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1939

À Douarnenez
par François Ménez

 

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Source : La Dépêche de Brest 3 février 1939

 

On se souviendra, à Douarnenez, de ces grandes tempêtes de janvier qui ont occasionné la perte du Méchan-Charlic, monté par quatorze hommes d'équipage.

 

Quatorze hommes qui tous, par leur audace tranquille, étaient de ces « seigneurs de la mer », dont parlait dans un ouvrage émouvant le docteur Mével, qui les connaissait parfaitement ;

quatorze hommes dont les noms :

Le patron Francis Doaré, Jadé, Louboutin, Gonidec, Kernoa, Guénidou, Jacq, Le Maout, Kervarec, Thomas, Balanec,

Le Moal, Tinévez, demeureront à jamais inscrits au grand livre de l'héroïsme marin.

 

Jeudi, devant la foule immense des marins pêcheurs, on a célébré, dans l'église de Douarnenez, leur office funèbre.

Mais déjà le Michel Le Nobletz, patron Magnan, avait repris la route du Ravin de la mort.

Et, sur le port et au long du môle, la vie a recommencé, étonnante de mouvement et de couleur.

Le temps d'un De profondis et de ravaler quelques larmes, et l'on a tout préparé pour de nouveaux appareillages.

Et c'est un admirable spectacle, dans le plus beau des décors marins, que celui de ces barques aux voiles rouges, déjà tendues, frissonnant sous le vent, se disposant à cingler de nouveau vers les lieux de pêche, par-delà le cap de la Chèvre et les retraits de Kerloc'h.

 

— C'était un bien autre spectacle, vous diront de vieux Douarnenistes, il y a vingt ou trente ans, au temps des barques plus petites, non pontées, bien plus nombreuses que de notre temps, où le moteur à essence était inconnu, où l'on ne comptait que sur la voile et l'aviron.

C'était d'un tout autre pittoresque.

Et c'était un métier plus rude aussi, car les pêcheurs ne disposaient pas du bien-être d'aujourd'hui.

Et, dame, quand il n'y avait pas de brise, il fallait souquer dur, sur l'aviron, pour regagner le port avec le poisson bien frais, qu'attendaient les « commises ».

 

Le Douarnenez de cette époque, et d'une autre, encore plus lointaine, où le beau voilier de l'État, le Zéphir, commandé par le 1er maître de timonerie Cozian, et la chaloupe à vapeur la Perle, patron Stéphan, étaient affectés à la surveillance, souvent inefficace, des lieux de pêche, je ne l'ai jamais mieux entendu évoquer qu'en cette dernière semaine de Noël, à un premier étage de la rue de Rome, par une Douarneniste aux bandeaux argentés.

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Évidemment le port, en ce temps-là, qui remonte à un demi-siècle, n'avait pas l'aspect que notre époque moderne lui a valu.

Les vieilles rues, qui portaient encore leurs beaux noms de marine et de sainteté, débouchaient, en dévalant de la haute ville, sur le « petit port » et la « cale noire ».

L'île Tristan, qu'on n'avait pas éventrée pour en tirer de la pierre à bâtir, gardait son apparence d'ermitage, où se perpétuait le souvenir de Saint-Tutuarn.

 

Des auberges, au long du quai, fournissaient à bas prix des repas substantiels :

Le Lever de l'Aurore, les Quatre-Vents, À l'abri de la tempête.

On y lisait au bas de l'enseigne, en lettres que les pluies et les brumes ont, depuis lors, fini d'effacer :

Loge à pied et à cheval

Ag courbellour agal

 

Ce qui voulait dire :

Et les mareyeurs de même.

Les mareyeurs qui, en ce temps où le chemin de fer n'existait pas encore, venaient des bourgades de l'intérieur :

Châteauneuf ou Châteaulin, prendre livraison du poisson frais débarqué, qu'ils chargeaient dans leurs carrioles à bâches vertes.

 

C'était là leur fret de retour.

Mais, à l'aller, ils apportaient, à la belle saison, de leurs lointaines campagnes, des mannes de petites prunes vertes qui s'achetaient à raison de cinquante pour un sou.

Tout le dessert d'une famille et à quel prix modique !

 

On buvait toujours ferme, dans les cafés du port, mais moins d'apéritifs et de muscadet.

C'était le temps des belles filles qui étaient, pour leurs maisons, d'avantageuses enseignes :

Les « Marie bonnet-rond » ou les « Marie aux seins d'or », — Marie brennou braz, ou brennou aour.

 

Et malgré tout, Douarnenez n'était pas tellement perdu au bout sauvage du monde.

Des écrivains et des poètes y venaient déjà, et des artistes en grand nombre.

Sully Prud'homme célébrait, en des vers d'une adorable musique, les « filles de Douarnenez », dont le cœur, assurait-il — et je ne sais s'il en est absolument de même aujourd'hui — ne se gagnait « que dans la langue du pays ».

 

Theuriet qui, traversant la baie, fut un des découvreurs de Morgat, où il plaça le cadre de « La petite dernière », trouvait, d'autre part, parmi les rosiers du vieux manoir de Kervénargant, le sujet d'une âpre et véridique histoire d'amour.

 

Vingt années de suite, avec Mme de Hérédia et ses trois filles, le poète des Trophées, vint lui-même à Douarnenez pour y passer quelques semaines d'été, louant, pour la somme de deux mille francs — nous a rapporté Frédéric Le Guyader — la maison Kenardu, donnant à la fois sur l'île Tristan et le Portz-ru.

Il aimait à se promener, en complet de flanelle blanche, vers Portz-Peron ou le Leïdé.

Et il lui plaisait aussi de faire la causette avec les demoiselles Madézo :

Des buralistes aimables, disertes, spirituelles, qui tenaient au carrefour de la Croix un bureau de tabac compliqué d'un petit commerce d'épicerie, et avec qui les personnes distinguées de Douarnenez s'attardaient, entre deux prises ou deux messes, à s'entretenir du dernier potin du jour.

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