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1896

Accident à la dynamite
au bassin Tourville


 

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Source : La Dépêche de Brest 20 janvier 1896

 

Un grave accident s'est produit hier matin, dans le port de guerre.

Trois ouvriers de l'entreprise Jourde ont été grièvement blessés par l'explosion d'une cartouche de dynamite.

Voici dans quelles circonstances cet accident s'est produit.

 

Depuis quelque temps, on procède, dans l'arsenal, à l'allongement du bassin n°1, dit de Brest, près de la grille Tourville, afin de lui permettre de recevoir des croiseurs du type Dupuy de Lôme.

Ces travaux, confiés à MM. Jourde, entrepreneurs, présentent, en raison de la nature du sol, certaines difficultés qui nécessitent l'emploi de la dynamite.

Or, par ces temps froids, la dynamite étant congelée, on la dégèle généralement en plongeant les cartouches dans un récipient contenant de l'eau chaude.

 

L'explosion

 

C'est le procédé qu'employait, au bassin Tourville, l'ouvrier mineur Le Meur, chargé de la manutention du dangereux explosif.

Hier matin encore, vers 8 h. 1/2, en vue des tirs qui ont lieu habituellement vers neuf heures, Le Meur dégelait ses cartouches dans un pot en fer-blanc.

L'eau s'étant refroidie, il retira les cartouches et alla faire réchauffer son eau à la forge de l'entreprise, installée sur le quai et près de laquelle travaillaient l'ouvrier forgeron Mingant et son aide Renarvot.

 

C'est à ce moment que l'accident s'est produit.

Le Meur ayant prié Mingant de réchauffer l'eau du pot qu'il tenait à la main avec un morceau de fer rouge, le forgeron le fit.

Au même moment, une détonation se faisait entendre et les trois hommes roulaient sur le sol, les membres inférieurs déchirés par des éclats de fer.

 

Une cartouche de dynamite restée par mégarde au fond du récipient avait fait explosion, projetant dans toutes les directions des fragments de métal et de bois.

 

Les autres ouvriers de l'entreprise accoururent aussitôt.

Le Meur, Mingam et Renarvot gisaient sur le sol.

Leurs vêtements étaient lacérés et le sang coulait abondamment de leurs blessures.

 

Les premiers soins leur ont été donnés par les docteurs Kayser et Sarrat qui passaient à ce moment.

Ils ont été ensuite placés sur des cadres et transportés à l'hôpital maritime, où ils ont été admis d'urgence.

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Les blessés

 

Renarvot (Yves), 21 ans, célibataire, demeurant à Kerjean-Izella, a été placé à la salle 5, où il occupe le lit n° 41.

Le docteur Comme, médecin en chef, dans le service duquel il est placé, s'est rendu aussitôt à son chevet où, après l'avoir minutieusement examiné, il lui a fait un premier pansement.

Renvarvot est le plus grièvement atteint.

Ses blessures consistent en de nombreuses plaies des membres inférieurs.

Il a notamment la jambe gauche atteinte à proximité des parties sexuelles, il a, en outre, plusieurs veines coupées.

Le docteur Comme n'a pu encore se prononcer sur la gravité de ses blessures.

 

Le Meur (Laurent), 38 ans, demeurant Marché Pouliquen, 14, a été placé dans la salle 7, lit 13.

Il est marié, sans enfant.

Comme pour le précédent, dès son arrivée il a été pansé par le docteur Pungier, médecin résident, qui, en visitant ses multiples blessures, y a extrait de nombreux fragments de bois et de tôle.

Il a les deux jambes atteintes au-dessous des genoux.

 

Mingant (Yves), 45 ans, est marié et père de quatre enfants.

Sa famille habite Lambézellec.

Il a été placé à la salle 9, où il occupe le lit 45 dans le service du docteur Piton, médecin de 1ère classe.

Mingant a la jambe gauche fracturée et de nombreuses plaies aux deux jambes.

 

Dans la matinée, M. Brassac, directeur du service de santé, s'est rendu auprès des trois blessés qu'il a interrogés et consolés par quelques bienveillantes paroles.

Les entrepreneurs, MM. Jourde et leur contremaître, se sont également rendus près des blessés.

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L'enquête

 

Pendant qu'à l'hôpital maritime on prodiguait les soins les plus empressés aux blessés, M. Fustier, surveillant général de l'arsenal, et l'agent des travaux, hydrauliques chargé de la surveillance des travaux, se rendaient sur les lieux et procédaient, chacun de leur côté, à une enquête sur les causes de l'accident, causes que nous avons indiquées sommairement plus haut et sur lesquelles il est bon de revenir.

 

Le Meur était très au courant de la manipulation de la dynamite, manipulation dont il connaissait le danger.

Il était, dit-on, très prudent.

Hier matin, avant de se rendre à la forge pour réchauffer l'eau dans laquelle il avait mis ses cartouches à dégeler, il s'assura — il l'affirme énergiquement — qu'aucune d'elles n'était restée dans le pot.

Comment le contraire s'est-il produit ?

