1937
Morlaix en flânant
Source : La Dépêche de Brest 1 septembre 1937
S'il vous est arrivé de vous promener au bassin, au moment de la haute mer, vous n'avez pas été sans remarquer les nombreux pécheurs à la ligne qui, du barrage voisin de l'écluse, se plaisent à taquiner le mulet.
Si, par hasard, quelque saumon vient à se laisser prendre, il provoque des remous... non pas seulement dans l'eau, mais aussi chez les chevaliers de la gaule qui attendent de pied ferme leur proie...
La vertu dominante de ces pêcheurs est, sans conteste, la patience, car le mulet — c'est bien son droit ! — n'est pas toujours disposé à passer allègrement de vie à trépas !..
Il y a des jours où « ça mord » ; il y en a d'autres où « ça ne mord pas ».
Quelle que soit la facilité avec laquelle le poisson se précipite sur l'appât... et sur l'hameçon, le visage du pêcheur révèle la même attention dans l'espoir d'une belle prise qui viendra le récompenser de sa persévérance.
Il devine que le mulet qu'il rêve de voir au bout de sa ligne est là, tout près.
Il le sent.
Quand va-t-il se décider à mordre ?...
Un observateur attentif pourrait cependant deviner, au mouvement des gaules, si la pêche est satisfaisante ou si elle ne l'est point.
Ces gaules sont toutes alignées, en rang de bataille, au-dessus de l'eau, mais lorsque le poisson ne mord pas, elles trahissent la lassitude et l'inquiétude qui étreignent leurs propriétaires...
Elles paraissent lourdes, très lourdes... bien qu'il n'y ait jamais rien au bout !
Elles se lèvent machinalement et sans vigueur, les unes après les autres.
Elles ne vibrent pas de ces secousses caractéristiques qui mettent en joie et les pêcheurs et les spectateurs.
Combien leur mouvement est plus alerte, plus souple et plus rapide quand le mulet cherche l'appât et quand les jolis poissons brillants et frétillants, pris à l'hameçon, viennent choir sur le quai, après avoir décrit une gracieuse voltige en l'air.
Les gaules alors semblent s'animer...
Elles se lèvent avec entrain, car lorsqu'il s'y met, le mulet est très gourmand et il n'y a point de temps à perdre...
Nous avons assisté, bien souvent, à des captures vraiment impressionnantes et l'on peut dire... que l'on ne trouve pas mieux au bord de la mer.
À marée haute, la rivière de Morlaix est d'ailleurs des plus agréables et le pêcheur peut se livrer là, en paix, à sa distraction favorite.
Ce genre de pêche, en effet, est bien plus une distraction qu'un sport comme l'est, par exemple, la pêche à la truite.
Nous conservions de ces quelques moments passés au bassin un amusant souvenir quand, avant-hier après-midi, une odeur fort désagréable se répandit aux abords de la place Cornic.
Renseignements pris, ainsi que nous l'avons signalé hier, on venait de vider le bassin et la boue qui en recouvre le fond était la cause des sensations olfactives que nous ressentions !
En cette période de sécheresse, où les touristes sont nombreux, c'était peut-être un spectacle à ne pas leur donner et des parfums à ne pas leur faire respirer.
Si les truites et les anguilles devinrent des proies faciles, puisqu'il suffisait, une fois dans la vase, de se baisser pour les prendre à la main, c'était des prises d'un autre genre qui étaient offertes aux personnes qui passaient sur les quais.
Les odorats sensibles durent être certes bien désagréablement impressionnés.
Mais pourquoi donc n'a-t-on pas profité de l'occasion pour procéder à un bon nettoyage du bassin ?
Car le résultat le plus clair de cette opération c'est que tout le monde a pu se rendre compte qu'il en a grand besoin !