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1929

À l'abattoir municipal
par Pierre Avez

 

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Source : La Dépêche de Brest 13 avril 1929

 

Je m'étais imaginé que les journalistes avaient partout libre accès et que toutes les portes s'ouvraient grandes devant eux.

 

C'est avec cette conviction que je me présentai, mercredi dernier, à l'abattoir municipal de la ville de Brest.

M. Esclauze, directeur de l'établissement, étant absent, on me pria de revenir le lendemain.

Je m'inclinai et m'en fus.

Le lendemain, M. Esclauze était encore absent (son service l'appelant aux halles), mais il avait laissé des consignes : je ne pouvais visiter l'abattoir que nanti d'une autorisation municipale.

Simple curieux, j'entrais librement ; ma qualité avérée de reporter me rendait suspect.

 

Je me présentai donc à la mairie.

Je dois à la vérité de dire que les huissiers de notre hôtel de ville ne sont pas toujours aimables.

Le visiteur, voilà l'ennemi.

Ils vous regardent d'un œil plein de méfiance, comme si vous étiez porteur d'une bombe.

Vous demandez à voir M. le maire, « On » vous répond que M. le maire n'est visible que deux jours par semaine.

Vous insistez, on spécifie qu'il est absent : « Voyez M. le secrétaire général. »

 

M. le secrétaire général, lui, est un homme charmant, mais il n'a pas qualité pour satisfaire à ma demande.

Il me renvoie à M. Hervagault.

M. Hervagault n'est pas arrivé.

Viendra-t-il ce matin ?

On ne le sait pas.

Quelles sont ses heures de réception ?

Il n'a pas d'heures.

Existe-t-il seulement ?

 

Comme je manifeste une certaine humeur, on me prie de revenir dans dix minutes.

Dix minutes plus tard, je suis là, ponctuel, acharné.

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Entre M. Hervagault.

Je me présente ; j'expose le motif de ma visite.

Mais je n'obtiens pas satisfaction.

Le moment est, paraît-il, mal choisi (à cause des élections).

Je ne sais si M. l'adjoint redoute les bombes des anarchistes, mais il a une crainte salutaire du stylo des enquêteurs : si j'allais ouvrir une polémique ?

Tiens, mais alors, c'est qu'il y avait dans l'abattoir quelque chose d'anormal, quelque chose que l'opinion publique ne doit connaître à aucun prix.

Comme j'excipe de mes intentions bienveillantes, M. Hervagault tranche :

 

— Et puis, il faut que je consulte mes collègues.

Je ne puis prendre sous mon seul bonnet de vous accorder l'autorisation que vous sollicitez.

Revenez plus tard.

 

Cinq minutes après, à la Dépêche :

— Allo ? La mairie ? M. Hervagault ? — Il parait que vous refusez à l'un de nos collaborateurs l'accès de l'abattoir ?

— M. Hervagault craint toujours les polémiques.

— Ce n’est certainement pas le moyen de les éviter !

D’ailleurs, l’enquête de M. Pierre Avez a simplement pour but de renseigner le public brestois sur le fonctionnement de l'abattoir, le contrôle des viandes... rien de compromettant comme vous voyez

 

M. Hervagault se résigne enfin à comprendre.

Il capitule :

— Je vais téléphoner à l'abattoir qu'on laisse entrer votre collaborateur.

Ouf!

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En route

 

Vendredi matin. Boulevard Gambetta.

La plus belle vue sur la rade.

Malheureusement un paysage désolant de gares :

Sifflets suraigus, fumées nauséabondes.

Des hommes d'équipe chargent dans un wagon des débris de verre.

Gammes claires de jazz-band.

 

L'abattoir est au diable vauvert (c'est d'ailleurs sa place).

On n'a jamais fini d'y arriver.

Sa proximité est dénoncée par des mugissements et une odeur fade, mais persistante, de viande crue et de sang.

 

Beaucoup de bruit pour peu de chose

 

Que M. Hervagault se rassure !

Ses administrés ne mangent pas de viande avariée.

Le contrôle exercé par M. Esclauze et ses deux sous-inspecteurs est rigoureux sur ce point.

