1939
Pont-Aven- Ville de renom
par Auguste Dupouy
Source : La Dépêche de Brest 13 août 1939
On connaît le dicton :
Pont-Aven, ville de renom.
Quatorze moulins, quinze maisons.
Entre toutes les rivières de basse Bretagne qui, avant de rencontrer la mer, faisaient tourner les moulins, soit à blé, soit à papier, il n'en était pas de plus agreste, de plus idyllique, de plus « à la Brizeux » que cet Aven, en amont et en aval du pont de la charmante cité cornouaillaise.
Mais aujourd'hui ce ne sont plus les moulins qui font le renom de Pont-Aven ;
on l'a rappelé l'autre jour, c'est La Villemarqué, dont le Barzaz-Breiz, composé au manoir du Plessis, qui est tout proche, vient d'avoir juste cent ans ;
c'est Gauguin et son groupe de peintres, dont voici les noms gravés dans un indestructible granit ;
et c'est Théodore Botrel, dont la Fête des Ajoncs d'or perpétue d'année en année l'aimable idéal, si bien accordé à la « britannophilie » d'un tourisme cosmopolite et citadin.
Que Botrel, après avoir été le voisin de Le Braz, au Port-Blanc, soit venu se fixer à Pont-Aven, dans le voisinage d'un bois d'amour, voilà qui n'est pas pour nous surprendre.
Il n'est pas surprenant non plus que des peintres en quête de scènes rustiques sur de riants fonds de verdure, aient élu ce site peu farouche où la coiffe et la collerette, dites fouesnantaises, prenaient leur maximum d'élégance.
Car Gauguin et ses fauves n'ont pas découvert Pont-Aven.
Bien d'autres, qui ne furent pas de leur groupe, et qu'il ne faut pas néanmoins tenir pour négligeables, les y avaient précédés.
Ce qui étonne un peu aujourd'hui, c'est que des hommes chez qui le démon de l'art apparaissait à travers tant de pétarades et laissait un fumet de soufre, aient pu, eux aussi, s'accommoder des « jardins enchantés » de cette Arcadie.
Auguste Dupouy
Mais d'abord il est probable que le Pont-Aven de 1886 avait dans sa grâce un peu plus de sauvagerie que le Pont-Aven de 1939.
Et puis il y a des petites commodités, un certain degré de bien-être auxquels les plus déterminés amateurs de vie primitive ne sont pas insensibles.
Comme Mme Henry à Douëllan, Julia Guillou et Marie-Jeanne Gloanec à Pont-Aven furent « les bonnes hôtesses » — le nom leur reste à juste titre — qui assuraient au moindre prix un gîte suffisant et une table aussi loyale qu'abondante à ces joyeux gaillards pleins d'appétit, mais légers d'argent.
Encore les payaient-ils parfois en monnaie de peintre, en pochades qui ont, comme le bon vin, pris de la valeur avec les années, mais qui n'en avaient guère — j'entends de la valeur marchande — en ce temps.
Cela, le maître Émile Bernard, qui fut l'un d'eux, l'a, dans un discours chaleureux et de tout point excellent, indiqué en rendant hommage à Marie-Jeanne Gloanec, « femme au cœur admirable sur la tombe de laquelle, a-t-il dit, j'avoue que j'ai pleuré ce matin ».
Il a dit ensuite, et Maurice Denis l'a redit, qu'il y eut mieux encore entre Pont-Aven et cette école qui a porté à travers les deux mondes le nom de la petite ville rurale :
une sorte de communion naturelle et préétablie ;
et ceci, qui est profondément vrai, pourrait se dire d'autres villes ou villages bretons que Pont-Aven :
nulle part ailleurs les artistes, qui, par définition, ne sont pas des bourgeois, n'auraient été aussi simplement et cordialement accueillis ;
nulle part ils ne se seraient trouvés ainsi de plain-pied avec l'habitant ;
nulle part ils ne se seraient sentis aussi libres, aussi conscients de ne pas choquer, de ne pas irriter ;
nulle part ils n'auraient trouvé une population, elle aussi, aussi ingénument artiste, comme le costume en rend témoignage, et comme en témoignait à sa façon la moindre chaumière enracinée au sol, en harmonie avec le paysage, humble chef-d’œuvre d'un goût qui s'ignore, mais qui ne se trompe pas.
Chassé, qui a été l'historiographe de l'école de Pont-Aven, a insisté sur le mysticisme (il y a des mystiques fort divergentes) dont elle fut imprégnée, et cite à ce propos une magnifique phrase du peintre Verkade, qui se fit moine dans la suite.
Brusquement transporté dans cette Cornouaille du sud, il en trouva le paysage ondulé
« si jubilant de bonheur, en même temps que si serein, si silencieux, si plein de Dieu, qu'on eût dit une religieuse en robe de mariée s'avançant vers l'autel pour se fiancer au Christ ».
Il faut, si l'on veut entendre quelque chose à l'art, se hausser jusqu'à cet état d'esprit.
« Une école, a dit aussi Émile Bernard, se fonde par le fait d'un acte divin.
C'est Dieu qui la fonde ».
Édifiante rencontre, quelques quarts d'heure plus tôt, dans l'église, à la messe du souvenir.
Le prédicateur en chaire avait, dans un très large esprit, célébré de même le caractère religieux de l'art.
Toute poésie est prière, disait feu l'abbé Brémond.
On descend un peu de ces hauteurs quand on assiste aux agapes bien ordonnées de la fête que créa Botrel en 1905.
Il y a inévitablement quelque truquage dans ces cortèges en atours du cru, dans ces défilés de garçonnets et de fillettes si diligemment déguisés.
« C'est trop mignon », disait près de moi une dame attendrie.
Trop peut-être, en effet.
Une de ces paysannes, à qui je demandais un renseignement, pouffa presque de rire : c'était une Anglaise.
Cependant, comme je regardais danser des couples aux sons conjugués du biniou et de la bombarde, je ne me défendais pas d'une sorte de ferveur devant tant de grâce rustique, tant de virilité dans le pas des hommes, tant de noble élégance chez les femmes.
La java, le tango, la valse, dont je suis loin de médire, ont fait la conquête récente de nos cantons :
rendons hommage à ceux qui gardent quelque fidélité à des plaisirs qui sont aussi des arts.
Quelle est la bourrée ou la farandole qui vaut une gavotte bien dansée et les figures de notre jabadao ?