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1904

Les petits Bretons

 

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Source : Le Petit Français illustré -Journal des écoliers et des écolières 22 octobre 1904

 

Vous avez certainement vu des images représentant des enfants bretons, et vous avez pensé, peut-être, que les singuliers costumes qu'on leur attribuait étaient dus à l'imagination de l'artiste, désireux d'enjoliver ses modèles.

Eh bien, ami lecteur, détrompez-vous.

Si vous êtes Parisien, ne croyez jamais les messieurs graves qui, n'ayant jamais voyage plus loin que Versailles ou le lac d'Enghien, proclament avec assurance que nos vieilles provinces ont perdu toute originalité et que les Bretons portent, comme les habitants de Montmartre, des casquettes de cyclistes et des complets-vestons à 39 fr.95.

Non.

La Bretagne avec ses landes, ses rochers, ses îles, est non seulement une des plus pittoresques contrées de notre beau pays de France, mais ses habitants, isolés dans leur péninsule, ont conservé, en grande partie, les mœurs et les costumes d'autrefois.

 

Je vous ferai connaître seulement quelques traits qui concernent les enfants.

Ceux-ci sont en Bretagne, très nombreux, surtout parmi le peuple.

On les voit grouiller autour des fermes sur les routes, comme des portées de jeunes chats.

Les cheveux en désordre, les vêlements en lambeaux, les pieds nus, ils prennent leurs ébats au soleil, gais, insouciants, amusés d'un rien.

Leurs joues rouges comme des pommes à cidre, leurs yeux pétillants de vie attestent qu’ils sont les dignes descendants de ces « Bretons, race forte », qu'a chantés le poète Brizeux.

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Il faut que ces bambins soient, en effet, solidement constitués, pour persister à vivre dans les conditions défavorables où ils sont placés par l'ignorance et la misère de leurs parents.

Dès leur naissance, ils subissent parfois une rude épreuve.

Dans certaines régions, la coutume veut que, le jour du baptême, l'enfant attende tout nu, sur le seuil de l'église, l'arrivée du prêtre.

Si la cérémonie a lieu en hiver, vous jugez de la souffrance infligée au petit être.

 

Dans la chaumière du petit fermier ou dans la masure du pêcheur, les enfants couchent tous dans l'unique pièce de la maison, souvent plusieurs dans un lit.

Un jour, surpris par une averse, je m'abritai dans une chaumière du Finistère.

Les habitants étaient absents, l'homme en mer et la mère occupée aux travaux des champs.

La maison était gardée par une bande de sept enfants malpropres qui faisaient un grand tapage pour se distraire.

À mon entrée, tous se turent et les deux plus grands, qui seuls parlaient français, vinrent gentiment me tenir compagnie.

Comme il ne se trouvait que deux lits dans la pièce, je leur demandai comment, pendant la nuit, toute la famille était nichée.

Alors l'aîné, un bambin de dix ans, me donna avec complaisance cette explication :

« Papa et maman couchent dans le grand lit, avec Pierre et Yvonne.

Le petit Jean-Marie est près d'eux, clans le berceau que vous voyez là. »

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À côté du lit-armoire, que l'on distinguait à peine dans un coin sombre, il me montrait une sorte de caisse couverte de loques noirâtres qui devaient être les draps et les couvertures.

« Et les quatre autres, où dorment-ils ? Demandai-je.

— François, Corentine, Thérèse et moi, nous couchons ici, répondit le petit gars en me désignant une couchette dissimulée sous l'escalier qui conduisait au grenier.

« Comment ! Quatre côte à côte sur ce petit matelas ! »

L'enfant se mit à rire.

« Non ! Pas côte à côte, il n’y aurait pas de place.

— Alors ? Fis-je, perplexe.

— Eh bien, expliqua-t-il, il y en a deux qui ont la tête d'un côté, et deux dans l'autre sens.

