1907
La variole en rade de Brest
La Dépêche de Brest 1 novembre 1907
Nous avons dit, hier, qu'un steamer de la compagnie du Nord, la Ville de Carthage, faisant route vers Brest, avait été aperçu par le guetteur sémaphorique de Saint-Mathieu, demandant, au moyen du pavillon hissé à une drisse du vapeur, l'intervention immédiate d'un médecin.
L'aviso-école de pilotage Élan, qui croisait dans les parages, aperçut également le signal de la Ville de Carthage, et fit route sur le steamer.
Le médecin du bord, M. Le Goéré, quand il fut à portée de voix du vapeur, héla le commandant de ce dernier bâtiment, et lui demanda ce qu'il y avait à son bord.
Le capitaine Camus, commandant la Ville de Carthage, répondit qu'un des hommes de l'équipage avait la peau couverte de boutons, et qu'il craignait pour la santé des autres matelots.
Le docteur Goéré invita le capitaine du steamer à isoler complètement le malade et à faire immédiatement route sur Brest, pour se mettre à la disposition du directeur du service sanitaire.
Puis l'Élan vira de bord, pour continuer sa tournée de pilotage et, vers cinq heures, la Ville de Carthage mouilla en grande rade, près, de la digue est du port de commerce, ayant toujours les signaux nécessaires pour prévenir les navigateurs de ne pas approcher du bord.
Le service sanitaire s'inquiéta de la situation du bâtiment contaminé, et refusa de donner la libre pratique ;
il se borna à demander les renseignements utiles pour la comptabilité du port.
La Ville de Carthage, qui a un équipage de 24 hommes, appartient à la compagnie du Nord.
Ce steamer a quitté Bône (Algérie) le 22 courant, faisant route sur Dunkerque, avec un chargement de diverses marchandises.
À la première heure, hier matin, M. le docteur Allain, directeur du service sanitaire, se présenta à bord, et le capitaine Camus l'introduisit près du malade, Yves Guélou.
Après examen, le médecin constata que le matelot était atteint d'une maladie contagieuse, de la variole confluente.
En présence de cette constatation, M. Allain donna au capitaine Camus des ordres pour empêcher la propagation du mal, en désinfectant le navire, et, sur le champ, vaccina l'équipage.
Ces mesures de précaution effectuées, M. le docteur Allain descendit à terre, et, conformément aux règlements sanitaires, il informa les autorités civiles, sous-préfet, maire, etc., pour les mesures à prendre.
Qu'allait-on faire ?
Envoyer le steamer en quarantaine à Tréberon ou, puisqu'il s'agit d’un cas isolé, soigner le malade en ville ?
M. le docteur Allain, très perplexe, eut des entrevues successives avec les autorités maritimes et, à la suite de ces pourparlers, il fut décidé d'admettre le varioleux à l'hospice civil, dans un pavillon affecté spécialement aux maladies épidémiques.
À l'île de Tréberon, au lazaret, il aurait fallu transporter médecin, infirmiers, médicaments, etc., pour un seul cas.
Enfin vers une heure du soir, le malade fut placé dans un canot de la Ville de Carthage, qui accosta les escaliers de la Santé, où deux hommes du service municipal sanitaire prirent possession du varioleux et le déposèrent dans la voiture de secours aux blessés.
Le débarquement terminé, le canot du steamer regagna le vapeur, et, une demi-heure plus tard, la Ville de Carthage levait l'ancre, faisant route pour Dunkerque.
La voiture de secours aux blesses pénétra dans la cour de l'hospice civil par la porte donnant sur la rue du Château, afin que le malade soit placé directement dans la salle isolée au lieu de passer par les salles des malades.
Ce transbordement effectué, la voiture ayant servi au transport du malade fut immédiatement désinfectée.
Naufrage Ville de Carthage 18 décembre 1911
Excelsior 19 décembre 1911
Les déclarations du docteur Allain
La nouvelle de ce cas de variole ayant causé à Brest une très grande émotion, nous avons tenu à aller interviewer M. le docteur Allain, directeur de la santé, et médecin en chef des épidémies, pour l'arrondissement.
Voici les déclarations qu’il nous a faites, avec son amabilité habituelle :
« Je me suis rendu, ce matin, en rade, a bord du vapeur Ville de Carthage, où j'ai constaté un cas de variole confluente grave chez un matelot de l'équipage, Jean Guélou, habitant Penvenan (Côtes-du-Nord).
« J'ai bien pensé, au premier moment, à faire envoyer cet homme au lazaret de Trébéron, mais cet établissement, appartenant à la marine, je ne pouvais, par conséquent, en disposer.
« Que faire, en pareille circonstance ?
Fallait-il laisser le malade à bord, dans une cabine peu aérée, et où il aurait été exposé, à communiquer la variole aux 23 autres hommes de l'équipage confinés dans un espace relativement restreint ?
« Le steamer, d'autre part, ne pouvait le conserver qu'à la condition d'avoir un médecin à bord.
« La solution qui m'a semblé la plus pratique était de l'envoyer dans une cabine d'isolement de l'hospice civil ;
ce qui m'a, d'ailleurs, dicté cette façon de faire, c'est que l'on a déjà traité, à l'hospice civil, des cas identiques, avec les moyens dont dispose cet établissement.
« Pour plus de précautions, j'ai fait prévenir, par lettre, très urgente, M. le directeur de la commission administrative de l'hospice civil, ou, en son absence, l'administrateur, qu'un varioleux serait débarqué vers 11 h. 30, cale de la Santé, puis dirigé sur l’hôpital.
« J'ai également adressé des lettres identiques à M. Aubert, maire de Brest, et Fontanès, sous-préfet.
— N'avez-vous pas vacciné l'équipage du vapeur ?
— Si, avant de quitter le bord, j'ai vacciné tous les hommes, y compris le capitaine, auquel j'ai donné les indications nécessaires pour faire désinfecter la cabine dans laquelle le malade avait séjourné.
— Mais le vapeur va-t-il rester en quarantaine à Brest ?
— Non. Je lui ai délivré une patente brute et ai donné ordre au capitaine de faire immédiatement route sur Dunkerque.
« Je dois aussi vous déclarer, a ajouté le docteur Allain, que devant l'émotion éprouvée par certaines personnes, je me suis demandé s'il aurait été possible d'isoler et de traiter Guélou à l'île Tréberon.
« Je n'ai cru mieux faire que de consulter, à ce sujet, le contre-amiral Thomas, préfet maritime, et M. Hyades, directeur du service de santé de la marine ;
ces deux officiers généraux m'ont, répondu, d'un commun accord, que la chose ne leur semblait pas réalisable pour un seul cas de variole, qui ne revêt d'ailleurs pas de gravité exceptionnelle.
« Le directeur du service de santé a ajouté qu'un pareil cas se présentant parmi le personnel de la marine, on n'aurait pas envoyé le malade au lazaret ;
il aurait été soigné dans un des pavillons isolés de l'hôpital maritime.
« J'ai pris, comme vous le voyez, toutes les précautions utiles.
« Je sais, ajoute le docteur Allain, que le bruit s'est répandu en ville qu'il s'agissait d'un cas de peste ;
vous pouvez rassurer la population à ce sujet.
Je n'ai relevé sur Guélou aucun des caractères de cette terrible maladie.
« C'est, je le répète, un cas de variole confluente, et rien de plus. »
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La Dépêche de Brest 5 novembre 1907