1939
L'épuration des douves et des fortifications de Brest
Source : La Dépêche de Brest 25 avril 1939
Les sans-logis qui vivent les uns dans de vieilles roulottes ou dans de vieux wagons qu'ils ont amenés on ne sait comment, les autres qui s'abritent sous de vieilles plaques de tôle ou dans des trous creusés à même la terre, dans les douves, tant aux abords de l'avenue Amiral Réveillère qu'au long de la voie ferrée, de la Porte Fautras jusqu'au tunnel situé à l'extrémité du bois de Boulogne deviennent de plus en plus nombreux.
Quelques-uns de ces refuges sont occupés par des gens dignes d'intérêt.
Parmi eux figure une famille de dix enfants dont le père est ouvrier agricole, mais la plupart abritent des indésirables.
C'est pourquoi ces jours derniers, il était décidé de procéder à l'épuration de tous ces lieux.
Par les soins de la police, tous les habitants de ces abris précaires se virent mis en demeure de s'en aller.
Les uns quittèrent de leur plein gré, mais d’autres persistèrent à vouloir y rester, jusqu'au jour où des employés de la voirie furent chargés de débarrasser le terrain.
En hâte alors, les occupants s'empressèrent de démonter vieilles plaques de tôles, toiles cirées, etc. qui leur servaient d’abri contre les intempéries, emportant les objets les plus disparates, vieux brocs, vieilles casseroles, etc...
Mais emporter tout est impossible.
Les employés municipaux brûlèrent sur place les vieilles paillasses pleines de vermine, ainsi que des chaises bancales, des chaussures, des vêtements en guenilles.
Sur un camion furent placés vieux lits métalliques et diverses ferrailles plus ou moins rouillées que l'on conduisit au dépôt d'ordures du port Trischeler.
La plus grande partie des expulsés se fixeront au Bragen, en Saint-Marc, où ils vont reconstituer leurs gourbis.
Ce travail d’épuration, commencé à suivi à la fin de la semaine dernière, s'est poursuivi hier, en présence de M. Bonhomme, commissaire de police ; de l'inspecteur Philipot, du brigadier Malléjac et de deux agents.
Source : La Dépêche de Brest 26 avril 1939
Ainsi que nous le disions hier, toute une population de misérables sans-logis trouvait asile dans les douves des fortifications.
Ils y avalent construit, dans les coins les plus abrités du vent, des cagnias, des gourbis, faits de planches, tôles et toiles où ils trouvaient un précaire abri contre le froid et la pluie.
Les uns se contentaient d'une tanière creusée au flanc de la contrescarpe où ils se couchaient sur la terre avec comme oreiller un vieux sac.
D'autres, près du tunnel du chemin de fer départemental avaient meublé leurs cabanes de lits et d'armoires.
Une famille : le père, la mère et dix enfants habitent encore deux wagons réformés prolongés par un appentis construit en tôles ondulées et servant de cuisine.
Prévenus, il y a une huitaine de jours, d'avoir à quitter leurs tristes logis, tous ces pauvres gens ont accepté sans protester cette expulsion et cherché un autre gîte.
Hier, les employés des services municipaux chargeaient sur un camion toute la ferraille et mettaient le feu au bois ayant servi à construire les abris, sous les yeux des malheureux, montant la garde près de leurs meubles ou matelas, hissés, à l'aide d'une corde, sur les hauteurs du bois de Boulogne.
De nombreux chiens et chats erraient, mangeant fraternellement sur le même tas, les détritus découverts dans les ordures.
Une bonne vieille tenait son chien dans les bras :
— Dès demain, disait-elle, j'aurais une cabane neuve près des Quatre-Chemins, à Kerichen, et j'espère qu'on m'y laissera vivre en paix.
Ce sera un peu loin pour venir chercher la soupe à la caserne Fautras, mais j'ai encore bon pied, bon œil.
Je ne veux pas me séparer de mon chien.
C'est un bon ratier et il m'a rendu des services.
Ici les rats ne manquaient pas ; ils étaient aussi gros que les chats.
— Ici ou ailleurs, dit tristement un pauvre vieux, cela n'a guère d'importance.
Quand on est tombé « à la cloche », tout vous est égal.
On est habitué à la misère.
— Tu as pris les deux bols, nos deux cuillères et la petite casserole ?
disait plus loin une femme encore jeune à son ami.
Alors nous pouvons partir.
Et, chargés de leurs pauvres hardes, tous deux partirent vers l'inconnu.
L'épuration des douves a pour but de ménager en cas de bombardements aériens des abris pour la population.
Les avis semblent partagés sur leur efficacité.
On ne croit généralement pas à une attaque par bombes à gaz.
Si elle se produisait, il est certain qu'il serait dangereux de s'abriter dans les douves, les gaz lourds s'emmagasineraient et l'endroit serait plutôt dangereux.
S'il ne s'agissait que de bombes explosives, il est certain que cet abri pourrait être utilement employé et vaudrait toutes les tranchées qui pourraient être creusées, à la condition évidemment que l'alerte pût être donnée assez tôt pour que la population ait le temps de s'y réfugier.