On l'ignore naturellement, mais aucun doute ne peut subsister sur la cause de l'accident, qui paraît surtout dû à un malheureux concours de circonstances.

 

M. Fustier, qui continuera son enquête ce matin, dressera dans l'après-midi son procès-verbal qu'il adressera à l'autorité maritime ;

celle-ci en saisira aussitôt le parquet.

 

Dans l'après-midi, les familles des blessés, prévenues de l'accident, se sont rendues à l'hôpital de la marine, où le garde-consigne de service à la porte avait reçu l'ordre de les laisser pénétrer sans autorisation.

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Source : La Dépêche de Brest 21 janvier 1896

 

L’accident du bassin Tourville

 

M. Fustier a clos hier matin son procès-verbal de l'accident du bassin Tourville.

Il l'a aussitôt transmis à M. Maupin, commissaire rapporteur près le 1er tribunal maritime, qui en a adressé une expédition à M. Frétaud, procureur de la République.

 

Le pot en fer blanc dont se servait le chef mineur Le Meur, pour dégeler ses cartouches, était cylindrique et mesurait 30 centimètres de hauteur et 15 centimètres de diamètre.

Il a été naturellement mis en miettes par l'explosion de la cartouche.

Quelques-uns des fragments, que nous avons pu voir encore hier sur le lieu de l'accident, mesurent de un à trois centimètres environ et sont complètement tordus.

Un seau, qui se trouvait près de la forge, a eu l'une de ses anses enlevée.

Ce sont ces fragments de fer blanc et le bois que le docteur Pungier a trouvés dans les multiples blessures de Le Meur.

 

La cartouche qui a produit l'explosion mesurait, comme toutes celles dont se sert l'entreprise Jourde pour ce genre de travail, dix centimètres de longueur et 28 millimètres de diamètre.

Sa charge était de cinquante grammes et non de cent, comme on l'avait dit tout d'abord.

 

La cabane recouverte en tuiles dans laquelle s'est produite cette explosion, pas plus que la forge portative qu'elle abritait n'ont subi, de dégâts.

Ordre a été donné à l'entreprise de la maintenir fermée jusqu'à nouvel ordre et dans l'état où elle se trouvait après l'accident.

Cette cabane est adossée au mur d'enceinte du port.

 

Les blessés, dont l'état est aussi satisfaisant que possible, out reçu hier matin la visite de leur contremaître, M. Broustail, qui s'est entretenu assez longuement avec eux.

 

L'amiral Barrera s'est rendu également, dans l'après-midi, à l'hôpital maritime.

Reçu par MM. Brassac et Friocourt, directeur et sous-directeur du service de santé, l'amiral s'est rendu au chevet des blessés.

 

Renarvot qui, ainsi que nous l'avons dit hier, a des plaies multiples aux membres inférieurs, notamment à la cuisse gauche, a, en outre, à l'abdomen une plaie qui le fait beaucoup souffrir et qui n'est pas sans inspirer quelque inquiétude.

Renarvot, toute la nuit d'avant-hier à hier, n'a pu reposer, bien que la quantité de sang qu'il a perdue l'eût beaucoup affaibli.

Il avait aussi une fièvre assez forte.

Hier, son état semblait s'être un peu amélioré et la fièvre avait diminué.

 

Mingant a le tibia gauche fracturé et des plaies multiples aux jambes.

Le Meur a également des plaies multiples aux jambes.

Leur état n'inspire, d'ailleurs, aucune inquiétude.

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Dupuy de Lôme au bassin Tourville

 

Source : La Dépêche de Brest 22 janvier 1896

 

L'explosion du bassin Tourville.

 

Sur les indications qui lui ont été fournies par MM. Louis et Charles Jourde, entrepreneurs, et les certificats de blessures qui lui ont été délivrés par M. le docteur Pungier, médecin résident de l'hôpital maritime, M. Picq, commissaire de police du 2e arrondissement, a dressé hier le procès-verbal de déclaration d'accident prescrit par l'article 15 de la loi du 2 novembre 1892.

Une expédition de ce procès-verbal sera adressée à l'ingénieur des mines Rennes et l'autre au maire de Brest.

 

Les certificats de blessures délivrés par le docteur Pungier portent :

En ce qui concerne Renarvot :

1° plaies profondes de la partie supérieure et interne de la cuisse,

2° plaies de l'abdomen ;

à moins de complications ou d'urgence qui ne sont pas à prévoir, ces diverses lésions entraîneront une incapacité de travail indéterminée, mais qui sera sans doute de longue durée.

En ce qui concerne Mingant :

Fracture compliquée du tibia, et en ce qui concerne Le Meur :

Plaies contuses des deux jambes.

Le temps probable de l'incapacité de travail a été évalué à deux mois pour Mingant et à un mois pour Le Meur.

 

Une amélioration s'est produite dans l'état de Renarvot.

 

Selon toutes probabilités, le parquet ne donnera aucune suite à l'affaire.

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Source : La Dépêche de Brest 29 janvier 1896

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Source : La Dépêche de Brest 14 février 1896

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