top of page


1940

Le retour à la ferme
des ouvriers licenciés
des établissements de la Marine

 

14 juillet 1940 - Retour à la ferme.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 14 juillet 1940

 

Près de 7.000 personnes sont aujourd'hui licenciées de l'arsenal, de la pyrotechnie de Saint-Nicolas et de la poudrerie du Moulin-Blanc.

 

Dès le 3 juillet, toutes les femmes et manœuvres :

Mobilisés, requis et engagés civils, embauchés pour la durée de la guerre, soit près de 2.500 femmes et 1.500 hommes pour la pyrotechnie de Saint-Nicolas seulement ont été « remerciés ».

 

Tout le personnel temporaire des constructions et de l'artillerie navales, soit environ 3.000 personnes, quittent l'arsenal, à compter d'aujourd'hui 14 juillet, avec une indemnité de licenciement égale au produit de 48 heures de travail.

 

Il ne reste donc que les ouvriers dits « permanents », ex-ouvriers matriculés, et les auxiliaires qui peuvent, ainsi que la direction des constructions navales le signalait hier, obtenir un congé sans solde, en attendant qu'une décision soit prise à leur égard.

 

Parmi ces licenciés, beaucoup, avant leur entrée à l'arsenal, étaient ouvriers agricoles.

Plusieurs, pères de familles nombreuses, embauchés depuis 1936, étaient propriétaires ou fermiers d'exploitations importantes.

 

Bien que la terre manquât de bras, selon l'expression courante, on les en avait enlevés.

Ils y retournent, ne semblant regretter que les salaires et indemnités jusque-là perçues.

​

19 juillet 1940 - Retour à la ferme - 01.jpg

 

Nous avons visité quelques fermes.

Dans celle-ci, proche de Guipavas, nous avons rencontré un ex-manœuvre de la pyrotechnie de Saint-Nicolas, qui depuis quelques jours, a repris la direction d'une exploitation, admirablement tenue.

 

Dans la vaste cour, devant d'énormes et rectangulaires meules de foin fraîchement rentré, s'alignent de modernes instruments aratoires.

Tout un monde de poules, surveillé par un superbe coq, entourées de leurs poussins piailleurs, y picorent.

 

Dans la pénombre des étables, on entrevoit les taches blanches de douze grasses bêtes à cornes.

 

Des veaux récemment sevrés voisinent avec des cochons gras qui, jamais rassasiés, quémandent en grognant le barbotage qui cuit sur un feu de genêts dégageant une épaisse fumée.

 

Pendant que l'on garnit leur râtelier de fraîche luzerne mêlée à du trèfle odoriférant, cinq chevaux placides à la robe luisante, sont conduits à l'abreuvoir, montés par de jeunes enfants.

 

Tout le monde, ici, travaille : le père, la mère et les sept enfants

 

L'aîné a aujourd'hui 19 ans.

Depuis cinq ans, il a suppléé à l'absence du père.

La mère soigne les bêtes.

La fille aînée s'occupe de la basse-cour et de la cuisine.

En dehors des heures de classe, ses deux sœurs jumelles s’activent aux soins du ménage.

Les petits garçons mènent aux champs chevaux et bestiaux, dont Ils savent déjà se faire obéir.

 

— Je suis depuis une douzaine d'années, nous dit l'ex-manœuvre de la Pyro, locataire de cette ferme.

 

Il y a six ans, le propriétaire la mit en vente.

Craignant qu'elle ne fût vendue à un cultivateur qui n'aurait pas manqué de me mettre à la porte, mon bail terminé, pour l'exploiter lui-même, profitant du moment où l'on embauchait « à tour de bras », je me fis inscrire et fus admis comme manœuvre à la pyrotechnie.

 

La vente de la ferme eut lieu quelques jours après mon admission.

Le nouveau propriétaire me consentit un nouveau bail.

Il me fit même édifier ces nouveaux hangars pour abriter mes récoltes et installer cette pompe qui, par une canalisation souterraine alimente l’abreuvoir.

Bref, il apporta d’importantes et utiles améliorations à la ferme.

