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Les échos du vallon sourd

Chroniques d'un monde paysan
à jamais disparu


Louis Conq de Tréouergat raconte
 

Temps de guerre

Réfractaire au S.T.O.

 

Au bout de deux mois de vie cornouaillaise, nous étions atteints du virus du « mal du pays ».

Un oncle à Laurent passa un jour nous apporter une belle fausse carte d'identité, plus présentable que la vraie.

Tout compte fait, il n'y avait pas davantage de risques pour nous en Pays du Léon, qu'ici en Pays de Cornouaille, d'autant plus qu'il y avait à présent, là-haut, dans les Bois du Duc assez proches, quantité d’autres réfractaires au S.T.O.

Les Allemands, s'en doutant un peu, commençaient à s’y intéresser.

 

Les environs étaient donc particulièrement surveillés, surtout de­puis qu'un train, en provenance de Landerneau à destination de Quim­per, avait été culbuté du haut d’un pont miné sur le Stèir.

 

« Nous repartons à la maison », décidèrent les gars.

Le tonton nous conseilla de retourner chacun de notre côté.

Laurent prit donc le train en sa compagnie.

Et les deux autres prirent leur vélo pour faire au moins une partie de la route.

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Lothey.jpg

 

Sur le chemin de retour, il m'arriva encore une petite aventure :

une culbute aussi spectaculaire qu'un numéro de cirque !

Je roulais en compagnie de Jean sur les chemins de Cornouaille, dans les environs de Lothey.

Mon vélo Nora freinait assez médiocrement, mon allure s'accentuait.

La route était toute en lacets dans la descente de plus en plus raide vers le canal de Nantes à Brest.

Je filais sans doute à plus de quatre-vingts à l’heure quand, tout à coup, un chien de chasse traversa la chaussée juste devant ma roue.

Obnubilé par cet « imbécile » de chien, je ne vis pas le dernier tournant de la route.

Je partis tout droit, la tête la première, dans une belle haie d’aubépine bien taillée.

Dans mon élan, je faisais un trou à travers le buisson épineux, je le traversais, suivi de mon vélo.

Nous nous retrouvâmes, l'engin et moi-même, étalés dans le foin fraîchement coupé de la prairie, en bas du chemin.

 

Je tâtais mes abattis quand j'entendis :

« Louis ? Où donc es-tu passé ? »

« Ici », fis-je.

« L'entrée de la prairie est là un peu plus bas dans la descente ! »

Mon compagnon de route, lui, il ne prit pas mon raccourci.

« Mais qu’est-ce qui t'est donc arrivé ? Je ne pouvais plus te suivre »

« Mais rien. Ce n'est rien du tout. »

« Rien du tout ? Ta figure est ensanglantée. »

 

J'essayais d’expliquer : le chien, le frein, le virage, les aubépines.

Mon vélo avait le guidon complètement de travers.

Heureusement, je n’avais rien de cassé !

Par contre, ma figure avait été généreusement griffée, comme le dos de mes mains.

Passant outre, nous partîmes tous deux d’un immense éclat de rire.

 

Et c'est à moi que ces choses-là arrivaient, ces histoires de peu de finesse.

Comment continuer notre route ? Avec une tête comme ça !

Je me lavais abondamment à la rivière, mais je n’étais pas encore beau à voir.

C’était bien gênant quand même.

Nous nous remîmes en route.

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Saint Ségal.jpg

 

Heureusement, nous avions maintenant nos cartes d'identité, d’autant plus précieuses qu'elles étaient fausses.

J’étais devenu Jean Tanguy, né à Saint-Urbain et habitant Kervihan en Trézélidé.

J’avais trois ans de moins que le Louis que j’étais auparavant.

À présent, avec ma tête de joli garçon, mieux que nature, du moins sur ce papier, je devais toujours pouvoir me tirer d'affaire.

 

Voire !

Montant à pied sur Saint-Ségal, nos vélos à la main car la côte était raide, nous devisions tout en marchant, échangeant entre nous quelques propos léonards.

Tout à coup, survint devant nous un fermier des environs et âgé d'une quarantaine d'années.

Il venait au-devant de nous :

« Prenez garde, les gars.

Les « Chleus » sont là-haut au Carrefour de Châteauneuf.

Ils font un barrage, ils ont arrêté plusieurs jeunes.

Je pense que vous feriez mieux, peut-être... »

« Oh ! Nous n’avons rien à craindre.

Nous, nous avons nos papiers tout à fait en règle. »

 

Cependant, il n'eut pas besoin d'insister : nous avions compris que nous étions vulnérables.

Il n'eut pas de difficulté à nous amener à lui faire confiance.

À travers champs, ce brave homme, qui avait bien deviné qui nous étions, nous emmena d'abord boire un bol de cidre, et même manger un bon morceau de pain au lard.

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Coat Méal.jpg

 

Il nous indiqua sur la carte de l'Almanach des Postes les petits chemins vers Lopérec qu'il valait mieux prendre, plutôt que la grand-route par Pont-de-Buis.

Cela nous prit du temps pour atteindre l’Élorn, passant en-dessous de Sizun, pour gagner ensuite Kerfaven en Ploudiry, puis Lanneufret.

Bientôt, nous fûmes quand même dans la région de Plabennec, Coat Méal et enfin chez nous.

 

Tout contents des retrouvailles, nous nous sommes dit à ce moment :

« Assez trotté comme ça !

Puisqu'on ne nous recherche pas, restons bien sagement chez nous. ».

 

Les « lapins 42 » : c'est ainsi qu'on nous nommait maintenant, comme tous les réfractaires de la Classe 42.

Beaucoup ne s’était finalement pas tellement éloigné.

Les réfractaires étaient cependant bien à l’abri.

En plus, certains avaient habilement modifié leur physique.

Je pense en particulier à Michel, le sonneur-bedeau que j’avais mille peines à reconnaître avec ses longues moustaches à la Vercingétorix ou à celles de son cousin Astérix.

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Tréouergat Pont-Ar-Bleis.jpg

 

À Tréouergat, il n’y avait toujours pas le moindre soldat de la Wermacht,

et bien sûr on n’y connaissait pas le moindre « collabo ».

 

Si d’aventure un gendarme venait faire un semblant d’enquête au sujet de Pierre ou de Paul, ces derniers étaient immédiatement et mystérieusement avisés par « quelqu'un ».

Ils n’avaient plus qu'à s'éclipser un jour ou deux au fond de quelque lande.

On pouvait être tranquille : personne dans le village ne savait ce qu’ils étaient devenus depuis bien longtemps.

 

Malgré tout, les jeunes ne pouvaient pas trop bouger.

Ils passaient leur temps le plus agréablement possible, en jouant de l'harmonica, en faisant quelques tours de danse avec les filles sur les aires à battre, quand la moisson fut venue, à Kerebel, à Pont-ar-Bleiz ou ailleurs.

 

Il arriva même qu’un séminariste faillit avoir des histoires, non pas avec les Allemands qui le recherchaient lui aussi, mais quand il fut aperçu à travers une haie d'ajonc, en train de danser chez ses cousines.

Vous ne savez pas par qui ?

Par la « 5e Colonne » de la Bonne du Presbytère.

Mais l’affaire n'alla pas plus haut, ni « plus loin » que le bon Recteur qui s'esclaffa de tout cœur

et renvoya la Marie à sa cuisine.

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