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1922

Landerneau, un port abandonné
par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest 2 mars 1922

 

Déchéance ?

 

Pauvre vieille ville.

Elle était jadis si pleine d'activité ! 

Chacun peut aujourd’hui constater sa somnolence.

 

Les portes de ses maisons, dont le granit présente en exergue la preuve de l'antiquité, s’ouvrent, comme autrefois, sur des rues étroites, tortueuses mais combien calmes !

 

Devant le pont, orné, en guise de parapets, comme aux premiers âges, de maisonnettes de tous genres, le port s'envase lentement.

 

Une à une, de vieilles coques de torpilleurs, de sous-marins sont venues, là, s'échouer et se rouillent en attendant d'être dépecées.

Mais les démolisseurs eux-mêmes semblent avoir disparu.

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Sous-marin UC15 à Landerneau

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Depuis 1700 ans !

 

Que d'événements dans l'antique cité, depuis 1.700 ans !

Elle grandissait alors et les relations commerciales, que bientôt elle entreprenait de nouer avec Bordeaux, Bayonne puis l'Espagne, lui permettaient de prendre une importance assez considérable.

 

Devenue riche, elle excita les convoitises et fut l'objet de sanglantes batailles, entre Charles de Blois et Jean de Montfort.

En 1373, après la bataille d'Auray, Duguesclin y établissait une garnison française.

Deux ans plus tard, le duc revenait avec une armée anglaise qui exterminait cette garnison.

 

En 1400, le mouvement maritime du port s'était accru à ce point que la perception du droit d'ancrage et de bris sur les navires amenait des contestations entre le duc de Bretagne et le seigneur de Landerneau.

Durant cinquante ans, chacun soutint ses prétentions, puis l'affaire se termina par une transaction attribuant à chacun la moitié des produits de ce droit.

 

C'est vers le début du XVIe siècle que Jacques de Rohan fit construire le pont et le moulin.

Mais Landerneau, comme les autres villes de quelque importance, qu'une trop grande distante ne séparait pas du repaire de Fontenelle, l'île Tristan, fut pillée par le fameux brigand, en 1592.

 

Un vieux port

 

Cela n'entrava guère le développement maritime de la cité.

C'est ainsi qu'au XVIIe siècle on effectuait, dans le port, des travaux importants tels que les quais. Puis, durant les siècles suivants, l'œuvre fut poursuivie.

 

Au commencement du XIXe, la rive gauche était bordée des quais qui existent encore ; ceux de la rive droite se prolongeaient à quelque distance du Champ-de-Bataille.

En 1817, on établissait une grande cale devant servir pour la construction et la réparation des navires.

 

Cependant, en raison des sinuosités de la rivière, la navigation devenait de plus en plus difficile.

Pour faire disparaître les obstacles, on résolut de creuser un chenal rectiligne.

Dès 1720 un projet avait été établi dans ce sens, mais les travaux ne furent commencés qu'un siècle plus tard.

 

On se heurta à de nombreuses difficultés qui déterminèrent même, à diverses époques, l'arrêt de ces travaux.

En 1843 des éboulements se produisirent sur la rive droite, sur presque toute la longueur.

Mais on se remit, cette fois, immédiatement à l'ouvrage et le projet devenait bientôt une réalité.

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D'anciennes industries

 

Grâce à ces importantes améliorations, le port prenait une extension d'autant plus grande que les besoins des industries du voisinage se faisaient mieux sentir.

C'est qu'alors, Landerneau était une ville industrielle, en effet.

 

À Traon-Élorn existait un vaste établissement affecté à la filature et à la fabrication des toiles en fil de lin et de jute.

On comptait encore une grande fabrique de bougies, une tannerie, d’importantes et nombreuses minoteries.

 

Un vapeur à roues assurait, un service régulier avec Brest et animait davantage l'Elorn où les navires venaient, en ce temps, relâcher et hiverner.

 

Tel était le développement de Landerneau qu'au moment de la constitution des départements cette ville put prétendre devenir le chef-lieu du Finistère et elle faillit l'être en dépit des efforts de Brest et de Quimper.

 

L'accès du port

 

L'accès du port, au fond de l'estuaire de l'Élorn est rendu possible aux caboteurs par le courant qui se fait sentir jusqu'au goulet, vers quoi les alluvions sont entraînées.

En effet, le flot porte du Portzic au Corbeau puis, suivant la côte sud, emplit le chenal à une vitesse qui atteint deux nœuds et demi à grande marée.

Au jusant, le courant, suivant la direction inverse, porte son maximum de vitesse à trois nœuds, à la pointe Sainte-Barbe, puis diminue d'intensité.

 

Durant la sécheresse, quelques envasements se produisent dont les crues de l'hiver ont cependant raison grâce à l'installation de guideaux.

