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1938

Paul Bourget en Bretagne
par Charles Chassé

 

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Source : La Dépêche de Brest 1 août 1938

 

Le héros le plus pur de Bourget, c’est ce Le Gallic du « Sens de la mort » (plon éd.) que l'auteur a certainement tenu à présenter comme le type même de la foi catholique bretonne.

 

S’agit-il là d'un phénomène unique dans l'œuvre du romancier ou a-t-il existé encore d'autres points de contact entre l'écrivain et la Bretagne ?

L’homme évidemment le mieux placé pour me renseigner était M. Albert Feuillerat qui connaît bien la Bretagne puisque, pendant de longues années, il a été professeur de littérature anglaise à l'Université de Rennes (plusieurs œuvres posthumes de son collègue Anatole Le Braz ont été publiées par ses soins) et que, beau-frère de Bourget, il a été d'autre part chargé par l'académicien disparu de rédiger la biographie de celui-ci.

Cette biographie, édifiée avec la magnifique conscience que M. Feuillerat apporte à tous ses travaux, a d'autant plus d'importance que Bourget, tout en supposant à ce que ses papiers intimes fussent publiés, a prié Feuillerat d'en faire état pour l'établissement de son livre.

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J'ai l'honneur d’avoir été pendant plusieurs années, à Rennes, l'élève de M. Feuillerat.

Le peu que j'ai appris dans l'art de classer les faits, c'est à lui que je le dois ;

c'est lui qui m'a enseigné à m'incliner devant l'authenticité des événements, quelque désagréable que cette authenticité puisse nous apparaître parfois ;

aussi me suis-je permis, connaissant son affabilité, de le déranger parmi ses innombrables labeurs (l'Université américaine de Yale lui a confié le soin d'initier ses étudiants à la culture française) pour solliciter de lui quelques détails bibliographiques concernant le rôle tenu par la Bretagne dans l'œuvre de Bourget.

 

Comme je m'y attendais, M. Feuillerat — et j'en suis tout honteux — a très rapidement dressé pour moi un relevé de tous les articles épars où Bourget avait fait allusion à la Bretagne.

Je n'ai malheureusement pas la place de noter ici toutes ces études sur Renan et Chateaubriand, même pas de résumer autant qu'il conviendrait le récit de sa visite au château de Combourg qu'on trouvera dans le deuxième volume des « Études et portraits » (Plon, éd.).

Mais, somme toute, je n'ai pas découvert, chez Bourget, autant d'informations sur la Bretagne que je l'avais espéré.

 

Voici, pourtant, qui vaut la peine d'être retenu.

Et d'abord, en ce qui concerne « Le Sens de la Mort », M. Feuillerat veut bien me signaler que « Le Gallic » a été conçu d'après un modèle réel.

« Je sais le nom, mais ne peux pas le divulguer, car le personnage appartenait à une famille très connue en Bretagne et dont les descendants pourraient se formaliser si le nom était dévoilé ».

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Paul Bourget

1880

 

Quand Bourget a-t-il visité la Bretagne ?

Assez rarement, à ce qu'il semble.

Une fois, pendant l'été de 1881 (et probablement aussi pendant l'été de 1882 puisque, en tête des pages sur le château de Combourg, il écrit : Dinan, juillet 1882).

En mars 1882, il a publié dans le Gaulois une nouvelle bretonne :

« Flirt de campagne », actuellement recueillie, sous le titre de :

« Amoureuse de village », dans Profils perdus, à la suite de Cruelle énigme, dans la grande édition Plon des Œuvres complètes de Bourget.

Une autre nouvelle bretonne :

« Secum sola », aussi recueillie dans Profils perdus, a paru dans Le Parlement en août 1882 ;

dans ce même Parlement avait aussi paru, le 11 février 1882, une étude intitulée : « Au pays des Dolmens ».

 

L'Amoureuse de village nous montre le frère d'une jeune fille du Croisic, Marie-Louise, assommant à demi un amoureux qui ne se décidait pas à offrir le mariage à l'adolescente.

Le rendez-vous qui s'achève de façon aussi brutale a pour théâtre Saint Esprit.

« Saint-Esprit, c'est la promenade plantée d'arbres que vous voyez de la jetée et il s'y donne, dans la saison, plus de baisers d'amour qu'il n'y a de feuilles aux arbres, je vous jure. »

 

Le décor de Secum sola est plus imprécis.

C'est un château délabré se dressant au milieu « d'une terre perdue en Haute-Bretagne, à dix lieues de l'Océan ».

Là s'est retirée une femme mystérieuse pour y cacher son déshonneur et sa souffrance.

Sans doute Bourget a-t-il songé, en imaginant cette retraite, à sa visite au château de Combourg, pendant laquelle il s'était complu à constater l'accord avec le paysage de l'hérédité aristocratique de Chateaubriand.

