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1937


Sous le phare de l'île Vierge
par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest 18 mars 1937

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La mer est venue jusque sur la dune, elle s'est heurtée au pied des immeubles qui bordent les grèves.

Au village de Saint-Cava, comme d'habitude, elle a envahi les ruelles.

Mais l'orientation de cette côte le mettait au cours de la marée à l'abri de l'action dévastatrice des vagues.

 

À présent, la mer se retire sans laisser d'autres traces que de larges flaques au creux des chemins du littoral comme dans les dépressions voisines.

Les baies se vident, offrant leur lit sablonneux aux barques qui successivement s'y couchent.

 

Plus loin, des écueils émergent.

Des groupes de rochers apparaissent unis pour former des massifs impressionnants.

Il en est ainsi jusqu'à l'horizon, dirait-on.

Ces innombrables rocs, dont l'œil du profane ne soupçonnait pas l'existence, sont majestueusement dominés par le phare de l'île Vierge.

La plus haute tour granitique du monde ne pouvait mieux affirmer sa nécessité.

 

Sur cette côte toute plate, la mer se retire avec une étonnante rapidité.

Au sortir des baies, dans les passages d'écoulement, des courants se forment dont la précipitation s'accroît au cours de cette marée d'équinoxe.

 

Il semblerait que les flots veuillent libérer les surfaces territoriales jadis conquises par la patiente usure et la violence.

 Voici qu'à présent on pourrait, à pied, atteindre l'île Vierge.

Pour peu on y retrouverait trace des chemins engloutis.

 

N'a-t-on pas déjà découvert en pleine grève des monuments mégalithiques ?

Il y a quelque temps encore on mettait à jour à la pointe de Kélerdut, une nécropole préhistorique.

 

La commune de Plouguerneau, écrivait le commandant A. Devoir, dut être occupée, aux temps néolithiques et du bronze, par une population dense, si l'on en Juge par le nombre et la masse des tumulus qui se sont conservés jusqu'à nous :

On en rencontre en bordure de la mer, sur tout le développement des falaises, depuis la chapelle Saint-Michel jusqu'aux rives de L'Aberwrach...

 

La progression marine a dû faire disparaître beaucoup de tumulus, comme de monuments à ossature mégalithique apparente ;

ce mouvement a été particulièrement sensible dans cette région, surtout vers la partie nord, où domine le granit de Plouescat.

Les plateaux du Guern et du Lizen-Ven, ainsi que l'archipel de l’Île Vierge, dont les îlots et écueils occidentaux appartiennent à la granulite, sont les témoins d'anciens promontoires démantelés par l'oscillation séculaire et le choc des lames.

 

Progression marine, ensablement, le double mouvement s'est manifesté à des époques bien plus rapprochées de la nôtre à en juger par des constatations qu'il nous a été donné de faire aux environs.

 

Quel formidable mouvement entraînera donc cette disparition ?

Une découverte faite par le commandant Devoir en démontre l'importance.

 

Au cours d'une exploration, il constatait l'existence, dans la plage située au sud-ouest de Lilia, d'un ensemble comprenant un menhir de 2 m. 05 de haut, au nord-est duquel des blocs jalonnent une enceinte rectangulaire.

Ce menhir, presque entièrement recouvert d'herbes marines, émerge du sable à 2 m. 40 au-dessus du zéro des cartes et est submergé 12 heures sur 24.

 

Certes, écrivait-il, les architectes préhistoriques n'érigèrent pas ce monument sur le sable ou la vase que baignait chaque marée :

Une progression océanique a seule pu placer ces antiques vestiges dans le domaine public maritime.

 

La variation de niveau indiquée par ce témoin est des plus importantes :

En supposant une épaisseur d'un mètre pour le sable de la plage, le pied du menhir, actuellement à un mètre au moins au-dessus des plus basses mers, se serait trouvé, jadis, au moins à pareille hauteur au-dessus des plus hautes, d'où dénivellement minimum possible de neuf mètres, dans l'hypothèse assez vraisemblable de modifications minimes dans le régime de la marée, depuis l'époque de l'édification du monument.

Une telle exondation suffirait à relier d'une façon permanente ou presque permanente les îles de l'archipel de Molène entre elles et au continent :

Elle permettrait de se rendre à pied, lors des basses mers, du Conquet à la rive sud du Fromveur.

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Tous ces terrains submergés constituent aujourd'hui d'excellentes bases pour les pêcheurs de crustacés ainsi que de beaux champs d'exploitation offerts aux goémonniers.

Aussi ces parages sont-ils très fréquentés.

 

En pourrait-il être autrement étant donné le nombre des barques et des inscrits dans la région.

Encore faut-il y ajouter tous ceux qui viennent aux mortes-eaux de Roscoff, de Sieck, Moguériec, Molène, Sein, Camaret ou de la Pointe-du-Raz.

