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1937


Le chenil
du 2e Régiment d'infanterie Coloniale
à Brest

 

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Source : La Dépêche de Brest 6 août 1937

 

Les qualités naturelles du chien, cet ami de l'homme, son intelligence, sa fidélité, son dévouement, le développement de certains de ses sens :

Ouïe et odorat, sa puissance musculaire lui permettant d'accomplir une course prolongée devaient le faire utiliser dans l'armée.

 

Nous ne fûmes pas les premiers à nous servir, pour la guerre, de leur concours.

Mais, à la démobilisation, en 1919, près de 10.000 chiens furent rendus à la vie civils.

 

Les services qu'ils rendirent furent multiples.

On a surtout glorifié le chien sanitaire :

Le brave Saint-Bernard, allant sous la mitraille découvrir les blessés.

Il y en eut d'autres :

Le chien sentinelle, exercé au silence assurant la garde, la nuit, auprès des veilleurs, flairant et signalant l'approche de l'ennemi.

Le chien de patrouille, filant en avant et avertissant, par son attitude sereine ou inquiète, dans ses allées et venues continuelles, s'il était possible ou non d'avancer.

 

Le chien de transport, attelé à des mitrailleuses ou, dans les neiges des Vosges, à des traîneaux de vivres ou de munitions, par attelages de neuf :

Huit couplés et le plus docile en tête, et transportant parfois, au retour, des blessés.

 

De tous, ce fut peut-être le chien de transmission qui rendit le plus de services, en assurant l'échange de messages écrits entre deux points déterminés.

Ils furent des auxiliaires précieux, réalisant une économie d'hommes et un gain de temps dans des circonstances périlleuses.

 

Plus, d'un quart du nombre de ces chiens employés comme agents de liaison fut tué « glorieusement » — pourquoi pas ? — par obus ou par balles.

 

L'expérience de la guerre n'a pas été perdue.

Dans tous les régiments, des dresseurs éduquent des chiens, sous la direction de l'officier de transmission, leur font subir un entraînement méthodique et régulier et imposent à leurs habitudes une discipline qui fera d'eux d'excellents agents de transmission.

 

Le 2e régiment d'infanterie coloniale possède actuellement, après en avoir éliminé plusieurs pour inaptitude, quatre chiens qui, chaque jour, vont à l'exercice, comme les soldats qu'ils sont devenus, puisque, comme eux, le chien possède un livret matricule portant le numéro de son régiment, bataillon et compagnie, son nom et son numéro matricule, sa race, son âge, sa provenance (acheté, reçu en don ou élevé au corps) ;

la date du commencement de son dressage, le nom de son dresseur.

 

Des colonnes spéciales sont ouvertes pour inscrire les maladies du chien, la description du travail qu'il peut accomplir, les résultats obtenus.

Une dernière colonne est réservée aux « observations ».

 

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Le chenil du 2e R. I. C.

 

Ne disposant pas de crédits spéciaux pour l'achat des chiens, il a fallu au 2e R. I. C. trouver un moyen de s'en procurer gratis.

Chaque homme rapportant un jeune chien bien constitué bénéficie de huit jours de permission.

Ce moyen pratique a permis de posséder rapidement sept ou huit élèves pour lesquels il a fallu construire un chenil selon les règles stipulées par le « manuel de dressage et d'utilisation des chiens de transmission ».

 

Le chien étant très sensible aux courants d'air et à l'humidité, il faut, dit le manuel, le mettre au sec sous un hangar couvert et fermé, exposé au sud-est.

 

Ces conditions ont été réalisées en installant le chenil du 2e R. I. C. dans les dépendances qu'il possède au 60 de la rue de la Mairie, où se trouvent les ateliers du casernement réservés aux « sapeurs » ou ouvriers du régiment.

 

Ces immeubles furent acquis à la ville, à titre révocable, suivant délibération du « conseil municipal de la ville et communauté de Brest » en date du décembre 1785 (procès-verbal du 7 janvier 1786) pour y établir la caserne des pertuisaniers.

 

Les maisons appartenaient à M. Maingant, sénéchal de la principauté de Léon, à Landerneau, qui tenait ces biens de sa femme, fille de Mme veuve Humblot, née Gillette Franck, laquelle les avaient acquis de Mme Thérèse Caignon, veuve donataire du « noble homme Louis-Jacques Guillery, sieur de Marguerin, ancien écrivain principal de la marine » par contrats des 9 février et 7 mars 1752, dressés par Me Crenn, notaire.

