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1937

Une visite au château de Trébodennic
Ploudaniel

 

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Source : La Dépêche de Brest 10 août 1937

 

En cette belle et chaude matinée d'août, comme chaque dimanche, sur toutes les routes et chemins convergeant vers les bourgs, à pied ou à bicyclette, on rencontre les habitants des villages et des fermes voisines qui se dirigent en foule vers l'église pour assister à la grand'messe.

 

Le spectacle ne manque pas de pittoresque.

Sous les rayons de l'ardent soleil qui liquéfie par places le goudron de la route, de l'auto qui vous emporte à 80 kilomètres à l'heure, vous avez l'illusion, de loin, de très loin, de voir comme de gros papillons aux couleurs tendres planer sur les bas-côtés.

Ce sont les châles brodés, roses, verts, bleus ou beige clair surmontés d'une coiffe de fine dentelle, bien blanche et bien empesée, de paysannes pédalant ferme et se hâtant, car les cloches de l'église voisine viennent de carillonner leur deuxième appel.

 

Dans les rues principales, sur les places, autour des temples, que ce soit à Gouesnou, Le Folgoët ou Plabennec, c'est la même affluence.

Par groupes, les hommes endimanchés discutent, se plaignent de la persistante sécheresse qui grille les fourrages, parlent des durs travaux des moissons commencés sans se plaindre, de peiner, pendant six jours, durant 15 heures, sous une chaleur excessive.

À Ploudaniel, le spectacle est le même autour de l'église au haut clocher dentelé où, raconte avec un malicieux sourire, un vieux paysan, les autorités chargées des « expulsions et des inventaires » emportèrent sur leurs vêtements, de leur visite, un souvenir trop odoriférant.

 

Le château de Trébodennic

 

Derrière l'église se trouve le splendide château de Trébodennic.

On y accède par un petit chemin ombragé clos d'une barrière avec un tourniquet pour le passage des piétons.

 

On possède peu de renseignements sur l'histoire de ce château dont la façade à double donjon est flanquée d'une tourelle à toit pointu.

 

On sait que sur son emplacement s'élevait un château-fort construit par  les seigneurs de Poulpry en 1584.

Il ne doit en rester que des vestiges : La belle porte sculptée qui orne la partie la plus ancienne de la façade, par exemple, les bâtiments ayant dû subir, au cours des siècles, de nombreuses et importantes transformations.

 

La façade se complétait autrefois, à ses deux extrémités, par deux ailes perpendiculaires qui ont été démolies.

 

On raconte qu'un M. Le Gris, acquéreur du château de Trébodennic après la révolution, n'ayant sans doute aucun respect pour une demeure ayant abrité des aristocrates, ou ne comprenant rien à sa beauté architecturale, avait décidé de la démolir pour en vendre les pierres.

Alors qu'il s'attaquait à la démolition de la tourelle, une pierre se détacha, l'entraîna dans le vide et il vint s'écraser sur ce sol, payant de sa vie son acte de vandalisme.

 

Il y a un siècle, la famille Croc, dont les descendants en sont les actuels propriétaires, acheta le magnifique domaine et les 75 hectares de terres entourant ce qui subsistait du château.

 

M. et Mme Croc firent reconstruire, d'après une gravure ancienne, la partie droite telle qu'elle existe aujourd'hui, avec son double donjon, et bâtirent sur l'emplacement qu'avait occupé une des ailes, en se servant de ses vieilles pierres, un petit bâtiment du même style.

 

Les nouveaux propriétaires complétèrent avec beaucoup de goût, en plantant des arbres qui, aujourd'hui centenaires, bordent et ornementent de verdoyantes et vastes prairies, arrosées d'un ruisseau.

 

Derrière le château, une serre-jardin d'hiver longe toute la façade devant un parc aux allées bien tracées, aux pelouses égayées de massifs de fleurs.

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À l'intérieur, sur une vaste galerie aux murs garnis d'armes et de trophées de chasse, s'ouvre un salon meublé de sièges Louis XVI, de tables et de meubles de Boule, marquetés de bronze, parmi lesquels ne détonne pas une délicieuse console empire, surmontée d'une glace semi-circulaire, encadrée d’acajou aux bronzes néo-grecs.

La salle à manger, qui sépare le salon du billard, est vaste et bien éclairée.

 

Une cheminée monumentale en occupe tout un côté.

Les jambages sont ornés de colonnes jumelées supportant le linteau sculpté de grandes marguerites, surmonté de pilastres cannelés garnissant la hotte jusqu'au plafond.

 

D'un très bel effet décoratif, l'ensemble constitue une œuvre d'art taillée en pleine pierre, d'une valeur inestimable.

 

La salle à manger est meublée d'armoires aux sculptures naïvement ouvragées dans le cœur de chêne qui complètent harmonieusement son caractère breton.

