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1938

Dans l'heureux pays du Faou
par François Ménez

 

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Source : La Dépêche de Brest 21 août 1938

 

Rien n'est plus doux en Bretagne que Le Faou et l'hémicycle de hautes terres qui l'avoisinent.

On comprend qu'une petite ville se soit établie à ce passage entre la Basse-Cornouaille et les premières avancées du Léon.

Le sire du Faou en était jadis le portier, et c'était un des plus hauts seigneurs bas-bretons.

 

Le Faou n'a plus l'importance qu'il connut jadis, mais il est tout de charme vieillot, à cheval sur son estuaire, bordant sa rue étroite de curieuses façades encorbelées.

 

Je n'ai jamais remonté cette rue, si vivante et curieusement étranglée au débouché de la route de Quimerc'h, sans imaginer les boutiquiers, prenant le frais au pas de leurs portes :

Drapiers, épiciers et jusqu'aux garagistes pompant leur essence, en costumes du temps de Louis XIV.

Elle respire un air de tranquillité et d'aisance ;

les gens du Faou ont eu le bon esprit de ne rien changer à son aspect, qui est celui d'une ville oubliée par le progrès des temps.

 

L'église complète cette apparence, embarcadère d'âmes au ras de la rivière, attendant, comme un signal céleste, le chuchotis de la marée.

Le monument aux morts, d'une banalité affligeante, est la seule ombre qui nuise au bel ensemble; souhaitons que l'acidité des brumes marines en ait rapidement raison, pour qu'en ce pays élu du beau granit, si voisin de Kersanton, il soit remplacé par une œuvre, d'une tonalité qui convienne davantage au cadre, de Francis Renaud ou de Quillivic.

 

Un dicton affirmait jadis :

Entré ar Faou a Landerné

N'an eo na Léon na Kerné.

 

Et des gens du Faou m'ont assuré que des deux côtés du pont, les âmes ne sont point les mêmes.

On me l'a déjà dit de Daoulas et de Landerneau.

Je me refuse à croire que, de part et d'autre de la rivière, les Faouistes soient différents.

Paisibles, aimables, modérés en tout domaine, ils sont également épris du doux cadre où ils ont le privilège de vivre.

Tout n'est autour d'eux qu'images de bonheur.

Je connais un tailleur de mon pays de Goélo qui, ayant vécu plusieurs années au Faou et ayant jugé à propos d'émigrer sous un autre ciel, ne parle jamais de la petite ville des confins cornouaillais sans en avoir les larmes aux yeux.

 

Comme j'ai le mieux aimé le pays du Faou, c'est de le voir, au creux de l'estuaire, dans la descente de Ty-Jopik.

La route, après avoir gravi, passé Quimerc'h, le dernier chaînon de l'Arrée, descend par grands lacets vers le fond de l'arrière-rade.

Celle-ci se découpe, plus sombre, sur le fond d'argent de la mer, comme sur une immense carte muette.

Et c'est une belle symphonie gris et vert.

Le pays est rayé de rivières :

du Faou, de Daoulas et de L'Hôpital, dont les sources se perdent dans le moutonnement houleux des collines.

À la haute marée, où l'eau montante les fait resplendir, leurs estuaires pénètrent, comme des bras de poulpe, jusqu'au cœur secret des bois, séparés par les promontoires de Logonna, de Rostiviec et par les petites îles du Binde.

 

On ne saurait imaginer plus belles noces des coteaux boisés et de la mer.

Ils se pénètrent, s'enlacent, mêlent leurs odeurs de sel et d'herbe.

On voit passer les triangles blancs ou tannés des voiles dans l'entre-deux des branches de chênes.

L'arrière-pays du Faou demeure, en terre bretonne, l'un des rares cantons forestiers.

Et ce nom seul :

Le Faou, qu'on prononce assez mal, à la française, n'évoque-t-il pas toutes sortes de splendeurs bocagères ?

Il en est un autre, plus beau :

Rumengol, le plus riche, de tous les noms bretons, de sonorités éclatantes, couleur de pierre rouge et de lumière, désignant le village du pardon, tout voisin.

Derrière, le Cranou, sur les premières pentes grimpant vers Saint-Rivoal et Hanvec, étage ses antiques frondaisons.

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Les sentiers y demeurent les mêmes qu'au temps des vieux saints bretons, semeurs de miracles. Saint-Conval y garde son ermitage de bois et de pierre brute, dans l'épaisseur des fourrés, à peine changé depuis l'époque de la première évangélisation.

 

Ce sont là les vraies routes secrètes, inconnues, de la Bretagne partagée entre les bois, la montagne et la mer.

Il me souvient de m'y être égaré, plusieurs heures, par un après-midi pluvieux plein d'odeurs végétales, incapable, dans la poussière d'eau qui baignait l'horizon, de retrouver mon chemin, victime de quelque génie malin des bois, survivant des mythes celtiques.

 

Ce qui, avec son cerne boisé, fait la beauté du Faou, c'est la tendresse de sa lumière.

Surtout au tomber du soleil, la rivière, quand la mer monte, a de très doux reflets.

Je m'étonne que cette petite ville, à laquelle tant de liens rattachent Désiré Lucas, n'ait pas, au même titre que Camaret ou Pont-Aven, attiré les coloristes.

 

Et ce qui surprend aussi, c'est que la route du Faou à Camaret, la plus belle, peut-être, du Finistère, celle qui résume le mieux les aspects de la Bretagne âpre ou tendre, terrienne ou maritime, ne soit pas l'une des voies principales du tourisme breton.

La première fois qu'il m'arriva de la parcourir, ce fut en compagnie de Henri Waquet, l'historien de l’Art breton, et d'Alphonse de Chateaubriant.

 

C'était par un soir d'août, alangui, déjà pénétré d'une tristesse d'automne.

La route était alors bien mauvaise, âpre, inégale, labourée d'ornières.

Mais le charme du pays qu'elle pénétrait nous faisait oublier les cahots.

Chateaubriant, déjà pris d'une belle passion pour Locronan, tout proche, ne pouvait se défendre de dire son admiration, à chaque nouveau tournant du chemin.

 

J'ai revu, l'autre dimanche, cette même route, à peu près à la même saison.

Elle est devenue l'une des mieux entretenues que l'on puisse parcourir, en cette partie de la Bretagne.

Mais elle a gardé, entre ses bordures de chèvrefeuilles, de prunelliers, de pommiers aux branches lourdes de fruits, de blossiers dont les petites prunes mûrissent, tout son charme d'il y a dix ans.

 

Nous nous sommes arrêtés, au point où la rivière s'élargit soudain, vers la hauteur de Tibidy, pour nous pénétrer du calme, vraiment élyséen, du paysage.

L'eau, immobile comme celle d'un lac, et lamée de reflets, se ponctuait des voiles de quelques dragueurs de coquilles.

On devinait, sur l'autre rive, les maisons blanches de Logonna, retranché dans son fiord.

Plus près de nous, la côte de L'Hôpital-Camfrout allongeait une échine marquetée de champs moissonnés et de prairies dont les pluies récentes avaient avivé le regain.

 

À nos pieds, un champ de blé, où séchaient des gerbes, déployait la toison hérissée de son chaume, descendant à forte pente Jusqu'à la mer.

Un son grêle de cloche, comme une voix d'outre-monde, nous venait de Landévennec-en-Paradis...

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