 

Quand le roi les acquit, le 7 mai 1785, pour y installer les pertuisaniers — armés de l’esponton, sorte de hallebarde, munie d'un fer de glaive long de 50 centimètres emmanché à une hampe de 1 m. 50 — les bâtiments se composaient de la maison à deux étages et mansardes, portant encore le numéro 60, rue de la Mairie, et d'une autre maison d'un étage connue sous le nom d'ancienne clouterie, louée par la marine qui l'exhaussa d'un deuxième étage.

Une maisonnette prolongeant l'ancienne clouterie fut transformée en cuisine pour la nouvelle caserne.

 

Les deux corps de logis principaux, séparés par une cour, étaient bornés à l'est par la rue de la Mairie, à l'ouest par la rue Richer, au nord par l'ancienne rue du Bagne, devenue propriété de la marine, et au sud par des maisons particulières

 

La marine fut autorisée à clore à ses deux extrémités la rue du Bagne, qui prolongeait la façade des bâtiments nouvellement acquis.

Cette rue devint la cour de la caserne.

 

Les dépendances de la caserne, établies vis-à-vis des cuisines, contre le mur d'enceinte du bagne, se trouvaient complètement enclavées dans le parc d la marine.

Elles étaient formées de petits rez-de-chaussée affectés au logement des sous-officiers, à la salle de police et aux cachots pour la troupe.

 

Les compagnies de pertuisaniers, par ordre de la commission de la Marine et des Colonies du 22 frimaire an III, furent transformées en compagnies de gardes-chiourmes.

Le règlement du 20 juin 1829 en détermina le nombre :

Un garde par dix forçats ;

Un caporal pour treize gardes ;

Un sergent par escouade de quarante gardes ;

Un adjudant et neuf sous-adjudants par mille forçats.

 

Du 30 mai 1749, époque de l'arrivée de la première chaîne à Brest, jusqu'au 1er septembre 1838, 135 chaînes ou convois avaient conduit au bagne 47.505 condamnés, soit une moyenne de 546 par an. L'effectif du bagne était, le 1er janvier 1836, de 2.713 forçats.

 

La caserne des gardes-chiourmes n'était donc pas très vaste, d'autant que le commissaire du bagne y avait aussi sa maison.

 

La cession à titre révocable faite par la ville en 1785 fut consacrée par la loi du 20 avril 1854, sanctionnant divers échanges entre l'État et la ville ;

l'ancienne maison du commissaire du bagne et la caserne des gardes-chiourmes passèrent au génie, qui l'attribua comme dépendances à la caserne Fautras, ce qui explique son occupation par le 2e R. I. C. et l'installation du chenil pour y abriter ses chiens, dont nous parlerons demain du dressage auquel ils sont soumis en vue de leur utilisation comme chiens de transmission.

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Source : La Dépêche de Brest 7 août 1937

 

Le chenil du 2e R.I.C. installé 60, rue de la Maine, dans la cour de l'ancienne caserne des pertuisaniers est compose de sept boxes parallèles, larges d’un mètre, profonds de quatre, au sol cimenté.

Au mur du fond est placée, une niche, garnie de paille fraîche où couche le chien-soldat.

L'autre extrémité est fermée par une porte grillagée à mailles fines.

 

Quatre élèves : trois chiens et une chienne, sous la surveillance de soldats dresseurs et aides-dresseurs, occupent actuellement les stalles.

 

L'élevage du chien est une opération ingrate et délicate.

On n'admet au 2e R. I. C. que des bêtes bien portantes, robustes et résistantes, susceptibles d'endurer les intempéries, les privations et les fatigues.

Elles passent à leur « arrivée au corps », comme les recrues à deux pattes, un conseil de révision où l'animal est examiné et visité dans toutes ses parties, notamment les yeux, les oreilles et les dents.

On donne la préférence aux chiens paraissant intelligents, calmes, capables d'attention et obéissants.

 Ils, doivent avoir bon flair et une bonne ouïe.

 

S'ils paraissent manquer de tempérament, s'effarouchent au moindre bruit ou, au contraire, ont tendance à mordre hommes ou chiens, à poursuivre la volaille et le gibier, ils sont immédiatement éliminés.