 

Toute bête tuée en dehors de Brest et destinée à nos boucheries doit d'abord porter l'estampille du service communal d'origine, puis l'estampille triangulaire de l'abattoir.

 

Quant aux bêtes abattues ici-même, elles ne sortent que marquées de l'estampille ronde.

Sont impitoyablement proscrites de l'alimentation, saisies et enfouies, les viandes douteuses, telles que vaches tuberculeuses, chevaux morveux et cachectiques.

 

En outre, dans un but de protection du cheptel national, toutes les bêtes reconnues tuberculeuses par le vétérinaire sont signalées, par ses soins, à la préfecture, qui ordonne la désinfection de l'étable contaminée et la tuberculinisation préventive des autres membres du même troupeau.

 

J'ajoute, pour être complet, que M. Esclauze est, en outre, chargé du service des fraudes et de l'inspection des viandes, poissons, légumes et autres produits alimentaires, qui sont débités, soit aux halles, soit dans les marchés, soit dans les boutiques de la ville, soit à l'encan, dans les rues.

Il traque et dépiste avec succès les mouilleurs de lait, empoisonneurs de l'enfance urbaine, ainsi que les fraudeurs de tous poils.

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Un peu de comptabilité

 

Le poste d'octroi de l'abattoir est l'un des plus productifs de la ville de Brest.

Il perçoit, outre une taxe municipale, deux taxes de visite et d'abatage, qui sont, respectivement, de 2 centimes et 3 centimes par kilogramme de viande, sur chaque bête tuée.

Un « octroyen » y demeure en permanence.

Pendant la journée, il est assisté d'un collègue.

Et ce n'est pas une sinécure que de surveiller, certains jours d'affluence, (les jeudi et vendredi, jours principaux de tuerie), les allées et venues des camionnettes et chars à bancs des bouchers de toute la région, peser les véhicules à vide, les repeser à plein, calculer, percevoir les impositions, veiller, nuit et jour, à tout ce qui passe et repasse.

 

Les dépendances de l'abattoir

 

L'abattoir-municipal a été construit en 1884, si je ne me trompe.

Je ne m'astreindrai pas au sévère pensum qui consisterait à vous en décrire, par le détail, toutes les dépendances.

Elles n'ont, d'ailleurs, rien d'esthétique.

En gros, elles comprennent — outre les bâtiments administratifs de l’entrée — trois halls d'abatage, renfermant un nombre variable de cases numérotées ;

une porcherie, une suifferie, une triperie, un laboratoire pour le traitement des peaux, une basse-cour, la fourrière et un certain nombre de petits édifices à usages indéterminés.

 

Nous aurons bientôt l'occasion de les parcourir.

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Source : La Dépêche de Brest 14 avril 1929

 

Dans le métier de reporter, on est obligé de s'aguerrir contre toutes les émotions ;

La visite de l'abattoir n'a rien de réjouissant.

Ni pour l'odorat, car on est poursuivi par une odeur écœurante de carnage, une odeur dont on emporte fatalement sur soi quelques effluves insistants.

Ni pour la vue, car le spectacle de la mort violente administrée à des animaux innocents est de nature à impressionner les délicats.

J'invite donc à me suivre les lecteurs qui ont le cœur bien accroché.

Et encore, avec des mots, je ne pourrais reconstituer la réalité.

 

Un hall d'abatage

 

Nous aurions dû venir en sabots, avec de la paille dedans, car le sol cimenté ruisselle de sang, d'excréments (sauf vot' respect) et de toutes les humeurs que lâchent les entrailles des bêtes sacrifiées.

Il est passé en usage chez les cultivateurs de bourrer leur bétail de fourrage avant les foires ou marchés, de manière qu'il présente, aux regards des maquignons  un séduisant embonpoint.

 

Il y a bien quelques bailles d'eau dont le trop-plein s'écoule timidement ;

on dirait que l'eau a peur de se salir.

Un jeune homme est occupé à vider et sélectionner les intestins d'un cheval tout frais abattu.

