top of page


1940

Que nos laitières soient à l'honneur !
par Charles Léger

 

 

Source : La Dépêche de Brest 28 juin 1940

 

Nos laitières ont été très braves pendant la période, désagréable des alertes de D. C. A., maintenant heureusement terminée.

 

N'évoquons ce mauvais souvenir que pour rendre hommage à celles qui, malgré tout, ont, sans défaillance apporté chaque matin aux Brestois leur provision de lait.

 

Dans chaque ferme c'était chaque matin la même scène.

Reconstituons-la :

 

Le jour point à peine.

C'est l'heure ; il faut se lever.

Dommage ! Après une pareille nuit.

Les canons de la D. C. A. ont à peine permis de dormir un peu.

 

— Allons, pressons-nous !

Vêtue en hâte, la laitière s'en va vers l'étable.

C'est le moment de la traite.

Les vaches se lèvent péniblement.

Par habitude, elles se prêtent à l'opération avec docilité.

La jatte est pleine.

Les pots étiquetés conformément au règlement, reçoivent leur mesure de lait.

 

Dans la cour, le cheval attelé par le père s'impatiente.

La voiture reçoit son chargement.

 

— Hue, Bijou !

La laitière est partie vers la ville.

Un petit trot dans la fraîcheur matinale remet en action.

Par un temps aussi clair, n'était cette nuit écourtée, ce serait une promenade agréable.

Il n'en va pas toujours ainsi.

Combien de fois a-t-elle dû faire la route sous une pluie battante, contre laquelle elle ne pouvait se défendre dans son char à banc découvert !

Et que dire de l'hiver par ces nuits noires où l'on gèle, tandis qu'il faut maintenir le cheval qui avance péniblement sur la route glacée.

 

Bah ! Ses parents l'ont fait avant elle !

Il faut ravitailler la ville.

Il est là-bas tant de vieillards, tant d'enfants qui attendent le précieux breuvage auquel est liée leur existence.

Véritable mission qu'elle a accepté de mener à bien.

Elle l'accomplit simplement, naturellement, sans nullement songer à s'en prévaloir.

 

En chemin, elle songe plutôt aux soucis familiaux ; à ses frères mobilisés dont on est sans nouvelles.

​

 

Boum !

Le coup est parti tout près, de l'un des champs voisins où s'est installée une batterie antiaérienne.

Le cheval qui grimpait la côte à petits pas a fait un brusque écart et, les oreilles dressées, manifeste une nervosité qu'il faut refréner.

 

D'un bond, elle a sauté sur la route et a pris la bride.

Il était temps !

Le tir est déchaîné.

Les coups se succèdent avec rapidité.

Solidement maintenu, le cheval est conduit vers une barrière toute proche où il est attaché.

 

À présent, il faut attendre.

Pas trop longtemps cependant.

Aussi, dès que les canons voisins ont cessé de tonner, libère-t-elle son attelage et repart-elle.

Les éclatements se poursuivent au loin dans le ciel, mais elle n'en a cure.

 

Enfin, tout se tait.

L'atmosphère redevient calme.

Sur les talus, les ajoncs fleuris continuent de se balancer sous la brise du matin.

 

La laitière ne philosophe pas.

Elle presse son cheval ; il faut rattraper le temps perdu.

Enfin, voici les premières maisons de la ville.

 

Comme elle descend la rue principale, un hurlement monte, angoissant, déchirant, emplit l'espace.

Cette fois, le cheval s'est affolé.

Et ce n'est qu'à grand' peine qu'elle le maîtrise pour l'attacher encore en bordure du trottoir, à un caniveau ou à un quelconque poteau, pour aller s'abriter dans le couloir de la maison d'en face.

 

Bientôt, les détonations des batteries défensives éclatent et se précipitent.

Les mitrailleuses crépitent.

Le vrombissement des avions s'accroît.

 

Ici, il faut attendre.

On ne permet pas de sortir avant la fin de l'alerte.

 

Enfin, la sirène mugit encore.

C'est la fin de l'alerte.

La vie reprend au point où elle avait été brusquement interrompue.

 

Et, avec placidité, la laitière commence sa distribution.

 

Comme elle, d'autres vont de porte en porte apporter la provision attendue, il en est venu de toute la campagne environnante : de Guipavas, de Gouesnou, de Saint-Pierre, de Guilers, de Bohars, etc.

 

Et chaque matin, avec courage, elles ont accompli leur tâche.

Pas un jour le lait n'a manqué, ni chez les particuliers, ni dans les établissements publics.

L'œuvre de la Goutte de lait a pu continuer d'alimenter les biberons ;

les malades des hôpitaux ont reçu leur ordinaire ravitaillement.

 

Soyons-en reconnaissants à nos braves laitières.

​

bottom of page