 

Les ratiers et chiens de chasse d'arrêt ou courants sont considérés comme ne convenant pas à un travail demandant de l'attention parce qu'ils se laissent trop facilement distraire.

On choisit, de préférence, les chiens de berger ou de bouvier ou les bâtards de ces races, intelligents et habitués à la vie en plein air, aux sens auditif et olfactif très développés.

 

Premier dressage

 

Dès son arrivée, le chien est désinfecté et mis en observation pendant huit jours au bout desquels on procède à son équipement.

Il reçoit un collier en cuir fort de trois centimètres de largeur, pourvu d'une plaque sur laquelle sont gravés :

2E R. I. C. - Compagnie d'engins d'accompagnement et de transmissions, le nom du chien et son numéro matricule ; une muselière destinée aux sorties et un tube porte-message mesurant 10 centimètres de long et trois de diamètre.

Le chien a, ainsi que nous l'avons dit hier, son livret matricule qui permet de suivre les progrès accomplis pendant le dressage.

 

Son éducation doit être menée avec méthode et correction.

Elle est confiée à un dresseur et à un aide-dresseur qui doivent avoir comme qualités dominantes: douceur, patience, fermeté et persévérance.

 

Chaque chien ayant sa personnalité, il n'existe pas de règles générales de dressage ;

le personnel du chenil s'ingénie à connaître le caractère des chiens qui lui sont confiés, à savoir si tel animal doit être traité avec la plus grande douceur ou s'il doit être mené avec fermeté, à l'exclusion absolue de la violence car il est formellement interdit de les frapper.

 

Jusqu'à l'âge de quinze mois, le chien, trop joueur, n'est pas soumis à un entraînement militaire.

On le laisse courir et gambader pour lui donner de l'assurance et de la souplesse dans ses mouvements, on lui apprend à connaître son nom et à marcher convenablement à la laisse.

 

Le chien ne retenant aucune phrase mais associant dans sa mémoire un exercice donné à une même parole dite sur un même ton et accompagnée d'un même geste, les commandements doivent être brefs :

Derrière, pour se faire suivre de l'animal;

Au pied, pour le faire approcher ;

Assis, couché, debout, etc.

 

La bonne volonté et l'obéissance du chien sont récompensées par un morceau de viande, de pain, de biscuit ou de sucre ou une simple caresse.

 

La punition n'intervient que si le dresseur se rend compte que le chien a compris ce qu'il lui demande, mais se refuse à l'exécuter par mauvaise volonté ou entêtement.

Les punitions consistent en une réprimande, une mise à la laisse, une mise à la « position couchée » ou à la niche avec attache courte et muselière.

 

Il est interdit de battre un chien, même dans un mouvement de colère, le chien battu perdant sa confiance qui se change en crainte et l'empêche de comprendre l'exercice qu'on lui commande.

 

Les chiens sont aussi habitués à ne prendre de nourriture que de la main de leur dresseur.

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Dressage de spécialisation

 

Après ce dressage préparatoire, quand le chien est assoupli et bien en main, on passe au dressage de spécialisation.

Le but poursuivi est d'amener le chien à se porter à volonté entre deux points représentés, l'un par le dresseur, l'autre par l'aide-dresseur, ces deux points pouvant être visibles l'un de l'autre, fixes ou mobiles l'un par rapport à l'autre

 

Ce dressage commence à courte distance dans la grande cour de la caserne Fautras.

Les chiens travaillent individuellement

 

Voici d'abord : Camarade.

C'est un bâtard de berger d'Alsace et de Saint-Bernard.

Vigoureux et intelligent, dont la robe s'allie par la couleur au terrain.

 

Camarade obéit à la voix de son dresseur, le soldat de 1ère classe Berjon et son aide-dresseur, qui paraissent pour leur élève, bien brossé et peigné, une grande affection.

 

Glorion va se placer à une centaine de mètres de Berjon qui passe à Camarade son collier tube porte-message:

 « va porter », lui dit-il, et le chien file à toute vitesse vers son aide-dresseur qui le reçoit , le caresse, prend le message et le renvoie au dresseur.

Il est récompensé par une miette de sucre.

 

C'est au tour de Caille, une chienne genre berger d'Alsace au poil fauve.

L'exercice, avec le caporal Agaisse et le soldat Goalou reprend.

