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1929

La prison du Bouguen
par Pierre Avez

 

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Source : La Dépêche de Brest 9 juillet 1929

 

Illustrations

Archives municipales et communautaires. Brest Métropole Océane (reproduction)

Compagnie Aérienne Française Suresnes

Copyrights (c) Brest Métropole Océane

 

La mont’ras tu la côte là-haut ?

 

Je peine sous le soleil pesant et actif de juillet, dans la côte abrupte du Bouguen.

Un clairon ironique sonne quelque part un pas de charge endiablé.

Tout suant et congestionné, je songe, avec une contraction pénible du gosier, à des flots de bière mousseuse et fraîche, importée d'Allemagne.

Derrière les murs de l'arsenal, un ronflement laborieux trahit l'animation des cales de constructions.

Au loin, les détonations sèches du champ de tir se répercutent : salves de galets abordant bruyamment le lit profond d'un torrent.

Un coq intempestif monte sa gamme immuable.

 

Au détour de la route, la prison du Bouguen apparaît bientôt, aveugle et sévère, sur un plateau désert, image de la réprobation sociale.

 

Mais, au fur et à mesure que je monte, elle descend entre ses murailles, comme la tête d'une personne curieuse et timide qu'effaroucherait mon approche.

Sitôt gravi !e chemin éblouissant, j'échoue au pied d'un grand mur rébarbatif, intitulé « Maison d'arrêt » et flanqué d'une guérite en pierre de taille.

 

Triste comme une porte de prison

 

Une porte cochère, épaisse, verte, hermétique, hérissée de boulons : elle ne s'ouvre que pour les véhicules des fournisseurs ou la camionnette qui conduit journellement les prévenus à l'instruction ou aux audiences correctionnelles.

 

Une petite porte, aussi épaisse, aussi verte, aussi hermétique, où se découpe un judas grillagé, clos intérieurement par un volet de bois.

 

Et ces serrures formidables, méticuleusement huilées, où le soleil sourit férocement ;

ces clefs infernales au tintement lugubre, lourdes comme des casse-tête et grinçantes comme des mâchoires de damnés.

 

Seul, le cuivre poli de la sonnette conserve un reflet sympathique.

Je tire l'anneau.

Un temps.

Puis des pas sur le gravier, le cliquetis d'un trousseau, une serrure qui joue.

Une tête martiale et inquisitive, coiffée du képi à étoile d'argent, s'insère dans le. judas.

Je décline mes qualités.

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À l'ombre

 

Je goûte à présent la fraîcheur du greffe :

bureau orné d'une panoplie de sabres de cavalerie (les seules armes des gardiens, encore sont-elles purement décoratives) et encombré de paperasses et de registres ; statistiques, états, situations, comptabilité.

Le national microbe bureaucratique exerce ici ses ravages.

Et le téléphone, cigale administrative et obsédante, crie toute la journée, comme un enfant gâté.

 

Les gardiens vont et viennent, rapides, silencieux, monacaux, annoncés seulement par des bruits de pas et de clefs.

C'est tantôt un visiteur qu'on introduit ; tantôt un prévenu qu'on incarcère ;

tantôt un détenu qu'on libère, qui livre l'empreinte de ses pouces et signe sa levée d'écrou, en humant, avec une joie sauvage, les parfums précieux de l'été et de la liberté.

 

Topographie

 

La maison d'arrêt du Bouguen date de 1860.

Elle est entourée d'une enceinte de deux murailles (l'une de 6 m. 50 de haut, et l'autre de 3 m. 50), séparées par un chemin de ronde où se relaient et déambulent, jour et nuit, des gardiens vigilants.

Le  vent s'en donne à cœur joie dans cette piste basse et profonde comme une fosse.

Il ne doit pas faire bon y veiller l'hiver, au milieu du mystère nocturne de la campagne hostile, tandis que les prisonniers dorment au chaud dans leurs draps et se dédommagent en rêve des privations de la réalité.

 

Le corps de la prison affecte la forme d'une croix-lorraine à trois branches.

La première comporte les logements du personnel, le greffe, le corps de garde et le parloir.

Les deux autres renferment les détenus, hommes à gauche et femmes à droite.

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Un métier pénible et méritoire

 

Ce n'est pas gai d'être gardien de prison.

Il y faut une véritable vocation.

Pour ma part, je préférerais devenir moine en quelque cloître, ou ermite dans le désert.

 

Ici, fatalement, le plus gai caractère s'assombrit au contact de tant de tristesses et de laideurs ;

le plus confiant devient rapidement soupçonneux, et le plus optimiste perd toute illusion sur la bonté naturelle de l'homme.

