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1887

Saint-Pol de Léon
vu par Paul Ginisty


 

Source : La Dépêche de Brest 5 janvier 1887

 

Un de nos confrères du XIXe Siècle, M. Paul Ginisty, dont nos lecteurs ont lu quelques intéressants articles reproduits dans l'Union républicaine, est allé passer le jour de Noël à Saint-Pol de Léon.

Il raconte dans le XIXe Siècle l'impression qu'il a emportée de l'antique petite ville et décrit la messe de minuit, telle que la cathédrale de Saint-Pol en offre l'original spectacle.

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Ginisty, Paul.jpeg

Paul Ginisty

 

Voici la partie de sa chronique qui concerne la ville :

 

Cette antique cité, jadis capitale d'un royaume et qui fut la gloire du Léonais, n'est, à vrai dire, qu'une grande église.

De loin, elle apparaît avec ses mille clochers à jour, comme une immense basilique, d'où se dégage, avec une fierté singulière, la haute tour du Creizsker, merveille d'audace architecturale qui n'apporte aucune désillusion lorsqu'on la contemple de plus près, car on se demande comment elle, repose sur des fondements aussi faibles en apparence.

 

La ville semble émerger d'une plaine, comme une évocation féerique, et dans le grand silence qui pèse sur elle, le seul bruit des cloches jette d'abord une ombre de vie.

Sans ces voix de métal, qui affirment qu'on n'est, point le jouet d'une illusion, on croirait à quelque subite vision du moyen âge, apparue pour le rêveur.

 

Les touristes, qui, l'été, brûlent les étapes, sur la foi des Guides, dédaignent, en se rendant à Roscoff, où on leur parle de curiosités banales, cette épave subsistant encore, par un anachronisme, d'un passé mort.

Que feraient là ces gens pressés, qui n'ont pas le temps de découvrir eux-mêmes des choses d'art, et qui suivent leur route comme une leçon apprise ?

D'ailleurs, Saint-Pol de Léon ne semble rien tenter pour affirmer son existence ;

elle ne fait aux voyageurs aucun signe provoquant, elle garde pour elle ses rares beautés ;

elle n'a pas l'air d'avoir tenu à ce que le petit chemin de fer d'intérêt local qui la dessert passât plus près d'elle ;

elle compte bien en tout cinq ou six voitures, invraisemblables de forme, et il faut se donner bien du mal pour découvrir son unique auberge.

 

Donc, rien de pratique ;

mais c'est justement pour cela que Saint-Pol offre à qui a, pour ainsi dire, forcé son enceinte, d'extraordinaires surprises.

 

On marche, au milieu de ses longues et étroites rues, comme au milieu d'une solitude.

Toutes les maisons, à l'exception de deux ou trois, qui donnent là une note fausse et criarde, ont un pur aspect antique, avec leurs volets de bois travaillé et sculpté, leurs porches bas, aux marteaux de fer et aux heurtoirs étrangement ciselés.

 

Point de boutiques.

Quelques objets de commerce, aperçus à travers des vitres basses, indiquent seulement que certains Léonais tiennent, par pure obligeance sans doute, quelques articles indispensables.

Au-dessus d'une porte ogivale, sous laquelle il faut se baisser pour entrer, un écriteau, peint à la main,

porte le mot « tabac », qui fait là l'effet le plus étonnant

 

Des hôtels à tourelles et à clochetons (où les clochers ne sont-ils pas, à Saint-Pol ?) abritent de vieilles familles à qui la pauvreté ne semble point peser et qu'on appelle là-bas, avec conviction, les « nobles ».

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Les gens de Morlaix qui, eux, sont fort pratiques et avisés, disent avec dédain que les sept mille habitants de Saint-Pol sont, en dépit de l'heure de chemin qui les sépare, à trois cents lieues et à trois cents ans de leur active et pimpante petite ville.

Il semble par moment, qu'on soit à plus de trois cents ans encore de notre va-et-vient affairé moderne et, ce qui étonne, c'est de ne pas voir passer, en chaise armoriée, quelque douairière gourmandant ses laquais.

 

Il y a encore des douairières à Saint-Pol ;

mais, faute de pouvoir se montrer dans un appareil digne d'elles, elles restent sans doute dans leurs grands salons majestueux et froids, derrière les murs épais de leurs castels centenaires.

 

Tout le semblant de vie de Saint-Pol se concentre, les jours de fête, autour de ses églises, qui se pressent les unes contre les autres, étalant les trésors de leurs façades démembrées.

Chacune a sa légende :

L'une a été bâtie, dit-on, par une jeune fille paralytique, guérie miraculeusement par saint Kirec ;

l'autre montre la « fenêtre des excommunications » ;

sur les clochers d'une autre, on affirme que les anges qui visitent l'Armorique viennent prendre leur élan.

 

Allez donc apporter là vos idées philosophiques !

 

La foi ardente a fait de cette vieille ville son dernier refuge.

J'ai bien vu, après les vêpres, de solides gars, aux longs cheveux, se diriger, en se tenant par le bras, vers un cabaret qui se trouve en face de la cathédrale, mais c'était pour fêter Noël et la religion qu'ils allaient se griser.

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