 

L'ameublement des autres pièces est plus moderne.

On a sacrifié le style au confort.

 

Avant de sortir de cette belle demeure, dans une pièce dite « chambre aux moteurs », on remarque des portes taillées en plein cintre dans un intéressant encadrement de pierre.

 

Mais toutes ces splendeurs sont considérées comme secondaires, d'un entretien coûteux et presque superflues par les aimables habitants, d'une simplicité et d'une affabilité charmantes, de cette demeure historique.

 

Mme, Mlle et M. Croc s'adonnent, en effet, avec passion, à l'élevage de la vache bretonne et s'intéressent plus qu'à leur château à l'avenir de la race pie-noire que, depuis cinquante ans, leurs parents et eux-mêmes n'ont cessé de sélectionner et d'améliorer.

 

Ils apportent sans cesse, avec une somme considérable de travail personnel et des soins vigilants, des transformations à une installation qui constitue déjà pourtant par son modernisme, sa méticuleuse propreté, le souci d'hygiène qu'on y observe, une ferme, une laiterie et une beurrerie modèles où quelques-uns de nos cultivateurs feraient bien d'aller prendre des leçons.

 

C'est un autre aspect et pas le moins intéressant de la visite du domaine de Trébodennic.

Nous essaierons d'en donner demain un aperçu.

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Source : La Dépêche de Brest 11 août 1937

 

Le troupeau

 

Ainsi qu'on l'a vu dans un précédent article, le domaine de Trébodennic fut acquis, il y a un siècle, par la famille Croc.

 

Son premier propriétaire, M. Pierre Croc, restaura le château et les 75 hectares de terre qui l'entouraient, furent exploités en diverses cultures.

 

Le troupeau actuel, qui fait l'admiration de tous les connaisseurs, ne fut créé que depuis cinquante ans. M. Croc acheta à Quimper un wagon de vaches et un taureau de race pie-noire.

Depuis, comme son père, M. Louis Croc poursuit ce but bien déterminé :

Obtenir avec des animaux de taille de plus en plus réduite, un rendement de plus en plus grand.

 

L'expérience a en effet prouvé qu'une vache de petite taille fournissait, en bonne saison, ses 12 à 14 litres de lait chaque jour, tout en mangeant beaucoup moins qu'une grande.

 

 

La composition du troupeau, comprenant de 70 à 80 bêtes à cornes, est donc soumise à une rigoureuse sélection et à des règles d'élevage susceptibles d'améliorer la race.

Ces règles sont simples : propreté, hygiène, nourriture suffisante.

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L'étable

 

L'étable, installée dans une dépendance du château de Trébodennic, est vaste, éclairée, bien aérée, d'une méticuleuse propreté.

 

Le sol, cimenté, est creusé de rigoles profondes amenant le purin à une fosse.

La litière de paille fraîche est changée tous les jours.

 

À un mètre des murs, pour permettre de circuler derrière elles, des mangeoires individuelles, en pierre, sont placées à la tête de chaque animal, maintenu par une chaîne qui lui permet de reculer pour se coucher, mais l'empêche d'atteindre, à droite et à gauche, la ration de ses voisins.

 

Il n'y a pas de râteliers.

Le fourrage est placé à terre entre les mangeoires, lesquelles reçoivent, l'hiver, un barbotage composé de betteraves, coupées en menus morceaux par un hachoir mû électriquement, des tourteaux et un aliment spécial.

 

L'été, les bêtes restent nuit et jour dehors, paissent dans les pâturages et ne reçoivent aucune autre nourriture.

 

Tous les jours, à 16 heures, rassemblées par un brave chien de berger groenendael, à longs poils noirs, vaches et génisses rentrent docilement à l'étable, où un appareil électrique, par aspiration et succion, procède à leur traite.

 

Cet appareil permet de traire quatre bêtes à la fois, rapidement et proprement.

Les vaches s'y habituent fort bien.

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La « nursery »

 

À côté de l'étable, dans une petite salle claire et propre, soigneusement lavée à grande eau chaque jour, comme l'étable, s'alignent des caisses en bois d'égales dimensions.

 

Retirés à leur mère après huit jours, les veaux nouveau-nés sont nourris au biberon, de lait écrémé et de farine spéciale pour les nourrissons.

 

Le biberon est un récipient en métal, muni de pis artificiels en caoutchouc que le petit veau tête avec avidité.

 

Au fur et à mesure de sa croissance, le veau change de caisse et avance vers la droite.

Il subit chaque semaine un sérieux examen.

Malheur à lui, s'il ne répond pas aux conditions exigées pour prendre place dans le troupeau, la dernière caisse est celle des condamnés à mort et, impitoyablement, bien qu'à regret — ces petits veaux sont si gentils ! — le boucher s'en saisit, les assomme et les égorge en un tournemain.

