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1940

Combustibles modernes
en l'absence de charbon

 

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Source : La Dépêche de Brest 12 décembre 1940

 

Sur l'étroit trottoir, à un angle des rues de Siam et de la mairie, trois femmes bavardent.

Elles obstruent le passage et obligent les gens pressés à descendre sur la chaussée, mais n'y prennent pas garde.

Elles reviennent du marché.

Leurs sacs à provisions ne paraissent pas surchargés des denrées qu'elles en apportent.

 

— On dépense un argent fou, dit  l’une, on ne rapporte pas grand'chose.

— Je viens de faire la queue pour obtenir ma carte de savon, dit l'autre, mais je n'ai trouvé de savon nulle Part.

— Il en est du savon comme de bien a autres choses, dit la troisième sentencieusement.

 

La conversation roule maintenant sur le manque de combustible.

 

COKE ET CHARBON

 

—  J'ai eu le mois dernier un bon pour, 50 kilos de coke.

On m'a dit que je n'avais qu'à le présenter à mon marchand de charbon habituel.

Je suis allée le porter moi-même, chez lui, au Port de commerce.

 

Il m’a montré tout un paquet de bons du mois dernier.

Il n'avait pu livrer de coke à ses clients, n'ayant pu s’en procurer lui-même à l'usine à gaz.

 

—  Vous êtes une privilégiée d'avoir droit au coke, parce que vous avez le gaz.

Mon mari, mon enfant malade et moi nous devons nous contenter — n'ayant pas le gaz dans la maison — des 50 kgs de boulets qui nous sont mensuellement alloués — et quels boulets !

Avec ça, allez donc faire votre cuisine et chauffer la salle à manger.

Pourtant par ce temps froid et humide, ce vent qui pénètre partout, il ne fait pas bon rester dans une pièce sans feu.

 

— Moi, avec mes trois enfants j'ai droit à 100 kilos par mois…

— Vous n'usez cependant pas plus de charbon pour faire la cuisine pour cinq que pour trois.

Ce n'est pas juste.

—  C’est peut-être vrai, mais je ne vais pas pour vous faire plaisir refuser la quantité qui m'est allouée ou me passer de mes enfants.

Non mais !

Vous pouvez toujours, à défaut de charbon, vous chauffer avec du bois.

 

LE BOIS

 

— Du bois ? Ah ! Parlons-en.

Depuis trois semaines, mon charbonnier m'avait promis un stère de bois ;

pas pour rien : 150 francs le stère de bois vert, fraîchement coupé, les feuilles adhérant encore aux branches ;

mais comme il ne le livrait pas, j'ai commandé du bois provenant de la démolition de bateaux.

 

— C'est intéressant ?

— Ah ! Non, alors.

 Ce bois est tellement imprégné d'eau, de peinture et de mazout qu'il dégage une fumée âcre, mais ne brûle qu'à grand'peine dans une cuisinière ou un poêle.

— Il ne doit pas être vendu cher alors ?

— Un prix exorbitant, au contraire300 francs la tonne, plus une trentaine de francs de transport, soit 330 francs car, malgré la quantité énorme d'eau qu'il contient, on a le toupet de le vendre au poids !

Si vous ajoutez à ces330 francs le prix des journées nécessaires pour scier et fendre ce bois plein d'échardes, vous pouvez vous rendre compte de la très mauvaise affaire que j'ai faite.

— La commission de surveillance des prix devrait bien intervenir.

— Elle a tant à faire !

 

— Je savais que ces bois de démolition n'étaient pas avantageux.

Si vous m'aviez consultée, je vous aurais dit que leur emploi avait même été interdit aux boulangers pour chauffer leur four.

Il y a eu, dans mon quartier, des commencements d'intoxications provoquées par les résidus ou les centres de ces bois, imprégnés de peinture à base de plomb, qui restés dans le four, s'étaient incorporés à la croûte inférieure des pains.

Cela n'a heureusement donné lieu qu'à des malaises passagers chez les personnes qui  en avaient mangé, mais sans la rapide découverte des causes de l'intoxication par un médecin, des accidents plus graves étaient à craindre.

Les boulangers ont aussi bien du à se procurer du combustible :

ni mazout, ni charbon, ni fagots, ni bois, le mien redoute de se voir obligé de fermer boutique.

 

— Mais, il y aussi la tourbe.

Pourquoi ne pas s’en servir ?

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LA TOURBE

 

— C'est vrai, depuis le mois d'août, les ouvriers du Pont-de-Buis à Brennilis et du Moulin Blanc à Trémaouézan ont extrait quantité de mètres cubes des tourbières de ces régions marécageuses.

 

— Ils ont même bien travaillé !

À Trémaouézan, ils ont rétabli la voie du petit train départemental qui passait à proximité, ce qui a permis de transporter à Landerneau et à Lesneven et même jusqu'à Gouesnou — où les camions brestois allaient la chercher — des centaines de mètres cubes de cette tourbe passant pour un bon « combustible de remplacement ».

 

— Je m'en suis fait livrer.

Quand mon mari a examiné le contenu du camion, il s'est écrié :

« C'est ça votre tourbe ?

Moi, j’appelle ça du terreau ou de la boue humide.

Remportez-la, je n'en veux pas. »

 

Le livreur n'était pas content :

C'est malheureux disait-il, de faire ainsi « brûler de l'essence pour rien. »

Puis il a fini par dire qu'il ne fallait pas s'attendre à faire cuire les repas avec ces amas de « feuilles sèches et de végétaux » n'ayant qu'un pouvoir calorifique inférieur au charbon de plus de 50 %.

 

Il a même reconnu que la tourbe qu'il apportait n'était pas présentable.

 

« Ce n'est pas de notre faute, a-t-il dit, si la tourbe s'est transformée en cette boue humide.

« C'est à cause du barrage qu'on a construit à Brennilis pour augmenter la capacité en eau de l'usine hydroélectrique de Saint-Hernot et pour éviter un arrêt pendant l'étiage.

La région tourbière a été inondée et les ouvriers ont commencé dès le début d'août, à extraire la tourbe.

« On ne s'est décidé à la mettre en vente qu'au mois d'octobre.

Pendant plus de deux mois, la tourbe était déjà restée exposée aux intempéries, les grosses pluies de novembre ont achevé la désagrégation des mottes et ont transformé la tourbe en boue.

 

« Mais, a ajouté sérieusement le livreur, en reformant des mottes, en les tassant, en les comprimant fortement dans une caisse servant de moule, et en laissant bien sécher vous pourriez entretenir votre feu et économiser un charbon qui, je le crains, va devenir de plus en plus rare. »

 

Mon mari ne s'est pas laissé convaincre.

Il n'a rien voulu savoir et le livreur a dû, en maugréant, remporter son chargement de tourbe liquéfiée.

 

— Mais on bavarde, on bavarde et le déjeuner ne se fait pas.

— Oh ! Pour ce qu'il y a à manger.

 

Les trois commères se séparèrent.

La circulation redevint libre sur le trottoir.

 

Pourquoi manque-t-on de charbon ?

Comment peut-on, dans une certaine mesure, remédier à sa rareté ?

Nous essaierons d'y répondre dans de prochains articles.

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