Ces dépouilles sont utilisées par l'industrie à des fins variées : rien ne se perd.

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La mort des bêtes

 

Les procédés d'abatage utilisés ici sont au nombre de deux :

l'égorgement, pour les veaux, les moutons et les porcs ;

l'assommement au merlin pour les vaches et les chevaux.

Le merlin est une espèce de masse dont la partie percutante, cylindrique et creuse, agit comme un emporte-pièce, défonce le crâne de l'animal en arrière des deux cornes et pénètre profondément dans la matière cérébrale.

En général, la mort est foudroyante.

Mais il peut arriver que le boucher ait des instruments défectueux.

Et alors, ça devient véritablement de la boucherie.

 

On apporte une jeune génisse.

On lui passe un lien autour des cornes.

On fixe ce lien à un anneau scellé clans le dallage.

L'aide du bourreau présente la tête de la bête au coup de merlin.

Han !

Elle s'abat.

Le bourreau saisit alors son coutelas et tranche les deux carotides, d'où le sang gicle, vermeil.

On hisse l'animal au moyen d'une corde nouée à sa patte arrière et courant sur une poulie.

Tant mieux s'il est mort du premier coup.

Mais s'il n'est qu'à moitié assommé, le sang lui échauffe la tête, le ranime, lui sort par les naseaux, la bouche, les oreilles.

Il souffle à grands coups, il renâcle, il étouffe, il crache des glaires et caillots, il se débat désespérément dans ses liens et, par un effort suprême, mugit lugubrement.

Jusqu'au bout il lutte contre cet ennemi inconnu et terrible qu'il porte en lui, contre cette étrange faiblesse qui l'envahit, qui obscurcit ses prunelles et étrangle son gosier, qui freine son cœur et sa vie.

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Je proteste contre la brutalité et la longueur du supplice.

Le bourreau s'excuse sur le mauvais état de son merlin et, pour me donner satisfaction, plonge son couteau dans la moelle épinière de la bête.

Un dernier soubresaut et elle s'immobilise, les yeux vitreux et exorbités, la langue révulsée au coin de la gueule.

C'est la fin : le sang qui coule est noir maintenant.

 

On la descend, on lui fracasse le crâne pour dégager la cervelle et séparer les cornes, on la dépouille soigneusement de sa peau et de ses entrailles, on la fend en deux à coups de hachette et de scie Mais, un moment encore, cette chair qui ne veut pas mourir est parcourue de convulsions nerveuses et fume comme un holocauste.

 

J'ai vu mourir aussi, d'une lente agonie, de tous jeunes veaux, saignés à blanc et que maints bouchers s'obstinent à ne pas assommer auparavant parce que, paraît-il, le sang recueilli serait moins bon.

 

J'espère qu'il m'aura suffi de signaler cette pratique inhumaine pour que l'administration veille à la réprimer.

Au besoin, la Société protectrice des animaux pourrait intervenir.

Car, enfin, s'il est établi que l'homme moderne ne saurait se passer de son beefsteack quotidien tout de même devrait-on veiller à tuer le plus rapidement possible des animaux doués d'une sensibilité supérieure et d'une certaine intelligence rudimentaire.

Sur les chevaux, dont la boîte crânienne est plus fragile, l'effet du merlin est instantané.

Souvent, on leur bande les yeux avant de les frapper, ils s'écroulent d'un bloc et on les saigne.

Pour faciliter le décollement de la peau, on les gonfle au soufflet, de même que les veaux.

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Il se tue peu de porcs à l'abattoir.

On emploie le couteau.

J'en ai vu égorger à la campagne.

Ils hurlaient atrocement pendant cinq ou dix minutes, selon le degré de maladresse du bourreau.

Ensuite, on les fourrait dans de la paille.

Une allumette, et tout flambait.

Bientôt le porc était net de tous ses poils.

Ici, l'enlevage des soies se fait dans une chaudière d'eau bouillante.

Les porcs grillés sont, paraît-il, plus appréciés.

 

Les moutons et les agneaux sont également égorgés.

Une fois nettoyés, on fait leur « toilette », c'est-à-dire qu'on les enveloppe dans leur péritoine, comme dans un bas transparent et graisseux.