 

Et puis, toujours, ce silence, cette sévérité, cette discipline ; le spectacle et le commerce incessant de la lie des populations ;

cette surveillance que les gardiens ne relâchent qu'une fois par semaine, jour de repos hebdomadaire.

Cette crainte d'une évasion ou d'un incendie qui les poursuit jusque dans le sommeil et,

pour le gardien-chef (œil suprême à qui rien ne doit échapper), une responsabilité de tous les instants.

Quelques incidents répétés et voilà la carrière brisée.

Voyez Limoges.

Et l'évasion tragi-comique de Daudet.

 

Et pour prix de ce labeur ingrat, des services qu'ils rendent à la société, à la sécurité et à ses coffre-forts, ils ne reçoivent (on s'en doute) qu'un traitement médiocre.

 

On attend de moi, j'en suis sûr, quelques palpitants récits d'évasion.

Hélas ! il ne s'en est jamais produit au Bouguen, et ceci, certes, est remarquable et tout à l'honneur du personnel.

Pourtant, on imagine aisément que toutes les pensées des détenus se tournent vers lia liberté.

C'est elle qu'ils invoquent, plus que le Dieu de leur chapelle.

C'est d'elle qu'ils s'entretiennent à voix basse.

C'est pour la reconquérir qu'ils n'hésitent pas, parfois, à risquer leur vie et qu'ils multiplient les inventions ingénieuses.

 

Aussi bien, le Bouguen n'abrite que des prévenus et de petits condamnés.

Au-delà d'un an de prison, les détenus sont répartis, selon leurs aptitudes professionnelles, dans les maisons centrales ; Clairvaux, Nîmes, Fontevrault, Poissy, etc.

 

Le Bouguen n'a jamais eu de prisonniers de marque, des individus de l'envergure d'Arsène Lupin, ou même, pour retomber du domaine de l'invention dans celui de la réalité, un Georges Rême (*).

 

Les seules évasions qui se, produisirent eurent lieu pendant le transfert de la prison au palais de justice.

Certains prévenus, trompant la vigilance, des gendarmes, n'hésitèrent pas à sauter de la voiture en marche et à s'enfuir dans la campagne.

Inutile d'ajouter qu'ils furent toujours repris.

La justice a toujours le dernier, mot.

 

(*) Recherché par une vingtaine de parquets, l'escroc insaisissable Georges Rême est finalement arrêté lorsqu'il s'apprête à récupérer une voiture volée qu'il avait confiée à un garagiste de la rue Fourcroy à Paris. Une première audition au commissariat de la rue d'Anjou permet aux inspecteurs Tissier et Rousseau d'apprendre que Georges Rême s'appelle en réalité Georges-Louis Laudouve, et qu'il est né le 27 avril 1889 à Évreux.

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GEORGES RÊME, DANS PARIS-SOIR DATÉ DU 18.4.1926.jpg

Georges Rême dans Paris-Soir du 18 avril 1926

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Source : La Dépêche de Brest 11 juillet 1929

 

Comment on entre au Bouguen

 

Je sais certains reporters qui auraient poussé, le souci de l'information jusqu'à, imaginer quelque stratagème pour passer à la prison du Bouguen le temps de se documenter abondamment.

Un tel héroïsme n'est pas mon fait.

Je ne pourrai donc vous fournir que des renseignements de seconde main.

 

Tout individu, que la maréchaussée amène au Bouguen, est d'abord minutieusement fouillé.

On lui enlève (pour les lui rendre à sa libération) son argent et tous les objets susceptibles de lui servir d'arme ou de faciliter son évasion.

Puis on le fait passer sous la douche ou dans la baignoire (s'il a de la vermine).

Sage précaution d'hygiène, car il est de ces va-nu-pieds dont l'épiderme n'a jamais connu la sensation de l'eau froide et qui contamineraient l'établissement.

Certains rechignent, qui se complaisent obstinément dans leur crasse.

Ça les tient chaud, sans doute, ou ça fait « partie décorative de leur personnage ».

Un vagabond propre perd tout caractère.

Les réfractaires sont lavés de force.

 

D'ailleurs, ces ablutions se renouvellent tous les dimanches, en été, et tous les quinze jours en hiver.

Elles apparaissent particulièrement bienfaisantes quand on considère toute la pouillerie qui se succède et séjourne au Bouguen.

En outre, tous les effets suspects sont désinfectés dans un soufroir ou étuve à soufre, qui est installé dans une des cours intérieures de la prison.

