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1938

Le premier canon de brume
sur la tourelle du Chat
par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest 22 septembre 1938

 

Sur la longue plage avant du Georges de Joly serpente une robuste chaîne.

Au pied de la passerelle est allumé un fourneau de forge où rougit un fer.

Les spécialistes de l'équipage s'apprêtent à mailler un crapaud de béton de 3.000 kilos que la grue du bord vient de cueillir sur le quai de la Santé pour le déposer sur le pont.

 

Sur le fer rougi les marteaux s'abaissent en cadence.

L'enchaînement s'est accompli.

 

Le baliseur va s'en aller mouiller la troisième des bouées qui doivent signaliser les récifs de Plouguerneau et de Kerlouan.

Ces récifs, qui fourmillent jusqu'à l'horizon, constituent un sérieux danger pour la navigation par temps de brume.

 

Les navires qui viennent de la Manche lorsque toute visibilité a disparu, doivent d'autant plus se méfier de cette pointe extrême N. O. de Bretagne que bien des naufrages s'y sont produits.

De plus, la navigation côtière y est intense.

Pêcheurs et goémonniers évoluent là constamment.

Ils ne disposent, eux, que de rudimentaires appareils d'orientation, quand ils en possèdent, et lorsque la brume a noyé jusqu'à la pointe de leur mât, il leur est bien difficile de suivre une route qui les mènera au port sans encombre.

 

C'est pourquoi le Georges de Joly a déjà placé une bouée lumineuse et sifflante dans le nord-est de l'extrémité du plateau d'Aman-ar-Ross, au large de Kerlouan.

Puis, au nord de l'île Vierge une bouée lumineuse devant le plateau de Lizen-Ven.

Aujourd'hui, c'est au tour d'une bouée à cloche qui doit doubler la précédente à cinq cents mètres environ à l'est.

 

L'administration des phares et balises poursuit et développe sa tâche de protection.

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Qui ne sait combien est précieuse une indication de cette espèce lorsque la brume aveugle les marins.

Le souvenir d'un voyage dans ces parages nous a laissé une impression profonde.

 

Nous faisions route sur Roscoff, quand à hauteur de l'île Vierge la visibilité se rétrécit soudain.

— Un bouchon, remarqua quelqu'un.

 

La brume, poussée par la brise du large nous submergeait bientôt.

Derrière nous, le temps encore demeurait clair.

Pas pour longtemps car rapidement la côte, les îlots, les rochers s'estompaient pour disparaître.

Tout cela paraissait avoir sombré dans l'eau glougloutante que l'on distinguait mal autour du vapeur.

 

Mais un bouchon de brume ne dure guère et celui-ci était de taille car plus nous avancions plus se circonscrivait le champ de visibilité.

 

Les tintements grêles d'une cloche nous parvinrent avec régularité.

Un navire qui avait jugé bon d'interrompre sa route et de mouiller, signalait sa présence.

 

À notre bord, la sirène jetait son cri.

Un autre cri similaire nous répondait.

Cela nous arrivait de façon diffuse ; par bâbord avant, croyait-on.

 

L'autre navire faisait route sur nous ; la force accrue de son signal le démontrait.

À n'en pas douter, il était là, tout près, invisible et menaçant.

 

Les joyeux propos du départ s'étaient tus.

La parole était aux cloches et aux sirènes.

 

Une conversation rauque s'engageait dans l'aveuglant nuage.

Elle était faite d'éclats brefs, tous semblables, mais significatifs par leur nombre.

 

— Je fais route à tribord, annoncions-nous.

— Moi aussi.

 

Et l'on s'écartait du plus dangereux des points : celui de la conjonction.

 

Depuis longtemps déjà, les vibrations hâtives et répétées du transmetteur d'ordres avaient assagi l'action de la machine et nous glissions doucement dans ce nuage qui paraissait nous porter.

 

Tout près, un battement d'eau, puis une ombre, si vague que seuls les yeux les mieux exercés pouvaient la percevoir, défilait vers ce qui devait être notre sillage.

 

Sagement, les deux vapeurs s'étaient croisés.

Mais qu'eût été leur sort sans le secours des sirènes !

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L'amélioration incessante de la signalisation a déterminé la construction de nombreuses tourelles sur les points les plus menaçants.

Citons, entre autres, celle du Guéveur, au sud de l'île de Sein, et celle de Nividic, dans le sud-ouest d'Ouessant.

Toutes deux sont reliées par câbles aux centrales des îles.

Aussi y a-t-on pu installer des sirènes électriques.

 

On a voulu mieux encore en disposant des signaux sonores sur les tourelles du large.

Ces signaux-là sont des canons de brume qui doivent être commandés par « sans fil ».

 

Le canon consiste en un tube.

Les munitions sont faites d'un mélange détonant d'acétylène et d'air.

 

Des bouteilles de gaz acétylène placées dans le voisinage s'ouvrent sur la chambre des mélanges.

L'allumage se produit à l'aide d'une pierre de ferrocérium.

 

Deux appareils de T. S. F., l'un sur la tourelle, l'autre à la centrale, sont mis en marche synchroniquement par des horloges. Lorsque la brume se produit, un simple contact est donné par le gardien du phare voisin et, dès l'émission des ondes, les détonations se font entendre à un rythme déterminé.

 

Le premier de ces appareils vient d'être installé et essayé sur la tourelle Le Chat, située à l'est de Sein.

 

Les essais, faits avant-hier, furent en tous points excellents et toutes les trente secondes retentissait ce canon qui, à rencontre des autres, de ceux dont on redoute la voix, n'a qu'un effet protecteur.

 

Ce premier canon actionné par télécommande, sera très prochainement mis en service.

D'autres du même genre seront ensuite placés sur des tourelles édifiées sur les récifs de la Chaussée de Sein.

 

Ainsi la difficile bataille livrée depuis tant de siècles contre la brume semble désormais devoir se terminer victorieusement.

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