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1938

Noces d'autrefois en pays de Cornouaille
par Pierre Avez

 

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Source : La Dépêche de Brest 20 février 1938

 

Le cheval était autrefois l'orgueil et la principale richesse du paysan.

On avait peu de considération pour le petit fermier qui devait emprunter la jument du voisin pour ses charrois et ses labours.

Aussi sortait-on les chevaux chaque fois que l'occasion s'en présentait.

Nulle occasion plus belle qu'un mariage.

Les hommes mettaient autant de complaisance à polir la robe de leur cheval que les femmes à repasser leurs coiffes.

 

Dans le Léon, les invités se rendaient en chars à bancs au domicile de la nouvelle mariée, où se formait le cortège.

En Cornouaille, au contraire, vous alliez chez qui vous avait invité, de sorte qu'il y avait deux cortèges séparés.

Bonne aubaine pour les mendiants !

À la sortie du village, ils étaient deux, qui barraient la route avec une corde et ne laissaient passer la noce qu'après avoir reçu une aumône du futur et de la future.

Nouvel arrêt, à l'entrée du bourg, devant une nouvelle corde, tendue par deux nouveaux mendiants, qu'il fallait encore soudoyer.

 

On remisait à l'auberge les chars à bancs boueux ;

on dételait les chevaux échauffés par un trot soutenu.

Puis les hommes tiraient leurs blouses de coton pour apparaître en chupen bleu à parements et revers de laine jaune et boutons de cuivre, tandis que les femmes ôtaient, avec mille précautions, le mouchoir blanc qu'elles avaient épinglé sur leur coiffe, pour garantir de l'humidité ce chef-d’œuvre de dentelle neigeuse.

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Je ne m'arrêterai pas au détail de la cérémonie religieuse, aux rites immuables.

Notez cependant qu'en Cornouaille, on ne se rendait pas à l'église en cortège.

 

À la sortie, se déroulaient les diverses épreuves :

Courses de chevaux, courses à pied, danses.

Tout cela sur la route, de telle sorte que le bourg entier participait à la réjouissance.

Et comme il y avait des semaines (avant l'Avent, après le Carême, passé la moisson) où les mariages se succédaient à une fréquence accélérée, tels gros bourgs cornouaillais vivaient dans une atmosphère de liesse perpétuelle.

 

Les deux musiqueux : biniou et bombarde, étaient sur les dents.

Du matin au soir et — parfois — du soir au matin, on entendait retentir leur aigre duo.

Lorsqu'ils avaient trop bu, il leur arrivait de dégringoler des barriques sur lesquelles ils étaient juchés.

Le visage enflammé, l'œil hilare, ils ressemblaient, dans le nuage de poussière roussâtre soulevé par le pas des danseurs, à deux divinités familières.

 

Certes, la musique qu'ils jouaient n'était pas belle.

Les fausses notes ne leur faisaient pas peur et les couacs du biniou prenaient des proportions catastrophiques.

On aurait dit le glapissement d'une bête blessée exhalant tout son souffle.

 

Nos Cornouaillais étaient les premiers à en rire.

Qu'importait l'air, pourvu que ça fît beaucoup de bruit !

D'ailleurs, on ne pratiquait que deux danses :

la gavotte et le jabadao, et c'était un rude progrès sur le pas de l'ours des Léonards.

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À midi, il y avait une soupe grasse, du bouilli et des légumes, des tripes frites au beurre, quelquefois un rôti et du fars-fourn ; le soir, on servait un ragoût, un rôti et un far de riz.

 

Pendant le repas de midi, des personnes de bonne volonté passaient, avec une assiette, dans les différentes pièces où se tenaient les invités et chacun de ceux-ci mettait un morceau de pain dans l'assiette.

Le dénombrement des convives se faisait de la sorte, sous le regard vigilant de l'aubergiste.

 

Entre les deux repas, les parents des mariés s'établissaient dans une salle, où les invités venaient « payer leur noce ».

Le prix courant était de 3 francs par personne et vous donnait droit non seulement aux deux repas, mais encore, entre ces repas, à tout le vin que vous étiez capable d'entonner.

Pour 5 francs, vous aviez le droit de revenir le lendemain.