Ainsi l'hygiène est sauve et c'est heureux pour la santé des condamnés.

 

Comment on y vit

 

Je n'étonnerai pas mes lecteurs en leur apprenant que la prison du Bouguen est plus propre qu'une caserne.

Tous les parquets sont blancs comme le pont d'un voilier balayé par les embruns ;

les murailles sont régulièrement badigeonnées au lait de chaux et les boiseries repeintes.

Ici, les « carottiers » et les « tire-au-flanc » ne sont pas tolérés.

 

Les détenus sont uniformément vêtus d'un pantalon et d'un bourgeron de grosse toile, grise ou kaki, rugueuse comme de la toile à voile, et chaussés de socques en bois à monture de fer, qu'ils rangent au bas de l'escalier, dans un ordre strictement déterminé, avant de monter aux étages où les appellent leurs occupations.

 

Ces occupations, ma foi, sont assez monotones, mais pas très pénibles.

En principe, seuls les condamnés sont astreints au travail ;

mais les simples prévenus eux-mêmes s'y adonnent volontiers, afin de tromper la longueur des journées et cet ennemi qui les guette dans l'oisiveté, le plus terrible de l'homme, au dire de Stendhal : l'ennui.

 

D'ailleurs, ils y trouvent, outre, un agrément relatif, une source de revenus.

Car les bagatelles qu'ils fabriquent sont vendues à des entrepreneurs de la ville, et une fraction,

qui peut atteindre 50 % du produit de cette vente, revient aux détendus et sert, soit à améliorer leur sort, soit à leur constituer un précieux pécule.

Ainsi, ils éviteront la nécessité de voler un pain pour satisfaire leur faim le jour même de leur libération.

Le monde est dur pour les gens tarés, quelque excuse qu’ils aient parfois, et s'ils n’avaient pas les moyens de s'exiler, peut-être se trouveraient-ils promptement réduits à la dernière extrémité.

Le travail s'effectue dans' une salle spéciale et le silence le plus absolu, sous la surveillance rigide d'un gardien.

Il consiste soit à tresser des lianes de raphia pour en faire des chaussons de lisière, soit à filer de l'étoupe et à la transformer en « manoque », qui est, en quelque sorte, le mastic des calfats.

Actuellement, ce produit n'est plus usité que pour la réparation des chaloupes.

 

Certains détenus sont employés, éventuellement, à des travaux extérieurs :

curage des fosses, désherbage des cours.

J'en ai vu deux occupés au goudronnage des baquets-tinettes, dans une cour ensoleillée.

Ils n'avaient pas l'air de se fouler et s'épanouissaient au soleil comme des lézards :

l'un, grand et lourd, avec un masque inquiétant de boxeur ; l'autre, petit et mangé de poil gris.

Tous deux sales, hébétés et respectueux devant le gardien-chef, apparu sur le seuil d'une porte.

 

Les gens instruits sont affectés à des travaux d'écriture ou de comptabilité, et leurs fonctions leur permettent parfois d'échapper à la chambrée commune.

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Les dortoirs

 

Une porte énergiquement verrouillée et, tout près, une pancarte où sont inscrits le nombre et les noms des locataires.

Les dortoirs sont des pièces carrées, suffisamment vastes et largement aérées.

Ils renferment huit à neuf lits en moyenne ;

il s'en faut de beaucoup que tous soient continuellement occupés.

Chaque lit se compose d'un sommier métallique, d'une couette bourrée de paille de maïs, deux couvertures et deux draps.

Le tout, évidemment, n'est pas de la première qualité.

Mais les soldats ne sont guère mieux lotis.

 

Contre un des murs de l'appartement est disposée une espèce de cheminée d'aération par où s'échappent

(les veinards !) les effluves distingués de la tinette commune.

S'il n'y avait pas aux fenêtres d'énormes barreaux de fer scellés dans le granit, on oublierait aisément qu'il s'agit d'une prison.

 

On peut dire que les détenus en écrasent !

Couchés à 6 heures et demie du soir, en été, à 7 heures en hiver, ils ne se lèvent qu'à 7 heures du matin.

Un tour de cadran.

À ce régime, ils engraisseraient rapidement si l'administration, prévoyante, mettant en pratique la maxime

« Qui dort dine » n'avait, en conséquence, réduit leur alimentation au strict nécessaire.

Deux repas par jour :

l'un à 9 heures du matin, l'autre à 4 heures du soir.

Copieux ?

Pas autant, évidemment, que les menus de la Santé !

Bien préparés ?

Ça dépend du soin et de l'habileté des deux détenus qui font office de cuistots.

