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1925

La foire Saint-Michel

 

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Source : La Dépêche de Brest 5 octobre 1925

 

L'automne a, cette année, la grâce d'un été.

Ce beau temps, ce chaud soleil, a favorise le premier jour de la foire Saint-Michel, qui battra son plein aujourd'hui.

 

Hier, dès la première heure, revendeurs et revendeuses, dont le nombre augmente sans cesse, avaient envahi, d'un côté, le grand terrain compris entre la rue Jean-Jaurès et l'ancien établissement de « La Glacière » ;

de l'autre, le large trottoir du théâtre municipal et ses abords.

Sur les glacis des fortifications, de l'avancée de la porte de Landerneau au bois de Boulogne, il n'y avait plus une place à louer en bordure de la rue.

 

C'était, de tous côté, un méli-mélo indescriptible étalé au soleil, dans le poudroiement soulevé par les allées et venues des passants.

Et chacun se penchait, maniait, retournait, étudiait les objets délabrés, vieillis, rouilles, disloqués et d'un usage, souvent indéterminé.

 

Sur des tapis décolorés, usés jusqu'à la corde, les bouquinistes avaient laissé choir une avalanche de vieux livres, entassés au petit bonheur de la débâcle.

Les amateurs, parmi lesquels des habitués des salles de vente, fouillaient dans le tas, cherchant l'ouvrage rare ou curieux.

 

Quelques mamans en quête d'une grammaire ou d'une arithmétique pour leurs enfants — les fournitures classiques sont aujourd'hui si chères — furent plus heureuses.

 

En feutre gris et tablier bleu, l'un des plus sympathiques revendeurs brestois, présentait un lot immense d'outils, provenant, pour la plupart, des stocks américains.

Et, tandis qu'artisans et bricoleurs faisaient acquisition, après un minutieux examen, d'une hache, d'un rabot, d'une gouge ou d'un burin, une laitière marchandait une vieille lanterne d'écurie, veuve de ses carreaux.

 

— Quand donc aurons-nous l'électricité à la campagne ? disait-elle.

Ah ! Vous en avez de la chance, vous.

On y voit en ville, la nuit, comme en plein jour, tandis qu'on s'éclaire encore chez nous avec des « goulou soa ».

 

— Qu'est-ce qu'elle dit ? De la chance ! s'écrie un loustic.

Elle nous fait payer son lait 20 ronds le litre, et elle dit que c'est nous les veinards.

Eh bien zut alors !

Qu'elle vienne donc voir si j'ai de l'électricité dans ma piaule.

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Devant le Treillis Vert, un complet, veston passe de mains en mains.

— C'est tout neuf, assure la marchande ; il n'a pas été porté deux fois.

Vous pouvez le prendre en confiance.

Touchez-moi ça, c'est pure laine... '

— Combien ?

— 90 francs. C'est une donnée.

 

La cliente, une petite maigrichonne, portant la coiffe de Lambézellec palpe l'étoffe, tourne et retourne l'objet, examine les coutures, jette un coup d'œil sur la doublure, qu'elle trouve trop claire, et s'éloigne.

La revendeuse la rappelle.

 

— Combien que vous mettez dedans ?

— 80 francs.

— Alors, venez.

Vous pouvez dire que c'est une affaire.

Regardez-moi cette coupe.

Ça sort de chez M. Durand, membre de l'académie des tailleurs de Paris.

Il en a de la chance, votre homme !

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Voici des bottines miniatures.

Déjà une dizaine de midinettes les ont essayées.

En vain ! Ce sont les chaussures de Cendrillon, mais Cendrillon a eu peur d'attraper des cors...

 

Quelle est l'histoire de ces vélos vendus 100, 125, 150 francs ?

C'est une bicyclette de darne ayant, peu roulé, auprès de deux vélos pour enfants.

Quelle famille, d'abord aisée, s'est débarrassée de ces petites machines, renonçant tout d'un coup aux agréments des promenades ?

 

Et ces matelas éventrés, ces couvertures maculées, sommiers aux ressorts affaissés, vers quels nouveaux logis vont-ils aller ?

 

Voici de vieilles armoires, des tables, des chaises, des horloges, des réveils, pauvres choses mesquines, mais qui, « retapées », feront encore de l'effet.

 

Quel assortiment, quel désordre, mais aussi quel choix !

À la foire aux puces on trouve de tout.

Au milieu d'un tub, je remarque un évêque en plâtre, un Saint-Antoine avec son cochon, un pistolet, une cuvette, des peignes, des brosses à dents... d'occasion.

 

Le bric à brac alterne avec des étalages de bimbeloterie, d'étoffes, de parapluies, de bonbons, de gâteaux de fruits...

On trébuche parmi les instruments agricoles, herses râteaux, fourches, dont les dents vous accrochent le pantalon au passage.

Bien ne manque.

Voici de la vaisselle, de la verrerie, eu objet des plus intime, une grue... « en bronze du commerce », une trousse de chirurgien. — Merci, très peu !

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La Dépêche de Brest 24 juillet 1939

 

Passons aux attractions.

Elles sont nombreuses.

Si vous subissez l'attrait du surnaturel, consultez Mme Mariska.

Elle vous fera connaître le nom de celui ou de celle qui vous aime, les joies et les malheurs qui vous attendent.

 

Mme Mariskca — le professeur qui l'accompagne prend soin de vous en aviser — ne dit rien contre la religion, ni la morale.

Elle ne révèle que la vérité...

 

— Que porte ce monsieur ?

— Une canne.

Définissez-la.

— Elle a une poignée en argent. C’est un souvenir d'Indo-Chine.

C'est exact.

 

En face, sous les arbres, l'avenir est dévoilé.

Mais c'est par « le bambou des Fakirs », une boite de zinc cylindrique, recouverte d'un cachemire des Indes.

Pour cinquante centimes — ce n'est vraiment pas cher — vous pouvez entrer en communion de pensée avec un parent, frère, cousin, que cent lieues de mer séparent d'avec vous.

Succès garanti !

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La Dépêche de Brest 25 juillet 1939

 

Et maintenant, silence !

Écoutez !

C'est la chanson du jour :

« Sous le soleil marocain », avec l'accompagnement d'un jazz complet :

grosse caisse, accordéon, clochettes...

La foule reprend en chœur le refrain.

Plus loin, les chevaux de bois tournent sans répit.

Et, tout près, l'un des membres de la société ornithologique de France vous annonce que vous pouvez gagner une petite perruche égyptienne, pour 20 sous.

Si votre numéro sort dix fois, il vous sera fait don, à titre de réclame, d'un superbe perroquet parlant comme un député.

 

J'allais oublier la danse des flambeaux.

C'est curieux, palpitant, émotionnant.

Mais comme l’avaleur de feu, qui s'est grièvement brûlé récemment à la foire de Vannes, veut au moins récupérer à chaque séance le prix que lui coûterait un pansement, si pareil accident lui arrivait, vous pouvez stationner sur place une bonne demi-heure et même plus.

Il ne commencera que lorsqu'il jugera que les pièces de monnaie qui tombent sur son tapis sont assez nombreuses pour rémunérer son travail.

Vous vous amuserez, il est vrai, pendant ce temps, en écoutant le boniment de l‘artiste.

Il ne manque pas de truculence.

 

Voilà, amis lecteurs, ce qu'est, cette année, la foire Saint-Michel.

Allez-y, bonnes gens de la ville et des champs.

Ça vaut le voyage.

Mais un conseil : Prenez garde, aux pickpockets.

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