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Bêtes malades

 

On me montre les quartiers d'une vache atteinte de tuberculose.

Ses poumons sont fortement gangrenés et, partout à la surface interne du thorax et du bassin, apparaissent des sortes d'excroissances jaunâtres et granuleuses, comparables à du chou-fleur.

Ces dépouilles seront enfouies ; la bête va être signalée à la préfecture et le paysan vendeur devra en restituer le prix au boucher.

Est-il assuré ?

Si oui, tant mieux ; sinon, c'est une perte sèche de 1.500 à 2.000 francs.

 

Plus loin, nous avisons une autre vache, atteinte de néphrite.

Ses reins sont boursouflés, flasques et, quand on les pique au couteau, un jet d'eau fuse.

La viande de cet animal ne pourra être estampillée qu'après ablation des parties malades.

Cette opération locale effectuée, elle demeure propre à la consommation.

 

Encore une fois, le contrôle sanitaire m'apparaît sérieux.

Si la propreté des halls et des cases d'abatage laisse à désirer, c'est évidemment un peu par la force des choses.

Par ailleurs, les viandes sont bien nettoyées.

Tout ce que nous pouvons demander à certains bouchers, c'est qu'ils renoncent à des procédés de tuerie périmés et inhumains ou qu'ils entretiennent mieux leur outillage.

 

Nous terminerons prochainement cette enquête par une description des annexes de l'abattoir.

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Source : La Dépêche de Brest 15 avril 1929

 

Il y a deux grands bâtiments, à usage décurie et d'étable, pour les bêtes qui doivent être abattues.

Vous savez ces vaches que des bouviers à blouses poussent du bâton par les routes de la région ou ces taureaux que l'on emprisonne dans des charrettes cloisonnées ou ces cochons boudinés et gigotants, ces agneaux bêlants et ces veaux garrottés que les bouchers de Brest et d'alentour amènent, chaque jour, à pleines camionnettes.

 

Ici, dans un enclos à claire-voie, soigneusement barricadé, une forme gambadante s'agite.

C'est un jeune veau, frêle et mignon, incertain encore sur ses pattes mal déliées et cagneuses, tout irisé d'un poil blanc et roux.

Je l'appelle ; il s'approche confiant, avec le regard candide d'un bébé.

Je lui flatte la tête de la main ; il se pousse pour jouir de la caresse amicale.

Je lui offre un morceau de sucre.

Il flaire cet objet blanc d'une saveur inédite, me lèche les doigts d'une épaisse langue maladroite, mais refuse la friandise : il aurait préféré du sel.

 

Il est inquiet, dépaysé ;

il regrette l’étable natale, toute chaude et fumante de crottin, la douceur des flancs maternels, les libres pâturages, la voix du petit pâtre et jusqu'aux abois hargneux du chien berger.

Il émet de petites plaintes chevrotantes, pareilles à des vagissements et, parfois, enfle sa jeune voix en un mugissement nostalgique et touchant Mnen, Mnen, M'man...

Pauvre petit Noiraud, il n'a pour se défendre

Que sa voix qui s'éplore et ses yeux Ingénus...

(RAMEAU).

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Plus loin, une vache, enchaînée devant son râtelier vide, promène autour d'elle des regards hébétés.

Ailleurs, dans un autre bâtiment, deux génisses sont accroupies côte à côte.

De se sentir deux, elles se rassurent.

Elles ruminent des brins de paille, puisque c'est leur métier.

Mais, parfois, qu'est-ce qui les tourmente, qui les alerte et les fait ainsi se dresser mugissantes ?

Sans doute, l'odeur du sang ; peut-être aussi un obscur pressentiment de leur fin prochaine.

Et pourtant, non :

Elles ne savent pas qu'elles vont mourir sous un couteau brutal ;

elles sont là, inconscientes, offrant l'image absolue de la résignation et du fatalisme.

Jamais les bêtes ne se révolteront.

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La triperie, la suifferie et les peaux

 

Les dépouilles des animaux, tout ce qui n'est pas viande proprement dite, sont traitées dans des annexes de l'abattoir, louées à des particuliers.