 

Sa noce payée, l'invité avait encore l'obligation de remettre au marié qui l'avait invité un petit cadeau en argent.

Après le repas du soir, les deux époux se plaçaient de chaque côté de la porte de l'auberge, un verre dans une main, une bouteille dans l'autre.

Vous leur glissiez la pièce en sortant et ne pouviez, sans grande offense, refuser de boire à leur santé, dans ce verre qui servait à tout le monde.

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Le retour au village avait lieu de bonne heure et — si étonnant que cela puisse paraître — chacun des époux rentrait chez ses parents.

Leur réunion ne se réalisait que trois ou quatre jours après le mariage, le soir d'une cérémonie qui avait lieu au village où ils devaient résider et à laquelle étaient conviés les parents et les amis intimes.

Cette cérémonie s'appelait fest an armel, le festin de l'armoire, ainsi nommée parce que l'époux qui changeait de domicile apportait à son conjoint une armoire qu'il recevait en cadeau de ses parents.

 

La parade de la soupe au lait mettait un point final aux réjouissances.

Il n'était pas rare de voir les nouveaux époux se lever à six heures, au matin de leur première nuit de noces, pour aller travailler aux champs.

Et le même qui venait d'engrosser sa femme, la nuit d'avant, semait le grain, à pleines volées, dans le sillon fraîchement ouvert.

Il y aurait du pain pour les enfants futurs.

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Je terminerai cette étude sur les mariages bretons par une anecdote dont on m'a garanti l'authenticité.

 

« Certain paysan, point très riche, avait promis en dot, avec sa fille, une vache... une jolie petite vache bretonne dénommée Rosette.

La veille du mariage, il alla livrer l'animal à son futur gendre.

Celui-ci l'examina longuement, comme à la foire, et aboutit à cette constatation que ce n'était pas la Rosette promise.

Le beau-père en convint.

Il expliqua que Rosette allait bientôt vêler ;

qu'il n'avait pas prévu l'événement (pourquoi diable, aussi, l'avoir conduite au taureau ?) ;

qu'il avait promis une vache, mais non pas une vache et son veau ;

qu'il était donc parfaitement fondé à livrer une autre vache.

 

Le futur gendre ne voulut pas l'entendre de cette oreille.

Il cria qu'on l'avait odieusement trompé.

C'était Rosette qu'il voulait et non pas une autre vache.

 

Les deux hommes en vinrent aux gros mots et, d'aménités en aménités, le mariage projeté pour le lendemain se trouva rompu.

La fille pleura ; il y eut procès en justice de paix pour savoir qui paierait les frais exposés.

Tout cela pour un malheureux enfant de vache, qui naquit avant terme et mourut dans l'heure suivante. »

 

Quand la dot était comptée en argent, il arrivait que le paiement se fît devant M. le maire et la noce assemblée, juste avant la cérémonie.

On pouvait voir alors le père de la jeune fille extraire laborieusement de sa bourse, l'une après l'autre, les monnaies sonnantes et trébuchantes non moins laborieusement amassées.

 

Je me suis laissé dire qu'une discussion assez vive s'éleva, un jour, entre deux familles à propos d'une pièce de cinq francs qui manquait.

Cinq francs, à l'époque, c'était beaucoup : presque le prix d'un cochon de lait.

 

Comme la discussion s'éternisait, sous les yeux du maire impatienté et de la noce inquiète, et que les parents du futur menaçaient de rompre, un oncle de la jeune fille s'offrit à parfaire la somme pour éviter un scandale.

 

Ce sont là — il faut bien le dire — des traits assez anciens.

Depuis que leur sort matériel s'est amélioré, nos paysans bretons se montrent moins âpres au gain et, surtout, plus respectueux de leurs promesses.

 

On ne voit plus, au dernier moment, de ces misérables chicanes d'intérêt, de même qu'on ne voit plus de ces valets et filles de ferme, si pauvres, si démunis qu'ils devaient emprunter un grabat pour leur nuit de noces, quitte — par la suite — à retrouver les bottelées de paille qui leur tenaient lieu de couche.

L'extrême misère comme l'avarice sordide tendent à se raréfier en Bretagne et c'est tant mieux pour la moralité générale.

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