 

Mon emploi de manœuvre à la pyro me rapportait avec les allocations familiales pour mes quatre garçons et mes trois filles, 2.700 francs par mois.

Je n'ai quitté cet emploi qu'à regret, je l'avoue.

​

13 juillet 1940 - La coupe des foins aux environs de Brest.jpg

 

Quand on me l'octroya, mon fils ainé avait une quinzaine d'années.

Avec l'aide de quelques journaliers, que je réussissais à grand peine à me procurer quand le travail pressait, Jean se débrouillait en suivant mes conseils et en exécutant ponctuellement le travail que je lui taillais chaque matin pour la journée, avant de me rendre à bicyclette à Saint-Nicolas.

 

C'était le temps de la semaine de 40 heures.

En me levant tôt le matin et me couchant tard le soir, en profitant des deux jours de repos par semaine et des congés payés, je parvenais, toute la famille mettant la main à la pâte, à « étaler ».

 

Ma femme avait cessé la livraison du lait en ville qui prenait trop de temps, mais on venait du voisinage le chercher à la ferme.

 

Depuis le début de la guerre, l'augmentation à 10, puis à 12 heures de la durée du travail, augmentait mes difficultés, mais les enfants avaient grandi.

Mon fils a maintenant 19 ans.

On se tirait d'affaire.

 

Me voilà libre aujourd'hui.

Je vais reprendre le gouvernail, il y a de quoi faire.

La ferme a un peu plus de 15 hectares.

Treize seulement sont cultivables.

Les deux autres sont incultes.

Nous avons essayé d'y planter des sapins.

Ils n'ont pas réussi.

C'est une terre grasse, lourde comme de la glaise.

Il faudrait l'améliorer par un apport de sable et de terre légère.

Gros travail, impossible pour le moment avec les difficultés de transport.

 

Je m’occupe surtout d’élevage.

Cette jument que j'ai depuis une douzaine d'années m’a déjà donné six poulains et cela ne l’empêche pas de travailler courageusement aux labours.

 

Malheureusement, depuis deux mois, le prix des poulains a considérablement baissé.

Au mois de mai dernier, un poulain de 4 mois trouvait facilement acquéreur à 4 ou 4.500 francs.

L'autre jour à la foire de Saint-Renan, on les vendait difficilement 1.000 à 1.500 francs.

 

Il en est de même des veaux.

Il y a huit jours, samedi 6 juillet, le prix de la livre sur pied est descendu à deux francs.

On m’a dit qu’il était remonté à Guipavas à 3 francs et 3 fr.50.

— Tiens, malgré cette baisse de prix, mon boucher n’a pas diminué le prix de l’escalope.

— Nous serons toujours les victimes des revendeurs, conclut le fermier.

Le producteur qui travaille le plus et dont les frais augmentent, a toujours la plus petite part des bénéfices.

 

Mais cela est une autre histoire.

​

12 juillet 1940 - Jardinage 01.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 15  juillet 1940

 

Les chemins qui conduisent au petit village de Kerdaniou en Guipavas, sont bordés du matériel considérable abandonné par les Anglais.

 

Kerdaniou est un village paisible, composé de quelques fermes.

Nous trouvons dans l'une, occupés à sarcler des betteraves, deux jeunes ouvriers qui veulent bien nous confier leurs impressions sur le nouveau métier qu'ils exercent.

 

— Nous sommes tous deux pères de famille ;

nous étions employés depuis plus de cinq ans à la pyrotechnie de Saint-Nicolas.

Depuis la guerre, nous avions été promus chefs d'équipe.

Notre salaire horaire était de 8 fr. 70.

 

On ne pensait guère à faire d'économies.

Nous espérions avoir, à la pyro, jusqu'à notre retraite, du travail assuré.

Subitement, nous nous sommes trouvés, sur le pavé.

Il fallait donner du pain à nos femmes, à nos enfants.

Nous avons cherché du travail : dans les industries, dans le bâtiment, rien à faire.

Alors nous nous sommes embauchés ici.

Nous connaissions un peu le travail, ayant été élevés à la campagne et nous nous tirons d'affaire.

