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1937

Le Magellan va être conduit
au port de commerce pour être démoli
de Charles Léger


 

 

Source : La Dépêche de Brest 15 septembre 1937

 

Cette fois, c'est bien fini.

La dernière des coques qui rappelait encore à Brest la marine à voiles, va disparaître.

Le Magellan, avec ses deux lignes de batteries, était longtemps, après sa réforme, demeuré ancré devant le quai de la flottille des sous-marins, à La Ninon.

 

Il y faillit un jour flamber.

Placé à quelques mètres de la jetée, il retenait là des nappes de gaz-oil provenant des bâtiments voisins et des parcs à mazout.

D'une chaloupe où l'on mettait bas les feux, on jeta à la mer des charbons ardents.

Le gaz-oil s'enflamma.

Le feu se répandit avec rapidité sur la mer et, en un instant, il atteignit l'arrière du Magellan !

 

La coque du navire, imprégnée de mazout à la ligne de flottaison, prit feu à son tour.

Les flammes étaient si hautes qu'elles gagnèrent les sabords, puis le carré des officiers.

 

Il fallut une heure d'efforts et la collaboration du personnel des flottilles et des pompiers pour se rendre maître du fléau.

 

Quelque temps après, le Magellan, pris en remorque, traversait la rade pour s'en aller discrètement cacher sa déchéance dans les sinuosités de l'Aulne.

Rasé comme un ponton, il allait attendre là, près de la flotte de réserve et réformée de Landévennec, sa définitive condamnation.

 

Mis en vente, il était acquis par les chantiers de démolition Lhermitte.

C'est ainsi qu'on le vit reparaître, il y a des mois, au large de la grève du gaz, où on le mouilla devant les barges à demi démantelées de la flotte d'État.

 

Dans quelques jours, le Magellan sera conduit à l'extrémité de la jetée de l'Est, où les démolisseurs en prendront possession.

 

Il y recevra sans doute de nombreuses visites, ne fût-ce que celles des marins qui le connurent au temps de sa splendeur.

Bon nombre d'entre eux pourront encore évoquer les souvenirs de voyages qu'ils firent au vent de ses voiles.

 

Longtemps le Magellan fit le transport des forçats à Nouméa.

Les gabiers qui fréquentèrent sa mâture éprouveront sans doute un serrement de cœur à voir ce pont désert et complètement rasé.

 

Quand ils naviguaient à la voile, à l’encontre des vapeurs, où les hommes disparaissent pour une traversée, dans les chaufferies et les machines, toute l'activité se manifestait entre le ciel et le pont.

 

L'équipage, qui ne comptait que de vrais marins, tenait à témoigner de son agilité et à ordonner ses efforts pour déployer et tendre les toiles avec régularité.

 

Pour eux, supporter le balancement d'un navire soumis à toutes les inclinaisons imprimées par la fantaisie des vagues n'était rien.

Il fallait savoir grimper le long des mâts à des hauteurs vertigineuses, et se glisser à bout de vergues, en dépit des oscillations les plus désordonnées.

Le gabier qui, sa vie durant, se livrait à ces acrobaties était le roi de l'équipage.

 

Le vent pouvait souffler, la mer écumer, la mâture gémir et s'ébrouer avec les pires violences, le gabier tenait bon.

Il le fallait, il le savait: une négligence, une faiblesse et c'était pour lui la mort.

 

Du pont montaient vers lui les ondulations du sifflet de la manœuvre qui, en disciplinant ses gestes, réglaient la marche du navire.

 

Certes, cette existence n'était pas sans rudesses.

Tout au long du voyage des hommes devaient se tenir dans la mâture pour vérifier les gréements : gabiers et voiliers ne manquaient jamais d'ouvrage.

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Quand, après une campagne, des navires comme celui-là rentraient à Brest, c'était un événement considérable, bien plus important certes que l'arrivée du plus gros cuirassé, ou même d'une escadre.

Et ce n'étaient point seulement les familles des membres de l'équipage les chaufferies et les machines, toute I qui voulaient y assister, mais encore les vieux marins qui venaient rechercher là des impressions de jeunesse.

 

Beau spectacle en vérité que ces navires aux voiles frémissantes, empanachant la ligne blanche de leurs sabords de la fumée des 21 coups de canon de Salut !

 

Et des hauteurs du cours Dajot ou des remparts de Recouvrance, on suivait à la jumelle les moindres évolutions du beau navire.

À quelles terribles critiques étaient soumises les manœuvres dernières et quelles évocations des souvenirs personnels ne déterminaient-elles pas ?

 

La Melpomène, école des gabiers et timoniers, qui fut maintenue en service longtemps après la disparition des voiliers de la marine militaire, nous a quittée depuis une dizaine d'années.

C'est à présent le Magellan.

 

Adressons-lui l’ultime salut.

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