Je les ai vus passer, sur le coup de 4 heures, avec leur civière à gamelles, mais de trop loin, pour pouvoir apprécier la qualité des mets.

Tout de même, après 7 heures ou 17 heures de jeûne, on ne doit pas manquer d'appétit.

C'est un régime pour estomac fatigué de milliardaire américain.

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Source : La Dépêche de Brest 15 juillet 1929

 

Si leur ordinaire laisse à désirer, il est toutefois loisible aux prisonniers de l'améliorer au moyen de leurs ressources ou de leurs gains.

Les achats d'aliments supplémentaires (chocolat, pâtes, fruits) sont faits à l'extérieur par les soins des gardiens, dans la mesure et les conditions prévues par les règlements administratifs.

Le vin et la bière ne sont autorisés qu'à titre de récompense.

Le tabac est permis, mais l'usage n'en est toléré qu'à l'heure des promenades dans les cours.

On craint justement les incendies.

Crainte salutaire puisqu'il n'y eut jamais d'alertes de ce genre à la prison du Bouguen.

D'ailleurs, les risques sont réduits depuis qu'on a remplacé par l'éclairage électrique les lampes à pétrole, fumeuses et nauséabondes.

Innovation assez récente, de même que l'installation, à chaque étage, d'extincteurs et d'une lance d'arrosage.

 

On Imagine combien un incendie dans une prison peut être tragique et que certains détenus mettent à profit cette occasion inespérée de recouvrer leur liberté, quand ils ne vont pas jusqu'à la provoquer.

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Les distractions

 

Inutile de remarquer que les distractions sont rares en prison.

Le travail, les repas, les récréations, le tabac, les visites, la lecture.

Car il y a une bibliothèque : quelques livres démodés et obscurs, genre roman-feuilleton.

La nourriture spirituelle est certes aussi peu substantielle que la corporelle.

Du Montépin, du Zévaco, du Dubut de Laforêt et autres princes de la polygraphie alimentaire.

Banalités ou « pompiérisme » à faire vomir.

Tous les poncifs, les clichés, les plagiats maladroits, les sérénissimes balançoires.

 

La meilleure diversion, c'est encore le sommeil.

L'esprit s'évade en rêve, abandonne le corps inerte, déjoue les serrures les plus subtiles, les barreaux les plus solides et les surveillances les plus étroites, franchit les murailles les plus hautes et s'en va battre la campagne et la ville.

Maître de l'univers, il s'octroie imaginairement de secrètes revanches.

Il s’en donne à cœur joie, se vautre parmi la bonne chère, le luxe, la volupté.

Aucun frein ne le retient ; il nargue les lois et le décri public.

Chaque matin, à l'aube sinistre, il réintègre la dépouille humaine et retrouve toute la misère de sa réalité.

 

Les rêves, malgré tout, sont les meilleurs auxiliaires de l'administration pénitentiaire.

C'est la grande trêve, l'oubli bienfaisant et réparateur.

Et puis, l'homme s'habitue à tout, aux pires contraintes.

La prison, d'ailleurs, n'est-elle pas un Eden au regard de l'enfer de certaines tranchées de guerre ?

Et comme l'assure la sagesse des nations dans une formule populaire :

« Tant qu'il y a de la vie, il a de l'espoir ! »

 

Une fois passées les heures de honte, de désespoir et de lamentations, le détenu se raccroche frénétiquement à l'avenir.

Peu à peu, il se calme, se laisse vivre, s'engourdit dans le cycle monotone d'un emploi du temps immuable et tyrannique.

Il y a même des vieux routiers de la mendicité, du vagabondage ou du maraudage, qui se félicitent « in petto » d'échapper, l'hiver, aux intempéries, à la faim et à l'insécurité d'une vie errante.

On doit noter, durant la mauvaise saison, une recrudescence notable de la petite criminalité.

Les prisons doublent parfois les hospices et, par expérience visuelle, je doute qu'il y ait une différence notable entre les uns et les autres.

Seule l'obligation du silence peut paraître pénible à certains détenus, atteints de « diarrhée élocutoire » ou qui recherchent dans la conversation soit un appui moral, soit une justification ou plus simplement un recours contre les idées fixes.

Seuls encore les jeunes gens, dont le sang bouillonne d'impatience et qui, parfois, furent plus malheureux que misérables, refusent de s'acclimater.

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L'infirmerie

 

L'infirmerie doit apparaître aux détenus comme un lieu de délices relatives.

Non pas qu'elle déborde de luxe.

