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1929

Autour de l'anse de Camaret
par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest 25 mars 1929

 

Le jusant de vive eau a tôt fait d'assécher le port.

La vasière est apparue bordée, au pied des quais, de débris et d'ordures.

 

Solidement béquillés, les bateaux s'y sont posés tout droits.

Leur nombre impressionne.

Pour trouver place sur ce fond malodorant, il leur a fallu, délaissant l'habituelle fantaisie, observer un strict alignement.

 

Les équipages s'affairent autour d'eux.

On gratte, on peint, on vérifie quelque joint ; l'heure est aux derniers préparatifs.

La pêche à la langouste est commencée.

Déjà les patrons Martin et Vigouroux ont fait un voyage au Portugal.

Ils étaient partis les derniers jours de décembre et sont revenus avec 1.300 kilos de crustacés chacun.

 

D'autres, bien d'autres ont suivi.

Ceux-ci, les derniers, ont apprêté leurs casiers cylindriques qu'ils vont embarquer :

110 dans les dundees, 70 ou 80 dans les cotres.

 

Au pied du quai, leurs camarades, par groupes, éventrent et vident des grondins sortis des caisses à glace que les chalutiers lorientais leur expédient.

C'est l'appât préféré des langoustiers,

 

Comme les pêcheurs excellent à différencier leurs méthodes, l'un d'eux, planté près de nous, ricane :

— Ils perdent leur temps.

Il ne faut pas les vider ces poissons-là, il faut les saler ainsi ; la langouste en est plus friande...

Mais ils sont trop têtus pour l'admettre.

 

Un haussement d'épaules, un jet de salive qu'un revers de main empressé paraît limiter au départ, deux sabots qui traînent leurs clous sur les paves du quai :

L’homme s'en va vers d'autres groupes offrir le concours de ses connaissances.

 

Pour ce dundee, le départ est imminent car on y embarque les vivres.

On est plein d'espoir à bord, où l'on évoque le souvenir de la campagne dernière.

La pêche avait été bonne en général, mais particulièrement sur nos côtes.

Comme devant l'Angleterre et le Portugal les résultats obtenus étaient moins fructueux, presque tous les bateaux demeurèrent aux abords de Sein et dans l'Iroise.

Avantage considérable du fait de la réduction du parcours et des frais, et de la possibilité de renouveler plus rapidement et plus souvent la boette.

 

La mer monte, le navire se soulève, flotte, on va hisser les voiles.

— Au revoir ! Bon voyage !

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Le flot a tout empli.

De petites vagues déferlent jusque, sous les vieilles coques qui, échouées dans le fond de l'anse, sont destinées aux coups des démolisseurs.

 

Camaret s'offrant ainsi est digne de toutes les attentions.

Encore sa belle flottille n'est-elle pas au complet !

Demain, après-demain elle sera sans doute, pour la morte-eau, entièrement dispersée sur l'Océan.

 

Mais toute activité n'aura pas pour cela disparu.

Voici au bout du quai, vers Lagatjar, un cotre en achèvement tout près d'un autre qu'on va lancer.

Derrière ces maisons, dans ces cours, on construit encore.

À la base du sillon de Rocamadour, la fine poupe d'un navire tout neuf domine la toiture d'un hangar voisin.

 

Plus haut, en bordure de la falaise, tandis qu'à la scierie on débite des troncs d'arbres, à côté on assemble et recouvre les membrures d'une série do canots,

 

Sur le sillon que la marée haute a singulièrement étriqué, les chantiers se succèdent sans interruption.

Tout près du flot d'autres quilles, d'autres étraves sont dressées sur des charpentes, d'autres coques se dessinent, se complètent, soulignent la grâce de leurs formes, de tout l'éclat de leurs bois fraîchement coupés qu'avive le soleil resplendissant.

 

Il en est ainsi jusque près de l'abri du canot de sauvetage, sous la muraille, de la tour Vauban et devant l'antique chapelle de Rocamadour.

Les constructeurs sont aujourd'hui partout.

La place leur fait défaut.

Quelques-uns d'entre eux ont dû émigrer.