 

Certes, ils n'opèrent pas tous et surtout simultanément dans ces parages, mais ils sont contraints d'y naviguer pour les besoins de leur profession.

 

Que la brume survienne et ils se trouvent aveuglés au milieu d'une infinité de récifs.

Certes, ce sont de bons marins, doués d'un sens étonnant de l'orientation, mais combien de fois ne sont-ils pas contraints de suspendre leur marche et d'attendre l’éclaircie pendant des heures, des nuits entières.

 

Depuis longtemps déjà les pêcheurs ont réclamé l'installation d'une sirène de brume sur le phare de l'île Vierge.

Leur demande avait été retenue et examinée par le service des phares qui en avait reconnu le bien-fondé.

 

En 1931, le ministère des Travaux publics décidait de soumettre l'affaire à l'appréciation d'une commission nautique.

Cette commission estimait que l'installation d'un signal de brume à l'île Vierge serait utile à la navigation générale.

En effet, par temps bouché, les navires venant de l'est et s'apprêtant à entrer dans le chenal du Four, seraient ainsi avisés de la proximité des dangers.

D'autre part, la navigation locale recevrait de cette façon une juste satisfaction.

 

Il conviendrait pour cela que le signal ait, comme celui qui fonctionne au phare du Four, une portée moyenne de huit milles.

 

L'installation réclamée semblait ainsi devoir être faite d'autant plus que l'État se montrait disposé à couvrir le quart de la dépense, laissant au département et aux communes intéressées la charge complémentaire.

 

Les communes ne l'entendirent pas ainsi.

Elles excipèrent de la modicité de leurs ressources pour ne point participer à la dépense.

 

Résultat, le projet fut abandonné.

Cependant les intérêts en jeu étaient d'importance puisque le commerce des crustacés, poissons, coquillages et goémons produisait, en 1930, à Plouguerneau plus de quatre millions et à l'Aberwrach plus de deux millions !

 

Le temps passait.

De multiples événements, entre autres la chute des prix des goémons, la raréfaction des produits de la pêche, allaient réduire considérablement l'importance des ressources.

En effet, en 1936, les diverses pêches ne rapportaient plus que 1.603.000 fr. pour le syndicat de Plouguerneau ; 1.431.000 fr. pour celui de l'Aberwrach et 143.400 fr. pour celui de Plounéour-Trez.

 

En même temps, le chiffre de la dépense nécessaire à l'installation du signal sonore s'accroissait et atteignait 160.000 fr.

 

Pour les marins, les difficultés et les dangers demeuraient les mêmes.

C'est pourquoi le Syndicat interfédéral des pêcheurs de France et celui des goémonniers bretons ont, une fois de plus, repris la question.

 

Il apparaîtrait à présent que l'État consentirait à participer à la dépense pour environ 100.000 fr., le département et les communes devant se répartir les 60.000 fr. complémentaires.

 

Que vont faire les municipalités intéressées ?

On nous déclare qu'elles vont prochainement saisir de la question les conseils municipaux ; mais il importe qu'elles se hâtent.

Trop de temps s'est écoulé depuis l'époque où, pour la première fois, elles furent appelées à prendre une décision.

 

Or, le résultat dépend entièrement d'elles, n’est évident que si elles refusent de faire le moindre effort, l'État ainsi que le département abandonneront l'affaire une fois encore.

 

— C'est là précisément ce qu'il ne faut pas, nous disent des pêcheurs.

Notre sort est assez peu enviable pour que l'on s'occupe de nous.

 

Ce signal sonore que nous réclamons depuis si longtemps est d'une nécessité absolue.

Il nous éviterait les jours de brume de naviguer à tâtons, de courir de graves dangers ou de nous immobiliser pendant des heures et des heures au milieu des récifs.

 

La pêche nous permet à peine de subsister.

Nous abandonnons les casiers pour utiliser les filets, comme les gars de Moguériec ou de Roscoff, mais cela coûte cher et le rendement, pour être un peu meilleur, ne compense guère la dépense.

 

Quant au goémon, il se vend si mal que bon nombre de nos camarades ont abandonné la partie.

 

On parle de la désertion des campagnes, mais celle de la côte n'est pas moindre.

Tous ceux qui le peuvent tentent de trouver de l'embauche à la ville, s'engagent ou s'efforcent d'entrer dans une administration.

 

Le Syndicat de Plouguerneau, pour ne citer que celui-là, comptait 390 bateaux en 1930.

En 1936. il "n'y en avait plus que 290.

Et, d'après les départs connus ou projetés, il est certain qu'à la fin de l'année courante il en aura encore 50 de moins.

 

Va-t-on suivre avec Indifférence le développement de ce mouvement et ne fera-t-on rien pour empêcher la disparition de nos flottilles ?

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