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1937

Les foires
Déplorables pratiques

 

 

Source : La Dépêche de Brest 20 novembre 1937

 

Tout le long de la route nous avons doublé des voitures de toutes sortes bourrées des marchandises les plus diverses, ainsi que de légères charpentes ;

les marchands forains vont au-devant, de la clientèle.

 

Voici maintenant des chevaux, des vaches que des cultivateurs tirent au licol.

Ils se hâtent vers le champ de foire.

 

Dans le bourg règne l'animation des grands jours.

À l'entrée des routes, dans les cours, aux coins des places s'entassent des charrettes aux brancards dressés vers le ciel, des cars, des camionnettes, d'énormes camions garnis de barreaux.

Tout cela vient de transporter des cultivateurs, des cultivatrices chargés des produits de la ferme ou de volaille ;

des bestiaux, on est même arrivé à vide en vue d'acquisitions certaines.

 

Sur cette placette, on débarque des porcs qui poussent des cris déchirants ;

devant l'église s'alignent vaches et génisses ;

dans cet angle, des veaux de toutes tailles se sont laissés choir sur le sol ;

au long de ce mur, solidement encordés à des anneaux qui n'ont pas d'autre usage, des taureaux soufflent tête basse ;

au pied des arbres d'une autre place des chevaux hennissent.

 

À présent les rues se garnissent de baraques en toile rapidement édifiées, d'éventaires de toutes sortes.

 

Le personnel préposé à la perception des droits de place s'empresse pour la délivrance des tickets.

 

Chez les éleveurs, on s'efforce de découvrir parmi les acquéreurs possibles que l'on connaît bien, les marchands étrangers à la région qui ont parfois de tels besoins que les cours en sont heureusement influencés.

 

En général on se plaint.

 

— Le nombre des déballeurs augmente sans arrêt tandis que celui des animaux présentés ne cesse de décroître.

 

Les vendeurs se plaignent de la hausse considérable des cours de la nourriture du bétail.

Les acheteurs se plaignent de la qualité des bêtes.

On discute, on oppose des prix, à grands gestes on se tape dans les mains, pour le profane le marché semble conclu, mais pas du tout, le marchand s'éloigne en haussant les épaules ;

le cultivateur, lui, demeure impassible convaincu qu'il ne s'agit là que d'une feinte.

 

— Mais enfin, que se passe-t-il, interrogeons-nous, les cours sont-ils donc si élevés que l'on n'achète plus ?

 

— Non, tout cela est normal, nous confie un vieil habitué des foires.

Il est rare qu'un marché soit immédiatement conclu.

Au demeurant, bien que l'on sente une tendance à la hausse, les cours sont à peu près stationnaires depuis plusieurs mois.

Sauf toutefois en ce qui concerne les veaux qui sont devenus rares et les porcs gras qu'on ne trouve plus.

 

« On s'attend cependant à une répercussion consécutive à la hausse des prix de la nourriture du bétail et aussi aux ravages causés dans certaines régions par la fièvre aphteuse.

On me signalait l'autre jour une étable d'Ille-et-Vilaine où sur quinze bêtes, onze avaient été emportées par l'épidémie.

Dans ces conditions nous pouvons être certains d'être sérieusement concurrencés sur nos foires par les marchands qui fréquentent les pays atteints.

 

— On ne peut rien contre cela ; le fait est régulier.

— Évidemment, mais ce qui l'est moins c'est l'intervention de certains intermédiaires qui n'ont rien de commun avec notre profession.

 

Ces gens-là arrêtent sur les routes les cultivateurs qui conduisent une bête à la foire.

Comme aucun cours n'est encore établi, ils s'efforcent de tromper le vendeur, puis déclarent acheter l'animal.

 

« Un vague coup de ciseaux dans le poil sous prétexte d'y dessiner sa marque et l'acquéreur invite le cultivateur à poursuivre sa route vers la foire.

Ici, il offre la bête aux marchands à un prix évidemment supérieur.

Il parvient ainsi, sans avoir aucune qualité, à prélever des bénéfices souvent importants.

Encore n'encourt-il aucun risque puisqu'il ne paie le cultivateur que si la revente a eu lieu.

Sinon il abandonne tout simplement l'animal à son propriétaire,

​

 

« Parfois plusieurs intermédiaires se repassent la même bête dans les mêmes, conditions prélevant chacun un bénéfice.

Deux victimes au moins dans ce genre d'affaires :

le cultivateur et le marchand boucher, sans oublier la répercussion à la consommation.

 

« Mais il n'y a pas que cela.

Connaissez-vous l'opération qu'on appelle « le gardage » ?

Un marchand, dès le début de la foire examine les bêtes puis place auprès de chacune de celles qu'il a choisies un homme à sa solde.

Désormais, chaque fois qu'un autre marchand voudra se rendre acquéreur, l'homme interviendra pour affirmer que le marché est engagé avec son patron.

 

 

« Ainsi le cultivateur se verra réduit à accepter les conditions de l'organisateur du « gardage » ou à ramener sa bête chez lui.

 

— Mais n'intervient-on pas pour empêcher de pareilles pratiques ?

— Si, mais bien en vain.

On a créé à l'usage des commerçants réguliers une carte d'identité pour les foires et marchés de bétail renouvelable tous les ans.

Mais est-il possible d'exiger la production de toutes ces cartes à chaque foire ?

Bien sûr de temps en temps on la réclame, quelques procès-verbaux sont dressés, mais la pratique ne s'en poursuit pas moins.

 

Et puis aucune transaction ne doit être tolérée avant l'heure officielle d'ouverture de la foire.

En effet, un cours ne peut normalement s'établir que lors que les arrivages sont terminés, les prix étant fonction de l'importance des offres et de celle des demandes.

 

« En achetant au fur et à mesure des arrivées, il résulte que la foire est bientôt terminée.

Et ceci, en dehors de la question des cours, a des conséquences que le commerce local déplore non sans raison. »

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