Des lits, des tables de nuit (avec les vases ad hoc), un poêle à charbon de terre et voilà !

Seulement, il y a la solitude, précieuse pour les délicats que révolte une promiscuité parfois écœurante.

Il y a l'oisiveté, encore qu'elle semble, à la réflexion, plutôt un mal qu'un bien.

Il y a un régime spécial, fixé par le médecin.

Ce dernier vient une fois par semaine et peut être appelé en outre dans les cas urgents.

Mais comme il habite la ville distante de quelques kilomètres, son intervention peut devenir parfois tardive, sinon illusoire.

 

Heureusement, m'affirmait le gardien-chef, que les prisonniers se portent à merveille.

L'hiver dernier, par exemple, il n'y eut pas un seul grippé, alors que les hommes libres payèrent un tribut quasi-général à l'épidémie.

Feu, boite à coton, précautions sont souvent néfastes.

 

Fortes têtes et Cie

 

Tous les détenus ne sont pas forcément doux, humbles, dociles et repentants.

Il faut dire aussi, à leur décharge, qu’ils ne se recrutent qu’exceptionnellement parmi l'élite de la société.

Mais les récalcitrants sont vite ramenés à la raison et à l'obéissance.

La correction consiste dans la privation du tabac, des douceurs facultatives et l'emprisonnement cellulaire.

Figurez-vous une pièce nue et rectangulaire, avec un soupirail tout juste large pour laisser passer l'air nécessaire et une lumière chiche.

Au sol est fixé un bâti de bois, ayant la forme d'un lit de camp incliné.

Une paillasse là-dessus sert de couchette.

Le baquet de propreté est mis dans un coin.

Quant à la cruche d'eau potable, elle est disposée extérieurement, à la porte de la cellule, et le détenu doit s'adresser au gardien pour boire à sa soif.

L'expérience a démontré qu'il était dangereux de laisser la cruche à l'intérieur, certains individus s'en servant comme d'une arme pour assommer leur gardien ou pour se suicider.

 

Les visites

 

Les prévenus peuvent recevoir des visites tous les jours et les détenus condamnés, deux fois par semaine.

Parents, amis, apportent soit des consolations soit des adoucissements matériels.

Éplorés pour la plupart.

Il se passe même parfois des scènes déchirantes, sous l’œil professionnel, impassible et blasé du surveillant.

Car le parloir est divisé en deux compartiments par une cloison grillagée et un gardien assiste à tous les entretiens, qu'il arrête impitoyablement quand l'heure, est passée (un quart d'heure ou une demi-heure, selon l'abondance des visites).

Les prisonniers ne peuvent avoir de conversation secrète qu'avec leurs avocats ou les médecins légistes, ou certains fonctionnaires de la justice.

J'en ai connu un qui réclamait son avocat tous les jours et qui s'efforçait de le retenir le plus longtemps possible, causant politique, littérature, etc.

C'était un lettré, doublé d'un bavard impénitent et qui se consumait de ne pas trouver d'interlocuteur dans sa geôle.

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Femmes

 

Il y a des femmes internées au Bouguen.

Je ne les ai pas vues.

Elles sont plutôt entre deux âges : 35 ans est la moyenne de la criminalité.

Elles vivent et travaillent complètement à part, bien entendu.

Sinon le Bouguen se transformerait en abbaye de Thélème et les prisonniers auraient bien de l'agrément.

Le seul endroit où ils se rencontrent est la chapelle ;

mais sans se voir, car les femmes sont en haut, dans la tribune, et les hommes en bas.

Ils y entrent et en sortent, par surcroît de précautions, par des portes différentes.

 

Les mères sont autorisées à amener leurs bébés jusqu'à l'âge de quatre ans.

Elles jouissent, dans ce cas, d'un régime de faveur et toute latitude, leur est accordée pour soigner convenablement leur enfant.

 

Comment on sort du Bouguen

 

Il y a deux façons : par la porte ou pardessus le mur.

La première est la seule utilisée.

J'ai déjà dit, en effet, qu'oncques jamais ne s'évada du Bouguen.

Le personnel fait bonne garde et toute communication est impossible avec le dehors, car toutes les fenêtres donnant sur la campagne sont fermées par des hottes.

Ainsi, pas moyen de faire des signaux, ni de jeter sur la route des billets roulés autour d'une pierre.

La prison du Bouguen est aveugle comme une taupe, sourde et silencieuse comme un tombeau.

Mais on en sort, une fois purgée sa peine.

Et j'espère, pour la morale, qu'on n'a plus envie de recommencer.

 

Adieu Bouguen.

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