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1939

Un tonnelier nous confie
Les métiers qui disparaissent
par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest 17 avril 1939

 

— Évidemment, à voir la quantité considérable de fûts qui encombre nos quais et nos terre-pleins, on ne croirait guère que le métier de tonnelier soit en si mauvaise posture.

 

« Et pourtant, chez nous, le métier est fini. Ainsi, pour ma part, je l'ai pratiqué depuis mon enfance, puis j'avais un atelier, et à cinquante ans il m'a fallu, faute de clientèle régulière, l'abandonner pour rechercher d'autres moyens d'existence.

 

— Mais tous ces fûts ?

— Ils servent au transport des vins d'Algérie et sont fabriqués là-bas par les indigènes.

D'ailleurs, combien de temps cela durera-t-il encore ?

Vous savez que l'on a construit des bateaux-citernes (*), qui suppriment aussi bien les fûts que la manutention.

C'est pourquoi, lorsqu'on les utilise, les dockers entreprirent un sérieux mouvement de grève.

Mais pourront-ils longtemps lutter ?

Rappelez-vous les événements qui suivirent l'emploi des machines à souder dans les conserveries.

Les soudeurs voulurent s'y opposer, mais en vain, la machine eut le dessus comme dans tant d'autres corporations.

 

(*) À lire sur Retro29.fr : 1939 - Le "Bacchus" a déversé 700.000 litres de vin dans les cuves des subsistances

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«  Dans les transports sur route, la transformation s'accomplit rapidement.

Voyez ce camion automobile sur lequel sont fixés des foudres.

Il est muni d'une pompe qu'actionne le moteur de la voiture.

Arrivé directement de chez le fabricant, il vient se ranger devant la porte du destinataire, déploie ses tuyaux et refoule le liquide dans les cuves.

 

« Constatez du même coup que les négociants en vins n'utilisent plus guère de foudres, mais des cuves de béton, intérieurement revêtues de verre.

 

« Les livraisons par voie ferrée se font dans des wagons-réservoirs.

Autrefois, le réceptionnaire les vidait à la gare, dans des fûts ; à présent il emploie des camions-citernes.

 

« Dans tout cela vous voyez disparaître le tonneau que les multiples manipulations avaient tôt fait d'user ou de mettre à mal.

 

«  Les détaillants recevaient les liquides en barriques ou en fûts, il n'y a pas encore longtemps.

Aujourd'hui, ils les reçoivent en bouteilles.

Les grossistes, en effet, emploient des machines combinées, qui assurent en un instant le lavage, le remplissage, le bouchage, l'étiquetage et le capsulage.

 

« Il en va de même pour tout.

Les barattes qui servaient à faire le beurre sont remplacées par des écrémeuses.

Le fût de bois a cédé le pas au fût de fer.

 

« La corporation, vous dis-je, est en train de disparaitre, surtout dans notre région.

Songez qu’il y a une cinquantaine d’années, on pouvait compter à Morlaix près de deux mille ouvriers tonneliers.

Ils travaillaient pour les alcools, les vins, les graisses, les salaisons, le beurre.

Aujourd'hui il reste tout au plus dans cette ville une dizaine de techniciens.

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« À Brest, les ateliers étaient certes moins nombreux, mais ils ne manquaient pas non plus d'ouvrage.

Ils ont dû, en raison de ce que je viens de vous exposer, fermer leurs portes. »

 

Notre ami le tonnelier, qui avait acquis une maîtrise incontestable, ne se console pas d'avoir dû abandonner sa profession.

Elle était rude cependant ; la déformation de ses mains en témoigne.

 

Dame, il n'utilisait pas de machines, lui ;

il prenait le feuillard en bottes et le travaillait entièrement à la main.

Il en était d'ailleurs de même à Morlaix, où l'on recevait, par Le Havre, des merrains de chêne d'Amérique.

C'étaient des troncs fendus suivant le fil du bois.

 

Quand on battait le feuillard pour lui donner la forme du fût, il fallait en mettre un coup.

Et quand on avait ainsi, tout au long du jour, manié un marteau de cinq livres, on en avait assez.

Entre temps, pour les cercles de tête, on devait utiliser une masse de cinq kilos.

 

Et pourtant il regrette le rebondissement du marteau et la résonance du tonneau, qui s'accompagnaient de chansons, car il n'y avait pas que les calfats qui travaillaient en chantant.

Écoutez plutôt ceci :

 

Joyeux tonnelier,

Dans mon atelier.

Du matin au soir à l'ouvrage...

C'est, dit-on pour le voisinage

Un abominable tapage !

Pan, pan, pan, ma foi ! tant pis,

Voisin, ne vous déplaise !

Pan, pan, je puis

Cogner tout à mon aise.

À mon gré, le chant le plus beau

C'est le bruit que fait mon marteau

Sur les flancs vibrants d'un tonneau.

Pan, pan, pan, la bonne tonne.

Pan, pan, pan, fait le bon vin.

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À ce propos, savez-vous que Faure, le baryton et compositeur, auteur des Rameaux, doit sa célébrité à l'exercice du métier de tonnelier ?

 

Apprenti chez son père, il lançait sa chanson à pleine voix en frappant un tonneau, quand un imprésario l'entendit.

Peu après, il lui faisait suivre les cours, du Conservatoire, lui donnait des leçons d'harmonie, et Faure devint qui vous savez.

 

Raison de plus pour regretter la disparition d’un métier si favorable au « bel canto » !

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