 

Nous gagnons 10 francs par jour, mais nous sommes bien nourris :

Le matin, petit déjeuner ;

à 9 heures casse-croûte ;

à midi, dîner ;

à 16 heures, goûter et le soir, souper avant de rentrer chez nous à Kerhuon ;

80 minutes à bicyclette.

 

C'est un changement de vie, mais il faut s'y accoutumer.

Les beaux jours sont passés.

 

Courageusement les deux hommes reprennent leur tâche.

 

Dans une ferme voisine, c'est un ouvrier temporaire de l'arsenal, licencié, qui a été embauché comme ouvrier agricole.

 

— J'étais aide-monteur à l'arsenal, dit-il.

J'avais l'habitude de travailler accroupi dans les étroits compartiments des sous-marins.

Pour moi, la terre ne semble pas trop basse et mes reins supportent très bien la position courbée que j'occupe toute la journée.

Ici, au moins, on respire le bon air et je me porte déjà mieux qu'à l'arsenal.

On gagne moins, c'est certain, mais si le coût de la vie diminue, peut-être pourra-t-on se débrouiller.

​

16 juillet 1940 - Retour à la ferme - 01.jpg

 

Plus loin, c'est un cultivateur, déjà âgé, père de quatre enfants, qui d'une fourche habile, extrait du foin de la base d'une meule.

 

— Mon fils, dit-il, était entré à l'arsenal comme dessinateur sur les conseils d'un parent, agent technique.

Je ne sais encore si on le gardera ou s’il sera, comme tant de ses camarades, licencié.

Cette dernière solution ne m'effraie pas trop.

Je me félicite d'avoir su inculquer à mon fils l'amour de la terre.

Il m'aidait, d'ailleurs, en dehors de ses heures de travail à l'arsenal et saurait me remplacer au besoin.

Il a du goût et de l'initiative et il aura de quoi s'occuper ici.

Nous avons 13 hectares de terre, 12 vaches et 3 chevaux.

Seulement, j'ai quatre enfants.

Je travaille durement depuis 25 ans.

Dans la culture, pas de vacances, ni de repos hebdomadaire.

Les bêtes ne connaissent pas le dimanche, il faut les soigner et leur donner à manger ce jour-là comme les autres.

 

Le soleil règle la durée de la journée de travail.

Il ne faut pas ici remettre au lendemain ce que le temps vous permet de faire le jour même.

Il ne faut pas non plus avoir peur de ses peines.

On se repose rarement.

 

Mon ambition était d'établir mes quatre enfants.

Mais pour débuter aujourd'hui dans une petite ferme il faut disposer de 80.000 francs au moins pour se procurer instruments indispensables, et les animaux nécessaires.

Pourrai-Je y parvenir maintenant ?

 

J'ai deux jeunes enfants qui sont encore à l'école.

Ma fille aînée me seconde de son mieux.

C'est elle qui se rend chaque jour à la ville pour livrer le lait de mes vaches, une centaine de litres par jour.

 

On ne fait pas fortune, mais on vit convenablement.

Si l'on n'a pas les plaisirs de la ville, on a d'autres satisfactions et, tout compte fait.

Je ne déplorerai pas trop le renvoi de mon fils de l'arsenal.

Il fera comme son père un cultivateur et ne s'en trouvera peut-être pas plus mal.

 

De cette rapide enquête, on peut conclure que tous ceux qui furent élevés à la campagne ont repris avec courage leur premier métier.

 

D'autres, parmi les licenciés, vont bientôt avoir droit à leur retraite.

Certains, retraités déjà, occupaient des emplois qui peuvent, sans inconvénient être supprimés.

Il reste à souhaiter qu'une nouvelle activité reprenne le plus tôt possible à l'arsenal pour permettre d'occuper un certain nombre d'ouvriers.

C'est le but recherché par les autorités municipales et de la Marine.

Elles espèrent parvenir sous peu à un résultat aussi satisfaisant que possible.

​

14 juillet 1940 - Retour à la ferme 01.jpg
bottom of page