« Ce Chateaubriand, disait-il, a dû emprunter à cet horizon immense le goût des vastes perspectives comme à l'aspect magnifique et désolé de son Combourg ce goût d'une attitude hautaine et volontiers morne dans sa hauteur. »

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Paul Bourget

1920

 

Sur la villégiature bretonne de Bourget en 1881, M. Feuillerat m'a renvoyé à un article de Richepin, paru dans le Gaulois du 9 octobre 1908.

Richepin et Bourget avaient, en effet, cohabité dans un modeste hôtel du Croisic tenu par une famille de pêcheurs.

« Des amis, dit Richepin, nous ont laissés là tous deux seuls dans cette petite auberge de marins où nous habitions une sorte de carré à deux lits, presque des hamacs.

Parmi ces amis, se trouvait l'illustre Sapeck mort fou depuis et fou déjà...

Ils nous ont laissés seuls parce que nous les lassions, l’illustre fumiste en particulier, de nos discussions philosophiques.

C'est en effet le moment où Paul Bourget, après avoir ingurgité tant d'idées, s'en être repu, sans indigestion, s'en être abreuvé sans intoxication, commence à faire le départ entre celles qu'il considère comme nuisibles et celles qui lui deviendront de plus en plus chères.

 

« Et c'est aussi le moment où moi-même je vogue en plein vers des croyances, ou plutôt des mécréances, qui ne sont plus d'accord avec la foi naissante de mon ami.

Mais si nos cerveaux ne sont plus à l'unisson, nos cœurs le sont encore et c'est en toute sincérité indulgente et tolérante que nous faisons retentir notre chambrette de nos ardentes controverses.

La bonne femme qui tient l'auberge a cru tout d'abord que nous étions fâchés et que nous nous disputions.

Un jour même, elle a dit à son gars de monter la garde devant notre porte pour mettre le holà, si nous en arrivions aux coups.

Or le gars a constaté que nos plus terribles passes se terminaient en douceur et que nous en sortions bras dessus, bras dessous, rouges comme des coqs, mais amis comme des frères.

Il a vaguement répété à sa maman quelques paroles vaguement entendues de nos déclamations philosophiques, et la mère et le gars ont conclu que nous étions deux messieurs prêtres en train de préparer leur sermon.

Paul_Bourget_à_la_maison_de_Sylvie_en_août_1924,_Bourget,_Macon,_Carco,_Tristan_Derême.jpg

Paul Bourget

1924

 

« Peut-être un de ces jours prochains aurons-nous, Bourget et moi, à propos de l'Émigré, quelque discussion philosophique pareille en violences de verbe à celles du Croisic ;

mais, à coup sûr, nous en sortirons, ainsi que de la chambrette aux hamacs, bras dessus, bras dessous, rouges comme des coqs et unis comme des frères, si bien que le gars de là-bas, nous revoyant après trente années, nous prendrait encore pour deux messieurs prêtres qui viennent de préparer leurs sermons. »

 

Un récit très voisin de celui-là se rencontre sous la plume, cette fois, de Bourget et forme le cadre de la nouvelle :

Une Amoureuse de village.

« Que je le vois souvent aller et venir, dans mes souvenirs, le marchand de homards et de bibines qui, écrit Bourget,

nous louait à feu Claude Larcher et à moi-même notre petit appartement meublé du Croisic, voici dix ans...

Claude commençait à préparer sa Physiologie de l'amour et il se livrait à la manie de la notule. »

 

Le Syndicat d'initiative du Croisic devrait bien déterminer et commémorer par une plaque l'emplacement de la chambrette où les futurs auteurs des Blasphèmes et du Disciple échangèrent avec véhémence leurs hypothèses sur la naissance de l'univers.

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Charles Chassé

 

P.S. — Jean de Pierrefeu, le rédacteur du communiqué pendant la guerre et auteur de cet extraordinaire document qu'est Grand Q. G., secteur 1 (Albin Michel, éd.), vient de réunir sous le titre des Beaux livres de notre temps (Plon) quelques-unes de ses étincelantes chroniques littéraires de l'Opinion et du Journal des Débats.

 

Beaucoup de ces chroniques datent d'avant-guerre, ce qui leur donne une saveur toute particulière, car elles nous permettent de nous rendre compte, d'une façon fort saisissante, que Pierrefeu, il y a de cela vingt ans et plus, avait très distinctement discerné parmi les débutants ceux qui étaient destinés à occuper des places de premier plan dans la considération générale :

Kessel, de Châteaubriant, Montherlant, bien d'autres encore.

Combien est-il de prophètes qui pourraient se permettre, vingt ans après, de placer leurs prédictions sous les yeux enclins à l'ironie d'une nouvelle génération de lecteurs ?

 

Charles CHASSÉ.

 

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