Le va-et-vient est exécuté rapidement et correctement.

 

— Ce n'est pas toujours facile de travailler avec Caille, dit le caporal.

Quand elle est disposée à la galanterie il n'y a rien à faire, les autres chiens veulent rester près d'elle et elle jette la perturbation dans l'exercice.

Il faut la laisser au chenil pendant quinze jours.

Dans deux mois, elle nous donnera des petits de Marc, son préféré.

 

Marc est un beau berger allemand.

Aujourd'hui il est un peu fatigué, semble distrait pendant l'exercice qu'on doit lui faire recommencer une deuxième fois.

 

Tout noir sous son rude poil de chèvre, la tête ébouriffée, voilà Roolph, un bon gros chien de berger briard, qui fait « à la papa », au petit trot, son va-et-vient.

 

C'est un pisteur remarquable.

Son dresseur, le soldat Créneguy traverse la cour en zig zags, que l'on jalonne de petits cailloux.

On lâche Roolph qui flaire et sait exactement le chemin qu'a suivi son maître.

 

On lui fait présenter par un soldat un morceau de sucre, mais non seulement il le lui refuse, mais il faut le retenir pour l'empêcher de se jeter sur lui.

Il accepte au contraire, avec satisfaction, de son maître, la friandise et l'en remercie d'un coup de langue sur la main en remuant son bout de queue.

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Sur la plaine du Bouguen

 

Chaque jour les chiens vont à l'exercice soit au bois de Boulogne, soit sur la plaine du Bouguen, où ils poursuivent leur entraînement.

 

On les habitue à des marches au pas de plusieurs heures dans des terrains variés.

Elles ont pour but de durcir les pattes.

 

On les fait participer à des courses, de manière à développer leur musculature, leurs poumons et leur ardeur, mais il faut intervenir parfois pour séparer les concurrents préférant la lutte à la course.

 

On leur fait franchir des obstacles pour fortifier leurs muscles et leurs reins, au commandement « hop ».

 

Enfin l'entraînement se poursuit par des exercices de nuit et par temps de brouillard.

 

Le lieutenant Vincent, l'officier chargé des transmissions, s'occupe avec vigilance de ses bons toutous.

Il s’assure que les chiens sont exclusivement soignés par le personnel qui leur est affecté et veille à ce qu'ils ne jouent pas avec des personnes étrangères au chenil qui risqueraient d'ailleurs de se faire mordre, s'ils s'approchaient de ses pensionnaires bien dressés, car ils sont habitues à ne rien ramasser à terre, à refuser l’appât, à ne pas aboyer, ni se laisser prendre par qui que ce soit hors du dresseur et de l'aide dresseur.

 

Aux manœuvres qui ont eu lieu récemment dans les montagnes d’Arrée, Camarade a parcouru, à travers landes, ronces et ajoncs, dans un chemin où un homme aurait eu bien du mal à se livrer passage, trois kilomètres en 12 minutes.

Il abat couramment son kilomètre en 3 minutes.

 

Avec la chienne Caille, ils font des aller et retour sur 7 à 800 mètres, mais les quatre chiens de liaison du 2e R.I.C. ne sont encore qu'au début de leur entraînement.

Bientôt comme pisteurs et chiens de transmission, ils réaliseront, grâce à la persévérance de leurs dévoués dresseurs, des performances meilleures et pourront accomplir la plupart des missions habituellement confiées à des «coureurs».

 

Le chien de transmission bien dressé, devrait, en effet, être apte, en temps de guerre, à suppléer les communications téléphoniques de l'infanterie quand les fils ont été détruits ou n’ont nu être établis.

Moins susceptible que l'homme d'être atteint par les gaz toxiques, le chien peut assurer des relations entre les échelons, les compagnies de mitrailleuses ou les batteries d'artillerie, dans des cas extrêmes où un coureur ne pourrait assurer son service.

C’est pourquoi pour parfaire l'entraînement du chien, on l'exerce à ne se dérober, au cours des exercices avec tirs à blanc et tirs réels d'infanterie et d'artillerie, ni aux détonations « départ », ni aux « arrivées ».

 

Le chien dans l’armée est donc un auxiliaire précieux et quand, à la prochaine revue sur le cours Dajot, on verra défiler ceux du 2e R. I. C, ils ne manqueront pas d'exciter la curiosité des spectateurs.

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