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1939

À la foire de Gouesnou
par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest 18 mai 1939

 

Depuis la veille, on entretenait le feu sous de grandes marmites où mijotaient les tripes.

 

— J'en ai fait cent livres, déclare le maître cuisinier de l'hôtel des Trois-Piliers, qui s'affaire autour de l'un des vastes récipients installés dans la cour.

 

Il répond hâtivement à un nouveau groupe de clients, qui s'inquiètent à la vue des plats défilant sans arrêt vers les tables autour desquelles s'empressent les convives.

Sa haute taille, surmontée du bonnet blanc de circonstance, se penche vers la marmite où, d'un geste magistral, il plonge une large « louche », pour servir une gracieuse marmitonne.

Toute la journée il continuera ses distributions.

 

De temps immémorial, la foire de Gouesnou est une occasion pour se gaver de tripes.

Autrefois on en distribuait dans toutes les auberges du bourg, où l'on dressait des tables de fortune, dans les salles comme sous des tentes.

Mais, lentement, cette coutume se perd, comme tant d'autres.

 

Il est vrai qu'on ne trouve plus l'empressement de jadis à cette journée, qui précède immédiatement la fête de l'Ascension, date du pardon.

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Les convives le constatent avec une certaine mélancolie, tout en évoquant des souvenirs.

On se rappelle les foules nombreuses qui gagnaient pédestrement Gouesnou, les petits trains, se succédant, bondés de voyageurs, les voitures qui assuraient un service permanent avec Brest.

 

Des marchands bouchers déplorent que le bétail soit bien moins nombreux, en dépit des prix qui se maintiennent à la hauteur de ceux des autres foires de la région.

 

Et cependant, à l'entrée du bourg, sur le petite tertre qui leur est réservé, les caisses, où demeurent sagement rangés les porcelets, débordent Jusque sur la route.

 

Sur toute la partie droite de la grande place, que les baraques foraines ont laissée libre, les bovins se serrent en mugissant.

 

Au long des façades qui surplombent la gauche de cette même place, les chevaux attendent l'acquéreur possible.

Les poulains sont alignés devant les maisons qui bordent la route du Bourg-Blanc.

 

Partout l'on discute ferme, les prix sont débattus avec ardeur, sur le même mode que dans toutes les foires.

À l'entrée du cimetière, où les acheteuses de crins ont installé leurs balances, l'animation n'est pas moins grande, car ceux qui ont privé leurs chevaux de leur ornement naturel entendent en tirer le meilleur parti.

 

Quelles étaient donc ces foires d'antan, pour être plus actives que celle-ci ?

 

C'est bien simple, tout y était tellement tassé et sur des étendues beaucoup plus grande, qu'on n'y pouvait se déplacer qu'à grand' peine.

 

Dans un bas-fond, derrière l'église, l'antique et belle fontaine de saint Gouesnou paraît abandonnée au milieu du mouvement voisin.

Les jeunes filles y venaient autrefois s'efforcer de faire flotter une épingle convaincues qu'en y parvenant elles se marieraient dans l'année.

Mais on n'y voit plus personne.

L'eau, elle-même, semble s'être retirée.

 

Cherchez donc toutes ces familles qui venaient en groupe pique-niquer dans les champs d'alentour ?

On l'appelait aussi, cette grande réunion commerciale, « la foire aux hannetons », car c'était l'époque où ils voletaient autour des « branchies ».

Tâchez d'en découvrir un seul aujourd'hui !

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