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1937

La Penfeld est-elle
une rivière ou un bras de mer ?

 

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Source : La Dépêche de Brest 12 juillet 1937

 

Le différend survenu entre la Compagnie française des câbles télégraphiques et l'Administration des douanes qui a été plaidé samedi à l'audience du tribunal civil par deux avocats du barreau de Paris :

Me Martin, pour la Compagnie des câbles, et Me Rodanet, pour l'Administration des douanes, pose la question assez complexe de savoir si la baie de Brest, limitée par la pointe Saint-Mathieu et celle de Pen-Hir, fait ou non partie du domaine public maritime.

 

Le jugement est appelé à faire jurisprudence et les parties également intéressées semblent disposées, l'une et l'autre, à faire trancher, au besoin, le dilemme par la Cour de cassation.

 

En furetant dans les archives, nous avons trouvé trace de procès intentés par des riverains de la Penfeld et de l'Élorn à la Marine qui méritent d'être rappelés.

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AU TEMPS DES CORSAIRES

 

M. Riou-Kerhallet, armateur de « Corsaires » sous la Révolution, avait établi ses chantiers de construction et d'armement à l'anse de Kervallon.

 

À cette époque, les armements en course étaient favorisés.

La Marine avait laissé l'armateur installer un port de commerce particulier au fond du port militaire.

La paix venue, M. Riou-Kerhallet prétendit conserver l'anse de Kervallon et les constructions qu'il avait faites sur le rivage et continuer à traverser le port militaire avec ses navires.

 

Cette prétention parut naturellement exorbitante à la Marine.

 

L'État demanda la suppression des magasins, quais, cales et débarcadères construits par M. Riou-Kerhallet en anticipation sur « le rivage de la mer ».

 

Une ordonnance datant du mois d'août 1681 (livre 4, titre 7, article premier) disposait, en effet, que « sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu'elle couvre et recouvre pendant les nouvelles et pleines lunes et jusqu'où le plus grand flot de mars se peut étendre sur les grèves. »

 

La demande de l'État de supprimer les chantiers Riou-Kerhallet, accueillie par le tribunal de première instance, fut rejetée par la Cour de Rennes suivant arrêt en date du 18 mai 1829.

 

Le pourvoi en cassation dirigé contre cet arrêt ne fut pas admis (23 juin 1830).

 

L'arrêt de rejet de la Cour de Rennes décidait en principe « que les eaux de la mer en affluant dans les rivières qui y ont leur embouchure ne les transforment pas en bras de mer et ne font, pas de leurs bords des rivages maritimes dépendant du domaine public jusqu'où s'étend le plus grand flot de mars. »

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DANS L'ÉLORN

 

La question ne tarda pas à se reproduire devant la même Cour de Rennes, au sujet d'îlots ou atterrissements formés dans l'Élorn ou rivière de Landerneau qui, comme la Penfeld, a son embouchure dans la rade.

 

L'action intentée par les Domaines revendiquant ces îlots fut repoussée par arrêt en date du 7 janvier 1831 qui déclara, en droit : « que les terrains en litige ne sont pas des dépendances de la mer, ni ce que la loi entend par le mot grève, qu'il est notoire que, lorsque la marée est basse, le lit de la rivière de Landerneau n'est occupé que par les eaux de cette rivière, d'où il suit que ses bords sont susceptibles de propriété privée... »

 

Il résultait de cet arrêt que la limite du rivage maritime à l'embouchure des rivières est marquée par la lame à marée basse et non par la lame à marée haute, ce qui détruisait l'ordonnance d'août 1681.

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LA PENFELD

 

En présence du texte de la Cour de Rennes, les juristes de l'époque pensèrent que les principes posés par son jugement ne semblaient pas à l'abri de critiques, surtout lorsqu'il s'agissait de les appliquer à la Penfeld.

 

« En effet, dirent-ils, cette rivière, au-delà du plus grand flot, est très étroite, peu profonde, incapable de supporter la moindre navigation, suffisante à peine à mouvoir les moulins qui se sont établis sur son cours.

L'élargissement de son embouchure provient évidemment de ce que la mer y afflue.

 

« Il est vrai même de dire que la mer a pris possession de cette embouchure d'une manière permanente puisque, dans le port militaire, il y a constamment assez d'eau pour tenir à flot les bâtiments de l'État.

 

« C'est seulement dans l'arrière-port que les marées basses laissent à découvert le chenal de la rivière.

À marée haute la rivière est entièrement perdue et noyée dans la masse d'eau venue de la mer.

 

« Cette masse d'eau est si considérable et la rivière si peu de chose qu'il est permis de penser que, quand bien même la rivière serait détournée de son cours, la marée ne s'en ferait pas moins sentir à une hauteur sensiblement égale à celle qu'elle atteint.

 

« Là où l'action de la rivière n'est rien en comparaison de l'action de la mer, il semble que la dernière doit prévaloir en droit, comme elle prévaut en fait et que, dès lors, la Cour de Rennes a commis une erreur en refusant d'allouer aux Domaines des terrains qui faisaient partie du rivage maritime aux termes de l'ordonnance royale de 1681. »

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Depuis, comme avant les arrêts de Rennes, la Marine a agi en maîtresse absolue de l'embouchure de la Penfeld jusqu'où s'étend le plus grand flot de mars.

 

Mais, de l'arrière-port qui s'étend de l'Arrière-Garde jusqu'au pont dit de la Penfeld, la Marine ne cessa d'avoir des difficultés avec les riverains, dont nous parlerons un jour.

 

Le procès en cours, source, selon ses résultats, de futurs autres procès, bien que n'ayant que de lointains rapports avec ces vieilles affaires oubliées, nous a donné l'occasion de les rappeler.

 

Elles n'ont qu'un faible intérêt rétrospectif, puisque la Penfeld est devenue pour la Marine, selon le mot d'un directeur du port :

« La boîte de petites sardines dans laquelle on voudrait faire rentrer de trop gros maquereaux », et que le port militaire est appelé à s'étendre du Portzic jusqu'à son embouchure.

Peu importe donc aujourd'hui que la Penfeld soit rivière ou bras de mer.

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