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1937

Un programme de théâtre
à Brest en 1894

 

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Source : La Dépêche de Brest 3 juin 1937

 

Un fidèle spectateur du théâtre municipal m'a communiqué, à titre de curiosité, un document qui a déjà 43 ans d'existence :

à cette époque lointaine, l'Imprimerie commerciale, sise 99, rue de Siam publiait, au prix de : 0 fr. 10 le numéro, un petit bulletin théâtral qui s'appelait Brest-artiste et qui tenait ses lecteurs au courant de ce qui se passait, ou se préparait, entre cour et jardin.

 

L'exemplaire qui m'a été remis porte les dates des samedi 13 et dimanche 14 janvier 1894.

La première page est illustrée par Paul Léonnec :

au centre, deux ou trois bateaux de guerre semblent mouillés au pied du château de Brest, vaguement entrevu ;

à droite, un couple élégant descend l'escalier du théâtre :

Monsieur a un chapeau de forme, une cape, une canne, une moustache conquérante et un air fort satisfait de lui-même ; sous son manteau, on voit très bien qu'il porte l'habit :

on se donnait la peine de faire toilette, voici une quarantaine d'années, pour assister aux représentations !

Madame a une invraisemblable coiffure, un boa, un éventail et retrousse de sa main droite sa longue robe traînante ; à gauche, deux marins sont arrêtés devant une affiche et s'amusent visiblement du titre de la pièce jouée :

Les cent vierges, opéra-bouffe en trois actes, de Charles Lecocq, dont les principaux personnages s'appellent Jonathan Plupersonne, Anatole Quillembois, Brididick, Jolicock, et, du côté féminin, Églantine et Pâquerette.

 

Les trois actes, qui aujourd'hui constitueraient un programme complet, n'étaient alors qu'un simple hors d'œuvre, une sorte de lever de rideau.

La pièce de résistance était ce soir-là La Pie voleuse ou La servante de Palaiseau (ces titres doubles étaient alors fort à la mode), drame historique en 4 actes.

Les tableaux portaient des sous-titres qui, à eux seuls, montrent quel souci de sauvegarder la vertu animait en 1894 les auteurs dramatiques :

1° La ferme de Palaiseau ; 2° L'accusation ; 3° La prison du Baillage ; 4° L'innocence reconnue.

Le traître n'était démasqué que vers minuit, mais, pour absorber ce copieux menu, les spectateurs étaient conviés de bonne heure au théâtre :

Les bureaux ouvraient à 6 h. 3/4 — on ne comptait pas encore de 0 à 24 heures — et le rideau était levé à 7 h. 3/4.

Pour attirer le public, des hommes sandwiches circulaient en ville, portant sur leurs affiches les titres des pièces ou des opéras à l'étude.

 

Les pages 2 et 3 du programme sont consacrées à une étude littéraire et musicale de Werther, dont la création était alors attendue à Brest.

Les commentaires que consacra à l'opéra-comique de Massenet le critique dramatique anonyme sont si justes que nous pourrions les signer aujourd'hui sans leur apporter d'importantes modifications.

Les divergences signalées entre le roman de Goethe et le texte des librettistes sont intelligemment expliquées.

Tout au plus pourrait-on accuser l'auteur de l'article de quelque complaisance, lorsqu'il félicite Massenet d'avoir, avec Werther écrit à son tour son Tristan et d'avoir conçu un ouvrage d'une action très simple, sans péripéties extérieures.

Il oublie le coup de revolver.

Mais il voit juste quand il donne de la pièce cette définition abrégée, « un duo en trois actes ».

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Le théâtre de Brest affichait, pour le samedi 13 janvier, une pièce militaire en 7 tableaux, La casquette du père Bugeaud (avec d'effrayants sous-titres pour chaque subdivision :

Les souterrains de la Mosquée, William le Renégat, La justice du sergent Durosel) et un opéra-bouffe de Nicolo :

Les rendez-vous bourgeois, œuvres bien oubliées aujourd'hui.

 

Mais le dimanche en matinée, on donnait déjà Le Roi d'Ys :

les fauteuils d'orchestre étaient vendus 2 fr. 50 et les troisièmes 0 fr. 50.

Les loges de balcon valaient 125 francs pour ceux qui payaient à l'année, 150 francs pour les abonnés qui préféraient s'acquitter par mensualités.

Une baignoire de 4 places coûtait 84 francs pour toute la saison, et une stalle de parquet réservée se payait 15 francs pour l'année entière.

 

Les deux pages centrales du programme reproduisaient, sous forme de dessins à peine teintés de caricature, deux des vedettes de l'époque :

Deland dans « l'épicier droguiste » avec un nez et une visière de casquette de longueur également démesurée, et Léonce-M. dans  « La fin d'une bordée ».

Que diraient les marins d'aujourd'hui, si soucieux de leur élégance vestimentaire, s'ils voyaient l'accoutrement de ces lointains ancêtres ?...

 

Relevons enfin, pour terminer, quelques chiffres empruntés à la page des annonces :

une clinique dentaire s'offre à poser des dents artificielles pour 5 fr., des dentiers complets pour 100 francs, et promet à sa clientèle des « extractions sans douleur par un nouvel insensibilisateur n'offrant aucun danger ».

Le restaurant parisien, ouvert rue d'Aiguillon tous les soirs après la représentation, espérait allécher les spectateurs en leur signalant que le bock de bière valait 0 fr. 30, qu'on pouvait avoir pour 1 franc une douzaine d'huîtres vertes de Marenne afin que le « souper fin-de-siècle (avec bock compris) » ne coûtait, lui aussi, que vingt sous.

 

Ces vingt sous-là n'étaient pas dévalués, mais tout de même à quelles satisfactions n'avait-on pas droit, à cette époque bénie, quand on les avait en poche !

 

Pierre de KERSANTON.

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