1887
Pas de boite aux lettres
à Kersaint et Argenton
Source : La Dépêche de Brest 22 avril 1887
Argenton.
Depuis quelques années, les Brestois vont en foule passer quelques mois de la belle saison sur la plage d'Argenton.
Placée en face du Four, ayant à droite les rochers de Landunvez, à gauche ceux de Porspoder et de L’Aber-Ildut, cette plage est une des plus pittoresques et des plus charmantes de toutes les côtes de Bretagne.
Aussi les Brestois sont-ils bien inspirés de l'occuper avant qu'elle ne soit envahie par les Parisiens.
Le hameau d'Argenton est une dépendance de la commune de Landunvez, qui a environ 1,800 habitants à peu près répartis par tiers entre trois groupes : le bourg de Landunvez, Kersaint et Argenton.
Au bourg se trouvent l'église, la mairie, les écoles de garçons et de filles et l'habitation du curé.
Les deux hameaux Argenton et Kersaint sont de chaque côté du bourg, à une distance d'environ trois kilomètres.
Qui ne sera étonné en apprenant qu'à Kersaint et à Argenton il n'y a pas même une boite aux lettres ?
Le maire de la commune habite Kersaint, l'adjoint habite Argenton ;
le facteur qui vient de Ploudalmézeau passe chez eux chaque matin et peut prendre leur correspondance ;
mais pour les autres mortels ?
Ils doivent monter la garde sur la route et attendre le passage de l'agent postal ;
ou bien déposer leurs lettres dans quelque maison où il a l'habitude d'entrer.
On sait que l'installation des boîtes aux lettres est à la charge des communes :
Comprendra-t-on qu'à notre époque il existe quelque part en France une municipalité qui ne croit pas utile de dépenser quelque vingt francs pour éviter trois kilomètres de courses à 1,200 habitants quand ils ont une lettre à expédier ?
Outre cela, Argenton et Kersaint n'ont pas d'écoles ;
les enfants, garçons et filles, de ces hameaux doivent se rendre aux écoles du bourg et, comme pour les lettres, rayonner d'une circonférence de trois kilomètres.
Les écoles coûtent plus cher que les boîtes aux lettres et beaucoup ne seraient pas surpris qu'Argenton et Kersaint eussent leurs boîtes aux lettres, mais pas d'écoles.
Mais ici le cas des écoles est aussi extraordinaire que celui des boîtes aux lettres.
II y a quelques années, quand la caisse des écoles avait encore les flancs bien gonflés, on disait à la municipalité de Landunvez :
Donnez-nous une somme de 1800 fr. et nous dépenserons 12,000 fr. pour vous construire une école à Argenton.
De même pour Kersaint.
La municipalité refuse.
On en est à croire qu'elle eût envoyé son garde-champêtre pour empêcher les travaux, si le gouvernement avait voulu lui construire gratuitement ses écoles de hameau.
Et pourtant, ce charmant pays est en France !