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1943

Nostalgies Brestoises
par François Ménez


 

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Source : La Dépêche de Brest 20 septembre 1943

 

Mes réfugiés brestois au pays de Saint-Yves, je les ai retrouvés, sur les bords du Trieux, par ces jours de l'août déclinant marqués déjà, au matin et au soir, d'un premier frisson d'automne.

 

Il faisait bon, la campagne était verte et belle, avec des pommes en plus grande quantité que les paysans ne veulent bien le dire.

La moisson était faite, sauf dans un petit nombre de fermes attardées.

L'on sentait dans les aires, où le battage venait d'être effectué, une odeur chaude de paille neuve.

Et aussi le fumet, qui faisait venir l'eau à la bouche aux pauvres citadins que nous étions, des festins de moissons où l'on ne se refuse rien : du veau rôti, disparaissant sous un amoncellement de frites, jusqu'aux crêpes de froment, ruisselantes de beurre, succédant à l'andouille à la mayonnaise.

 

Réjouis par cette seule odeur, nos réfugiés ne se plaignaient de rien.

Ils se retrempaient dans cette paix des champs qu'interrompt rarement un lointain vrombissement d'avion.

Le ravitaillement s'opérait, cahin-caha, mais avec parfois, grâce à la pitié des ruraux opulents, quelques lèches de pain blanc et une livre de beurre troquée contre un paquet de gauloises, une livre de sel fin ou un cornet de clous.

 

De rien, sauf de voir poindre, au cap déjà proche de la Toussaint, un nouvel hiver sans confort, loin de leur ville.

Et il en est, croyons-nous, des réfugiés de Pontrieux ou de Callac, comme de ceux de Pleyben ou de Lannilis.

De même, nous dit-on, des Brestois exilés à Vendôme ou Romorantin, au pays de Ronsard, de Péguy et des châteaux des vieux rois de France.

On a beau, comme M. Guillermit, tenir l’orgue de magnifique façon, aux grand’messes chantées d’une capitale solognote, on a gros au cœur en songeant aux pavés fris de sa rue bretonne, et l’air de Brest commence à vous manquer.

 

Surtout par ces temps annonciateurs de septembre et de l'automne où Brest était si plaisant, véritablement agréable à habiter.

 

Vous vous rappelez, en votre captivité de Babylone :

c'était l'époque où, après s'être ennuyé ferme et fait le « brénique » sur les plages, on commençait à rentrer.

On avait, pour suivre la mode, par une sorte de respect humain et ne point, comme on dit à Brest, « se faire remarquer », fait comme tout le monde.

Et l'on avait bâillé, ayant lu tous les livres et mis les haveneaux hors d'usage à longueur d'après-midi, du Fret au Minou et à Brignogan et de Roscanvel à Trébéron et à l'île des Morts.

 

Aussi, septembre venu, quelle joie de rentrer, de revoir Brest qui, à ce moment de l'année, retrouvait son vrai visage, avec, de temps en temps déjà, ce crachin de mer, si différent de la fade brume de Sologne, qui vous laisse aux lèvres un petit goût de sel, poudre les joues et encadre de frisettes les fronts féminins.

 

Du coup, la rue de Siam reprenait son animation perdue.

C'était le temps où l'on « remontait » de Camaret, comme l'on remonte à Paris, de Manosque ou du Lavandou.

Et je revois le coin, toujours à peu près le même, aux Voyageurs, où je buvais le « breuvage hypocrite » — entendez un Pernod grenadine — à côté de Saint-Pol Roux et de Sévellec, de la tante Béghin et de la pauvre Divine.

 

La bonne Madame Saluden (*), aujourd'hui tristement morfondue en son échoppe de Quimper, se réjouissait à l'idée de voir rentrer tous ses fils spirituels, avec une moisson de paysages, de sorties de messes, de marines, de barques au repos, du Veryac'h à Lampaul d'Ouessant. depuis Péron, Delpy, Mocaër et Sévellec jusqu'à L'Helgoualch, Rat et Humblot.

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(*) Madame Saluden - à lire ici.

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Et c'était le temps aussi, des braderies, de ces grandes foires loufoques à l'image des kermesses flamandes qu'en cette époque de folie on avait réussi à acclimater dans nos villes bretonnes.

Et c'était tout Brest secoué d'un vent de carnaval, avec ses plus graves marchands, déguisés en pierrots ou en muscadins, battant l'estrade et bonimentant au pas de leurs boutiques.

Seigneur, où devions-nous être, quelques années ou quelques mois plus tard, alors que flottait encore la mousse des champagnes d'imitation et la poussière des derniers confettis ?

 

Mais tout cela ne valait pas la grande foire de Saint-Michel, dans la douceur des payes gagnées et des moissons faites.

Cela, c'était dans la bonne tradition bretonne, qui ne saurait mourir :

le défilé des coiffes de Gouesnou mêlées aux « pen maout », aux « pen sardine » et aux coiffes de « je n'ose », toute une houle d'ailerons et de toquets de tulle blanc d'où émergeaient, comme d'une mer de lys, les pompons rouges des matelots.

 

Et c'était la splendeur de la foire aux puces, sous des ombrages qui ne sont plus, sur un place vaste comme le monde, que reverront, par cette Saint-Michel de guerre — la dernière, espérons-le — dont quelques semaines nous séparent.

M. Guillermit, penché sur ses orgues romorantines, un retraité de marine aux bords du Trieux et telle de nos lectrices, en proie à l'ennui, dans l'ombre d'une trop vaste église Renaissance, du pied des monts.

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