 

Trois se sont installés sur un autre sillon, celui du Fret où, vers la fin de la guerre, on eut la surprise de voir construire une série de pontons en ciment armé qui ne furent jamais utilisés.

Ils font là les mêmes cotres qu'à Camaret et surtout des plaisanciers de cinq ou six mètres.

 

À Rocamadour, on lança des bateaux de 80 tonnes !

Cela sera-t-il pour longtemps encore un maximum ?

Les méthodes de pêche se modifieront sans doute comme elles l'ont fait par le passé, entraînant la transformation des constructions.

 

Il y a cinquante ans à peine la pêche à la sardine était la principale ressource.

On ne se servait alors que de barques de proportions réduites dont bon nombre étaient construites sur le littoral de Plougastel-Daoulas.

 

Vers 1878, on lançait, à Camaret, les premiers bateaux viviers.

Bien différents de ceux d'à présent, ils étaient destinés aux mareyeurs qui, au début, de l'année, se rendaient au Portugal, puis en Espagne, pour prendre livraison de langoustes.

 

Un patron pêcheur, M. Douguet, ancien maire, entreprit un jour d'aller lui-même pêcher la langouste au large des côtes anglaises.

Il obtint de si bons résultats que son exemple fut suivi.

 

On se fit langoustier à Camaret et il devint bientôt courant d'aller poser ses casiers jusque devant l'Irlande, l'Espagne et le Portugal.

 

Aussi, tandis qu'en 1876 le port comptait 175 bateaux sardiniers montés par 540 marins,

il ne comptait plus en 1912 que 38 sardiniers avec 200 hommes d'équipage et, aujourd'hui, qu'une dizaine montés par des « demi-soldiers ».

 

L'importance des voyages qu'il fallait désormais entreprendre nécessitait l'emploi de véritables petits navires.

On créa des modèles adéquats que l'on s'efforça d'améliorer sans cesse.

Et on y parvint, à en juger par la juste renommée de la construction camarétoise.

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Voici précisément un constructeur qui participa très activement à cette transformation.

 

M. Keraudren suit l'achèvement d'un langoustier.

Sous les lianes rebondis, il examine les fentes qui, de distance en distance, traversent la coque aux joints des bordés pour permettre l'entrée et le renouvellement de l'eau dans le vivier.

 

Le petit navire est tout vibrant de l'activité que l'on déploie dans ses flancs.

Des ouvriers, accroupis sous le pont, assurent l'étanchéité des cloisons intérieures.

Et gaiement ils chantent au rythme de leurs coups de marteau.

 

Ils étaient traditionalistes, les calfats d'autrefois et se transmettaient un répertoire inépuisable ;

mais ceux-ci n'en ont cure et manifestent leur préférence pour les airs à la mode.

 

— Que voulez-vous ? Tout change.

N'ai- je pas dû moi-même transformer mes méthodes de travail ?

Je ne dois pas le regretter puisque, le faisant, j'y apportais diverses innovations dont mes nombreux élèves, établis à présent sur toute la côte, ont pu constater les avantages et tirer parti.

 

— Pourriez-vous fixer le chiffre des bateaux sortis de vos chantiers ?

 

— Évidemment non, car j'en fais depuis 38 ans.

Mais je puis vous déclarer qu'à aucun moment je n'ai connu le chômage.

Mes confrères non plus.

Et comme nous sommes bien connus, nous recevons des commandes de tous côtés.

 

« Au cours des deux dernier mois, on a lancé à Camaret une vingtaine de cotres et de dundees variant de 25 à 45 tonneaux et des canots-annexes en telle quantité que je n'en pourrais fixer le nombre.

De plus, à Quélern, où je possède une succursale, je vais mettre à l'eau deux thoniers pour Étel. »

 

Sur ce sillon de Rocamadour la prospérité de l'industrie s'accuse et, parmi les bois nettement taillés, dressés en lignes élégantes, dans l'odeur des brais et des goudrons, les compagnons, qu'ils manient la scie, l'herminette ou le marteau, chantent leur satisfaction au flot voisin comme au soleil éblouissant.

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