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1938

La Bretagne qu'on ne visite pas
par Auguste Dupouy

 

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Source : La Dépêche de Brest 3 août 1938

 

Un ami géographe, Brestois de Paris me disait récemment, en me signalant le sujet pour la radio, qu'il existe des zones désertes dans les Océans : celles qui sont en dehors des lignes de navigation.

Plus même qu'autrefois : car la voile était toujours exposée aux longs louvoyages, tandis que la vapeur est l'amie du plus court chemin d'un port à un autre.

Curieuse conséquence du progrès que d'élargir et de multiplier l'inconnu.

 

N'en est-il pas un peu de même du territoire relativement modeste de notre Bretagne ?

J'y pensais en lisant le très intéressant livre que vient de publier, chez Plon, Madeleine Desroseaux. (*)

C'est un ensemble de tableaux et d'études qu'elle a intitulé La Bretagne inconnue.

On pourra lui chicaner son titre.

Inconnu, il n'est pas un coin de notre pays qui le soit au sens strict du mot, et sans doute n'est-elle pas la dernière à le penser ; mais il est assez de règle qu'une couverture soit un peu voyante, un peu péremptoire, un peu hyperbolique.

Et il est bien vrai que l'île de Sein, sans être ignorée des peintres et des plus hardis d'entre les touristes, a pour se défendre des grandes affluences les remous du Raz et le mal de mer ;

qu'Hoëdic et Houat sont également protégées par les coureaux et le manque d'hôtels ;

que, si la troménie de Locronan, depuis longtemps décrite par Le Braz, et en un temps où elle avait encore plus de caractère, est presque aussi fréquentée des citadins que le pardon de Sainte-Anne-la-Palud, par contre la troménie de Landeleau, aux confins du Poher, est restée purement paysanne ;

paysan aussi, le pardon morbihannais de Saint-Nicolas, dans le canton de Plouay ;

paysan encore, le pardon des chevaux qui se célèbre à Saint-Hervé (il en est d'autres), un peu au nord de Gourin ; paysan, le pardon des cochons — mais oui — qui se fête non pas dans la magnifique église flamboyante de Saint-Nicodème en Pluméliau, mais dans une humble chapelle vouée au même saint, pas loin de l'autre, en un vallon secret du pays de Guénin ;

paysan toujours, et toujours morbihannais, le pardon de Saint-Efflam, près de Riantec (ne pas confondre avec le Saint-Efflam trégorrois, près de Plestin).

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Auguste Dupouy

 

Enfin, on peut accorder à l'auteur que la montagne bretonne est beaucoup moins visitée que la côte, et qu'elle mériterait presque de l'être autant.

D'une façon générale, l'intérieur n'est pas très connu.

Le tourisme suit à peu près les anciennes routes de pèlerinage.

Le Tro Breiz des pèlerins bretons était jalonné par les villes épiscopales, Saint-Malo, Saint-Brieuc, Tréguier, Saint-Pol, Quimper, Vannes.

Or elles sont toutes à proximité de la mer.

Michelet, Mérimée, Hugo, tous les voyageurs romantiques ont fait de même, et après eux la très grande majorité des touristes.

Cela continue.

Sauf Huelgoat, je ne vois pas de localité à l'intérieur qui les attire en nombre et qui les fixe.

Une petite colonie de peintres a pu faire choix du Faouët ;

Sérurier habita de longues années Châteauneuf-du-Faou.

Mais la foule, qui se compose en grande partie de baigneuses, préfère le rivage.

Et puis, la mer a partout une telle force d'attraction, étant mouvement, étant lumière ;

la grève, d'autre part, offre une telle abondance de menus plaisirs, qu'on ne peut s'étonner de cette prédilection.

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Madeleine Desroseaux

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Le Braz qui, volontiers, en allant de Quimper, où il enseignait, au Port-Blanc, où il prenait ses vacances, s'attardait au milieu du parcours, avait signalé le charme assez sauvage de la Montagne-Noire et de l'Arrée.

André Chevrillon, quoique grand ami de la mer bretonne, a fini par proclamer la supériorité de l'intérieur sur la côte.

Ce n'est pas Camille Vallaux qui démentirait quiconque exalte la grandeur farouche du Roc'h Trévezel ou les secrètes futaies de Quénécan.

Moi-même, si mon témoignage a quelque intérêt, j'ai été plus d'une fois saisi par les beautés de la Bretagne intérieure au point de croire qu'elle était plus bretonne que l'autre.

À la réflexion, j'en suis moins persuadé.

La mer, comme le croyait Le Goffic, est bien nécessaire à l'image vraie de notre pays.

Et, quoique nos ar-mor, en été, se peuplent de citadins qui, pour être en majorité sympathiques, n'en sont pas plus bretons, ce sont bien les cantons montagnards qui, somme toute, ont le plus subi l'empreinte du dehors.

Ce sont eux qui ont été les premiers, depuis la guerre, à répudier les costumes locaux pour le grand sarrau de cotonnade (côté dames) et (côté hommes) la casquette sport.

C'est vers eux que depuis des siècles la courbe marquant la limite du breton dessine sa convexité.

C'est du côté de Gourin, de Scrignac, de Bulat, de Belle-Isle-en-Terre que le mouvement d'émigration en France, au Canada, aux Etats-Unis est le plus accusé.

J'hésiterais donc à conclure comme Madeleine Desroseaux :

« Montagnes sauvages, derniers retranchements où l'âme bretonne pourchassée s'est réfugiée comme un aigle affolé ! »

Je ne vois pas non plus très nettement ce pourchas.

Mais ce sont là déclarations de style, comme la matière de Bretagne en impose toujours.

Il n'y en a pas beaucoup dans ce livre, mais on y trouve à foison des observations justes, pittoresques, savoureuses, et c'est un des meilleurs, à ma connaissance, qu'ait inspirés un inépuisable sujet.

 

 

(*) La Bretagne inconnue à lire sur Gallica : Cliquez ici

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