Quant aux dépôts vaseux se formant dans les rentrants des cales et des quais, on procédait, il y a quelques années, à leur enlèvement au moyen de râteaux en fer.

 

Mais la plupart des industries qui causaient l'activité du port ont disparu.

Du coup, les travaux d'entretien dont la nécessité n'apparaissait plus avec la même urgence, étaient quelque peu négligés.

 

Désagrégation

 

Durant les pleines mers qui montent parfois de 0 m. 30 de plus qu'à Brest, l'eau, submergeant le terre-plein, attaque en arrière la paroi du quai qui a déjà éprouvé jadis des mouvements considérables et dont la stabilité gravement, compromise alors, ne fut retrouvée qu’à grand-peine.

 

Avant la guerre, des projets de réfection avaient été établis ;

mais la gravité des événements ne permit pas de les mettre à exécution.

Et le mal s'accrut.

 

Au cours de l'année dernière, qui fut d’une sécheresse exceptionnelle, l'envasement prit des proportions telles que le courant ne suffit plus à rétablir l'équilibre.

Pour comble, le personnel chargé de l'entretien a été réduit et lorsqu’on voulut manœuvrer le guideau, il y a mois, l'appareil, trop vieux, se rompit.

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Envasement

 

Entre ces quais affaissés, sur ces fonds exhaussés, de graves accidents viennent de se produire.

Dans les derniers jours de décembre, c'était l'ancien contre-torpilleur Gabion que le glissement du fond vaseux sur lequel il reposait entraînait en travers du port.

 

Le 8 janvier, l'équipage du sloop Louise-Anaïse, de l'Hôpital-Camfrout, chargé de 530 sacs de guano, constatait avec inquiétude que le navire au lieu de s'élever avec la marée montante demeurait prisonnier du lit de vase qu’il s'était fait à l'échouage.

 

L'équipage, sentant le danger d’une pareille situation, entreprenait le déchargement du guano, aidé en cela par de nombreuses personnes.

Mais en dépit de l'activité déployée on ne put faire passer sur le quai qu’une maigre partie de la cargaison.

 

Cette manœuvre ne fut suivie d’aucun effet et, le sloop, ne parvenant pas à se dégager malgré les efforts des sauveteurs, fut bientôt empli par la marée puis submergé.

Les pertes subies de ce fait étaient importantes.

 

Déjà quelques jours auparavant un autre fait du même genre avait failli se produire.

Aussi, ce n'est pas sans appréhensions que les capitaines de navires s'approchent de ces quais au pied desquels la vase s'est accumulée par endroits sur 1 m. 50 d'épaisseur. ,

 

Et quelle sera la situation, se demande-t-on avec inquiétude, lorsque, dans quelque temps, la sécheresse se fera de nouveau sentir ;

lorsque les eaux de l'Élorn seront en partie captées en aval, pour alimenter Brest ?

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Heureuse intervention

 

M. le docteur Gayet, au cours d'une récente séance, signalait à la Chambre de commerce ce regrettable état de choses et, en un rapport détaillé, indiquait les mesures qu'il convenait de prendre pour y remédier.

 

C'est ainsi qu'en ce qui concerne les murs de quai, il estimait, qu'un rejointoiement serait insuffisant, car il fallait empêcher la pénétration de l'eau en arrière, de la paroi.

Pour cela, une seule solution pratique :

Surélever les terre-pleins pour les mettra au niveau de la chaussée.

 

D'autre part, il est indispensable d'avoir le personnel suffisant pour effectuer les travaux d'entretien en temps normal : c'est-à-dire le désenvasement au long des quais à l'aide de râteaux et la manœuvre assez fréquente du guideau.

 

En outre, les accès du port sont rendus d'autant plus difficiles que la rivière l'Élorn n'est même plus balisée.

 

La Chambre de Commerce de Brest, s'empressait de saisir de la question l'administration des ponts et chaussées.

 

Cette situation, lui a-t-il été répondu, résulte de la sécheresse absolument exceptionnelle de l'an dernier et se reproduit malheureusement en beaucoup d'autres endroits.

Mais les premières pluies viennent de permettre de reprendre les travaux de dégagement et d'entretien dont les résultats ne manqueront pas de se faire sentir assez rapidement.

 

Le balisage de l'Elorn va être vérifié.

 

En ce qui concerne les murs de quai, des mesures seront prises incessamment.

 

Et, grâce à cette heureuse intervention, le port de Landerneau sera, nous le souhaitons, bientôt dégagé de ce linceul de limon qui menaçait de l'étouffer.

Ainsi que jadis, l'Élorn, avec la régularité d'une artère au jusant et d'une veine au flot portera, comme au cœur le sang qui donne vie, des éléments d'une activité nouvelle au centre même du pays de la Lune.

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La Dépêche de Brest 21 mai 1922

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La Dépêche de Brest 1 novembre 1887

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