines nuées, sur sa colline en avant-garde des monts, qui commande à une aussi vaste étendue de terre et de ciel.

 

Point de maisons auxquelles se raccroche le regard, ni de bois, ni de hauts arbres élevant leur faîte au-dessus de la commune ramure des chênes nains qui peuplent les talus.

Rien ne reste de ce qui fut jadis la profonde forêt lesnevienne, et une demi-lieue sépare la collégiale de l'ancienne capitale de l'archidiaconé.

Les maisonnettes au toit bas :

Boutiques d'objets pieux, auberges de pèlerins, s'écrasent elles-mêmes, dans un geste d'humilité, au tour du tertre où se pressent les grandes foules du pardon, pour qu'éclate mieux la splendeur de Notre-Dame.

 

En vigie sur le plateau nu, le clocher du Folgoët s'impose irrésistiblement à la vue, exerçant sur les trois lieues carrées de terre que sa silhouette domine, une manière de royauté.

En dépit de son prosaïsme et de sa monotonie, il y a dans ce pays dépouillé, nu comme une table d'offrande, qui l'environne, de la grandeur et de la majesté.

On s'explique le prestige que le Folgoët avait jadis aux yeux des pèlerins qui, à son approche, voyant son vaisseau de granit grandir sur le ciel ennuagé du pardon de septembre, se sentaient vraiment en terre de sainteté.

 

Il faut, pour imaginer l'euphorie mystique qui les éblouissait, faire à pied cette même route qu'ils parcouraient, murmurant déjà leurs oraisons, montant du Drennec ou de Ploudaniel.

Elle va, d'un trait, épousant les ondulations presque insensibles des terres, s'amincissant comme un chemin de gloire, bordé d'or, entre les talus fleuris d'ajoncs.

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D'aller sans hâte, à la façon des vieux temps, surtout par quelque temps doux de Pâques, gris encore, où des brumes baignent les lointains, permet de mieux s'imprégner de la gravité du paysage.

Tout le pays, dans sa solitude, est comme agenouillé, dans l'attente d'un prodige.

On peut s'imaginer vivre au siècle où l'église fut construite, en mémoire du « fol » abandonné qui ne savait que dire: « O Maria » et, en son langage breton :

« Salaün a zrepe bara » (Salaün mangerait du pain).

 

Cette histoire du « fol » qui, tel un passereau solitaire, solfiait à sa mode, dit le chroniqueur, les louanges de la Vierge adorable à laquelle, après Dieu, il avait consacré son cœur, surprend par son charme naïf dans ce Léon aux légendes et aux apôtres sans douceur.

 

On suit Salaün-ar-Foll, cherchant son pain, nu-pieds été comme hiver, prenant tout ce qu'on lui donnait, et revenant bellement en son ermitage, auprès d'une fontaine où il trempait ses croûtes « sans autre assaisonnement que le saint nom de Marie ».

Et quand il mourut, son visage, en sa vie tout défait par la pauvreté, parut si beau et si lumineux

« qu'il le disputait à la candeur du lys et au vermeil de la rose ».

Et Dieu, alors que la mémoire du « fol » semblait ensevelie dans l'oubli aussi bien que son corps dans la terre,

« fit naitre sur sa fosse un lys blanc, beau par excellence, lequel répandait de toutes parts une indicible odeur », et sur les feuilles duquel étaient écrites en lettres d'or ces paroles :

Ave Maria.

Une infinité de monde, le bruit du miracle s'étant répandu, avec la vitesse du vent, dans la Bretagne entière, accourut pour voir cette fleur miraculeuse « laquelle dura plus de six semaines, puis commença de se flétrir ».

 

Si bien que, mis au courant de cette merveille, Jean V, illustre duc de Bretagne, s'en vint, à la tête d'une brillante escorte de seigneurs et de prélats, consacrer solennellement l'église consacrée à Madame Marie « du Bois du Fol ».

C'était en 1423.

Le Léon, déchiré par cent ans de guerre, se reprenait à vivre.

L'espoir renaissait dans les âmes si longtemps contraintes, l'herbe sentait bon, les sources coulaient, limpides ;

c'était comme une deuxième jeunesse adorable de la terre.

 

Tout ce plaisir de revivre et l'allégresse d'une âme libérée de la peur de l'Enfer et de la guerre, ils sont dans cette église qui resplendit, grise et or, sur le fond immuable du ciel, portant jusqu'aux nuages bas, comme un hommage à Dieu, la flambée triomphante de ses lichens et de ses mousses.

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Parmi les églises du Léon, qui en a de si nombreuses et de si belles, il n'en est point qui porte au même degré la marque du génie breton, ni qui plonge, par toutes ses racines, au plus profond de notre passé et de notre sol.

 

La cathédrale de Saint-Pol, si claire, si harmonieuse, bâtie par des constructeurs normands, fait l'effet, dans la Ville sainte, d'une belle exilée rêvant à ses sœurs de Caen.

L'église de Saint-Thégonnec, si parfaite elle-même de lignes, de même que son arc triomphal et l'ossuaire qui l'accote, est d'un art étranger à notre terre, auquel se pliait mal la pierre de chez nous.

Tandis que la collégiale du Folgoët est bretonne, depuis l'arche du porche jusqu'au fleuron de ses pinacles et jusqu'à la dernière pierre du clocher.

Elle est bretonne comme furent bretons tous ceux qui y ouvrèrent, depuis le maître d'œuvre jusqu'au tâcheron, depuis Michel Columb, qui y façonna, assure-t-on, quelques figures de saints, jusqu'au plus humble des piqueurs de pierre.

De là vient la tendresse dont jouissent, dans toute la Bretagne de l'Occident, la chapelle et Notre-Dame du Fol-du-Bois.

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