Comme ça, tout le monde est à l'aise et, en hiver, on a ont a bien chaud. »

 

Tout de même, quelle atmosphère doit régner, la nuit, dans cette pièce au sol humide, jamais lavé, où neuf êtres vivants sont entassés sur des grabats infects !

Ajoutez à cela que, fréquemment, les poules et le porc viennent, le soir, partager le toit de leur maître.

 

Chez les pauvres Bretons, la malpropreté est un défaut tellement habituel qu'il est devenu inconscient.

Par exemple en traversant un village, vous assistez souvent à la petite scène suivante :

Une fillette de dix à douze ans, assise sur le bord du chemin, tient sur ses genoux la tête d'un enfant plus jeune et, dans les broussailles de sa chevelure, elle se livre à une chasse dont il est inutile de nommer l'objet.

Il est à craindre que le gibier ne soit, en toute saison, très abondant.

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Dès qu'ils atteignent six ou huit ans, les petits Bretons sont habillés du costume traditionnel que portent leurs parents.

 

Les détails de ces vêtements sont variés à l'infini.

On peut dire qu'ils diffèrent dans chaque canton.

Mais certaines parties demeurent immuables, comme le grand chapeau de feutre des garçons et les jupes longues des filles.

 

L'école a souvent, en Bretagne, un caractère tout particulier.

Cela, en dehors des villes, naturellement.

Un grand nombre d'écoliers prennent leurs repas et couchent chez l'instituteur.

Ils sont, à proprement parler, comme les élèves internes de nos collèges.

Il ne peut en être autrement, car les fermes sont très disséminées et l'école se trouve souvent éloignée de cinq ou six kilomètres de la demeure du paysan.

Le trajet serait trop long pour de petites jambes.

L'école est donc pourvue d'un réfectoire et d'un dortoir.

Le mobilier de ces pièces ne ressemble pas du tout à celui de nos grands lycées.

Bien loin de là.

Il est, comme toute chose en Bretagne, très primitif.

En visitant un de ces dortoirs, je constatai un jour qu'il n'y avait pas de porte et que la pièce communiquait directement avec un grand couloir.

Comme j'en faisais tout haut la remarque, l'instituteur me répondit :

«  Ils sont durs, nos Bretons, nous ne voulons pas les amollir par des raffinements inutiles.»

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Au réfectoire, le menu est peu compliqué.

Chaque semaine, le jour du marché, le père de famille apporte à son enfant une miche de pain noir et un morceau de lard.

Cette provision alimente les repas du petit gars pendant sept jours, matin et soir.

L'institutrice ou sa servante taille la soupe pour les enfants.

Les parents paient pour leur fils une pension de 5 francs par mois.

Cette somme vous paraît sans doute dérisoire.

Elle est trop élevée encore pour beaucoup de petites bourses et il arrive que, lorsqu'une famille comporte plusieurs enfants, certains d'entre eux sont sacrifiés et n'apprennent jamais ni à lire ni à écrire.

Ceux-là, si ce sont des garçons, ne seront instruits de leur langue nationale qu'au régiment ou à bord des vaisseaux de l'État, car, dans la campagne bretonne, le langage celtique est presque partout en usage.

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Parce que les Bretons ne comprennent pas notre langue, il serait injuste d’en induire qu'ils sont réellement bornés et stupides.

La race est, au contraire, très intelligente !

Lorsque l'instruction sera partout répandue, c'est vraiment une population laborieuse, active, énergique, qui aura été acquise au progrès.

Déjà les Bretons fournissent à notre marine des équipages incomparables.

Les matelots d'Armorique sont précieux par leur endurance et leur passive obéissance aux ordres des chefs.

On a dit souvent que les Bretons emportaient partout avec eux l'amour de leur province et le regret de leur clocher.

C'est vrai, mais ils n'en sont pas moins d'excellents Français.

La conduite des marins bretons enrôlés dans les armées de terre pendant la guerre de 1870 a été au-dessus de tout éloge.

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