Avec les intestins, on fabrique les « tripes » pour une maison de conserves d'Aubervilliers.

La graisse est fondue et vendue dans le commerce ; les vessies de cochons sont réservées à des usages industriels.

Les peaux sont salées au sel dénaturé pendant 48 heures, ce qui leur assure une conservation de plusieurs mois.

Une fois sorties de la saumure, on les range par catégories, on les étiquette, on les ficelle et on les expédie par wagons au dépôt régional et centralisateur de Rennes.

Là elles sont vendues, le premier de chaque mois, par adjudication publique, aux tanneurs de toute la Bretagne.

Les cours moyens actuels oscillent, pour une bête moyenne (vache ou cheval), autour de 100 fr.

 

La peau mouton ou d'agneau se vend dans les 10 fr.

Et nous payons nos chaussures 150 fr. la paire !

Que d'intermédiaires et de taxes et (tout de même aussi !) de bénéfices, cela suppose.

 

Les peaux les plus recherchées sont celles des veaux morts-nés.

Elles sont utilisées pour faire des manteaux qui atteignent le prix fabuleux de 15.000 fr.

Caprices saugrenus de la mode !

Les fourreurs ne s'en plaignent pas, certes.

Mais les maris qui déboursent ?

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La fourrière

 

La fourrière — nul ne l'ignore — est le dépôt des chiens vagabonds recueillis sur la voie publique par les agents assermentés.

Les Chiens ramassés sans collier sont supprimée au bout de 48 heures (une piqûre foudroyante d'acide prussique).

Les autres, qui ont une adresse, sont hébergés pendant huit jours et ne sont rendus que contre paiement d'une somme forfaitaire de dix francs, quelle que soit la durée du séjour.

Seuls les chiens de race sont conservés plus longtemps.

 

On m'introduit dans une sorte de courette toute en longueur et cernée de haute murs, qui, comprend une longère de 20 niches et un petit réduit pompeusement dénommée « lazaret ».

Il n'y a actuellement en fourrière qu'un griffon, vieux et laid (avis au propriétaire) !

Mais un chien tout de même :

c'est-à-dire l'ami le plus sûr, le plus fidèle et le plus intelligent, un véritable frère inférieur de l'homme.

 

Il est à la chaîne depuis huit jours.

Il mourra demain.

Indifférent au quartier de viande crue disposé à portée de ses crocs, à l'eau croupie d'une boîte en tôle rouillée,

il n'a qu'une envie : sortir !

 

Quand j'entre, il jappe de plaisir, il frétille, il me lèche les mains.

Enfin, sa captivité va cesser ; il va retrouver la rue et ses collègues et la liberté !

Il refuse un morceau de sucre (décidément, je n'ai pas de chance !)

Il implore d'une voix gémissante.

Hélas ! Je ne puis l'emmener.

Il m'a déjà fallu me séparer de mon chien, à cause de mon propriétaire.

Et je ne pouvais tout de même pas me séparer de mon propriétaire (ou de son logement), à cause de mon chien !

Les temps sont critiques en matière de loyer !

 

N'existerait-il pas à Brest quelque Léautaud, vous savez ce misanthrope qui écrit des choses délicieuses sous le nom de Maurice Boissard, et qui recueille régulièrement tous les chiens et chats abandonnés qu'on lui signale ?

 

J'abrège cette visite pénible.

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En passant près de la basse-cour de M. Esclauze, je suis accueilli par les aboiements de trois chiens-loups allemands, superbes, arrogants et féroces à souhait.

L'autre, tout à l'heure, était si laid, mais si humble, si doux, si pitoyable aussi !

 

Quelle puissance aveugle préside à la naissance des bêtes et comme leur sort diffère !

 

Au revoir et merci

 

Et maintenant, quittant l'abattoir municipal, je serais le dernier des ingrats si je ne remerciais M. Hervagault de l'autorisation qu'il s'est vu dans l'obligation de m'accorder, ainsi que l'aimable sous-inspecteur qui m'a guidé et documenté.

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