1894
L'admission des apprentis au port
Source : La Dépêche de Brest 11 mars 1894
À sa dernière séance, le conseil municipal de Lambézellec a été saisi d'un rapport de M. E. Plouguerné sur l'admission des apprentis au port de Brest.
Après avoir fait ressortir que cette admission a diminué de 50 % depuis 1889, le rapporteur a dit :
« Il n'y aurait rien à ajouter comme commentaires à l'éloquence brutale des chiffres qui précèdent.
Toutefois, il nous faut exposer ici quelques réflexions sur les tristes conséquences d'une si grande réduction ; nous les diviserons en trois points :
« 1° Brest et ses environs, tout le monde le sait, sont absolument dépourvus d'usines, manufactures, grands chantiers de construction, etc., où les pères de famille peuvent, à défaut de l'arsenal, soumettre leurs enfants à un apprentissage professionnel quelconque.
Dans ces conditions, on voit, a priori, l'embarras qu'éprouvent les familles à faire une position ouvrière aux jeunes gens.
Ensuite, il est bon de faire remarquer que le recrutement des apprentis portant sur un plus grand nombre, nous voyons tout de suite apparaître les bienfaits de cette mesure sur les orphelins, fils aînés de veuves, les aînés également des ouvriers qui ont de nombreux enfants.
Combien d'aînés d'orphelins et de veuves ne voit-on pas devenir les principaux soutiens de la maison dès qu'ils passent ouvriers (17 ans environ) à deux francs par jour ?
Et, dans les familles où il y a de nombreux enfants, ne savons-nous pas aussi avec quelle impatience on attend l'heure à laquelle l'apprenti passera ouvrier, heure bénie qui apporte une si grande ressource à la mère de famille pour donner un peu de bien-être-à ses plus jeunes enfants ?
Et cependant, ne pourrait-on pas dire que la marine doit, en quelque sorte, aux enfants des serviteurs de l'arsenal, la plus grande part, sinon tout, dans le recrutement du personnel ouvrier ?
Si nous regardons autour de nous, ne voyons-nous pas, chez les quelques industriels qui nous entourent, donner la préférence aux enfants des bons ouvriers qui ont travaillé à leur compte ?
Ne voit-on pas aussi chez nos cultivateurs, et peut-être la surtout, conserver un bon souvenir des vieux serviteurs et voire même reporter sur leurs enfants tout l'intérêt possible ?
À quoi cela tient-il, messieurs ?
La réponse est facile :
Cela tient à ce que les actes des industriels de souche et de nos braves cultivateurs sont toujours inspirés par un vif sentiment de sympathie dictée par le cœur.
Là on conserve, on pourrait le dire, le culte des services rendus par les anciens serviteurs ;
« 2° Par le fait de cette réduction, il en résultera forcément par la suite une diminution dans le chiffre de la population, car les jeunes gens qui auraient pu être employés dans l'arsenal se verront dans la nécessité de quitter la contrée pour trouver du travail, d'où encore une moins-grande activité pour le commerce local ;
3° Nous ne nous avancerons pas trop en disant qu'il y a aussi un intérêt pour la marine à revenir aux anciens chiffres des apprentis admis chaque année, ne serait-ce que pour s'assurer, tout d'abord, un plus grand attachement de la part du personnel ouvrier, et ensuite, dans les ressources que fournirait l'arsenal, pour le recrutement si grand de nos jours des mécaniciens de la flotte, ressource, selon nous, d'autant plus précieuse que jeunes ouvriers des arsenaux maritimes, surtout ceux des constructions navales, sont souvent, par le fait de leur emploi déjà un peu initiés au dédale que présente notre nouvelle flotte avec ses nombreuses machines. »
Comme conclusions, le rapporteur a proposé de désigner un des membres au conseil pour s'entendre avec les municipalités de Brest et des communes suburbaines, dans le but d'obtenir de ces municipalités un vœu ayant pour objet de solliciter de la bienveillance du ministre de la marine le retour à l'ancien chiffre des apprentis admis annuellement aux constructions navales.
Copie de cette délibération a été transmise au préfet maritime et aux communes intéressées.