 

Ceux qui en réchappent font étable à part :

Les génisses d'un côté, les quelques rares petits taureaux gardés, de l'autre, avec le taureau de remplacement qui, un anneau dans le nez, broute paisiblement à côté de ses jeunes frères âgés de dix mois, dont il ne parait pas s'occuper, tandis que les plus petits sont séparés de lui par une cloison de planches.

 

Le taureau en exercice, en liberté, ne quitte pas le troupeau.

 

Le troupeau

 

Dans les herbages du domaine, qui couvrent une superficie de 40 hectares, le troupeau ne trouve, cette année, par cette persistante sécherez, qu'une herbe rare, jaunie et brûlée par l'ardeur du soleil.

 

Une petite rivière, dans laquelle on pêche la truite, traverse la propriété, ce qui permet aux animaux de se désaltérer à volonté.

 

En détournant le cours de ce ruisseau.

M. Louis Croc a créé un lac artificiel, lui permettant d'avoir toujours la quantité d'eau nécessaire pour alimenter, par une chute de 1 m. 75, la turbine servant au fonctionnement de divers moteurs et à la charge d'une batterie d'accumulateurs fournissant l'électricité suffisante pour l'éclairage du château et de ses dépendances.

 

La prairie qui voisine cette pièce d'eau, ombragée de hauts arbres, a été irriguée ;

c'est l'oasis où le troupeau aime à paître par cette chaleur.

 

Tous ces animaux, dont on cherche à réduire au maximum la taille, uniformément noirs et blancs, sont connus par leur nom de leurs propriétaires, qui arrivent à les distinguer d'après leurs taches dissemblables.

 

Il faut pour cela un œil exercé, aussi chaque bête admise à faire partie du troupeau est marquée à l'oreille d'un numéro matricule, reporté sur un registre où Mme Croc note soigneusement tous les éléments servant à établir son pedigree exact.

 

Ce travail se fait depuis l'origine du troupeau, il y a cinquante ans, et a permis sa sélection en tenant compte des qualités laitières de l'ensemble en vue de la continuité de la race, mais avec, de temps en temps, un apport de sang nouveau par un taureau provenant d'étables connues et réputées pour leur bonne sélection.

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Laiterie et beurrerie

 

Cette salle, où règne une exquise fraîcheur, est le domaine où s'exerce l'activité de Mme Croc.

 

Les appareils brillent de tout leur éclat : l'écrémeuse, la baratte, e malaxeur, tout marche électriquement.

 

Pas une goutte de lait ne provient de l'extérieur.

Seul est employé le lait des vaches du troupeau de Trébodennic.

Aussi le beurre succulent sortant de cette beurrerie modèle est-il bien connu et apprécié des gourmets qui savent le trouver à Brest, chez un dépositaire se chargeant, depuis plusieurs années, de le vendre, mais n'en ayant pas toujours assez pour satisfaire sa nombreuse clientèle.

 

Originaire des Charentes, Mme Croc a ajouté à la beurrerie la fabrication de délicieux fromages blancs et la fermentation du yaourt.

Comme le lait crémeux qui sert à fabriquer beurre et fromages, on peut dire que les produits sortant de ce domaine sont l'objet de tels soins qu'ils sont à tous points de vue parfaits.

 

La moisson

 

Fertilisés par des engrais complets, les quinze hectares de terre réservés aux céréales produisent aussi de belles récoltes.

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On rentrait samedi dernier les gerbes d'avoine, empilées sur des voitures traînées par des chevaux vigoureux.

 

Amenées sous un vaste hangar à charpente métallique, recouvert de tôles ondulées, abritant déjà le foin qui servira à l'alimentation des animaux cet hiver, les charrettes sont rapidement déchargées.

 

Des griffes saisissent les gerbes et les mettent en tas, simplifiant ainsi le travail et réduisant la main-d’œuvre coûteuse et rare.

 

Entre les foins et les céréales, un espace est réservé â une machine à battre à grand rendement qui servira, cet hiver, au battage du grain de Trébodennic et aussi à celui des fermiers des alentours.

 

Le travail ne manque pas dans ce grand domaine et ses châtelains n'y sont pas les moins occupés. Pour mener à bien une pareille œuvre, il ne faut craindre ni ses peines, ni ses responsabilités.

 

Cette exploitation devrait servir d'exemple.

Bien des fermiers, qui laissent dans des étables obscures croupir sur le fumier leurs vaches, feraient bien de faire une visite au troupeau de Trébodennic.

 Ils constateraient la rusticité de ces belles petites vaches de la race pie-noire, toujours bien portantes, résistant à la maladie grâce à une hygiène bien comprise et à des soins incessants.

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