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1926

Dans le train
de Landerneau vers la Cornouaille
par François Ménez


 

Source : La Dépêche de Brest 13 août 1926

 

Dans le train qui, ce dimanche de juillet, nous mène de Landerneau à travers la Cornouaille, cinq Léonardes ont pris place et sont mes voisines de compartiment.

 

Cinq — des vieilles et des jeunes — mais où les jeunes ne se distinguent guère des vieilles, tellement elles sont identiques de costumes, d'allure, de langage :

Toutes en robe et en châle noirs, sans la moindre trace du désir de plaire, les cheveux strictement tirés sous la coiffe ingrate.

Des têtes graves, au reste assez fines de fermières rouées et de mercières villageoises.

Leurs mains, qu'elles tiennent serrées et cachées dans leurs manches de nonnes, accentuent leur apparence monacale.

 

Je comprends, à les entendre parler, qu'elles viennent de Saint-Thégonnec et de Pleyber-Christ et qu'elles se rendent à Sainte-Anne d'Auray, pour le grand pèlerinage.

Elles portent d'énormes cabas de lustrine où sont entassées des provisions pour tout le voyage.

Elles s'attendent bien à ne pas trouver de place, dans les hôtels de, Sainte-Anne, mais elles passeront la nuit, en prières, dans l'église.

La fatigue d'une nuit blanche n'est pas pour les émouvoir.

Elles n'en gagneront que plus d'indulgences.

 

À Quéménéven, deux Cornouaillaises ont fait irruption dans le compartiment et ont pris les deux places libres.

Deux jeunesses, fraîches et mutines, avec un tantinet de fard sur les joues et au bord des lèvres, traînant derrière elles une bonne odeur de bal-musette et de prés verts.

Souliers blancs, bas blancs, moulant à souhait la jambe, jupe courte, corsage de velours perlé aux emmanchures et découvrant, avec une coquetterie savante, un carré de gorge d'une blancheur de lait.

 

Elles ont causé, avec de jolies mines et des rires, parfaitement indifférentes à leurs voisines.

Elles allaient à Quimper, pour une fête ;

des amis les attendaient ;

elles danseraient, chez Bourhis ou Nédélec, jusqu'au matin...

 

Jamais je n'avais vu, avec autant de force, le contraste entre deux Bretagnes, pourtant toutes voisines, et qui ne se comprennent pas.

Saint Thégonnec.jpg
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