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1925

L'île Trébéron
par Charles Léger


 

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Source : La Dépêche de Brest 16 mai 1925

 

Deux pâtés au beau milieu de la baie :

Trébéron avec son couronnement de pins et l’île des Morts !

À les voir des hauteurs de Roscanvel où s'accrochent encore, au milieu du fouillis d'une végétation exotique, les vestiges de La Pagode, on les croirait empruntées à l’un de ces paysages de miniaturistes qui, pour la plupart d'entre nous, ont fidèlement traduit la Chine.

 

Trébéron, l'île des Morts ?

Cela semble aussi deux rochers sans importance à ceux qui, tout simplement, suivent la route communément, empruntée pour la traversée de la rade.

Face au nord, ils n'ont guère d'autre aspect ; mais dès qu'on les contourne, l'impression se modifie complètement.

 

Vers le sud, dans la partie basse de l'Ile des Morts, des bâtiments s'entassent, des murs s'entrecroisent avec une rectitude propre à faire les délices d'un cubiste :

C’est une poudrière de la marine.

 

Dans la même direction, Trébéron s'infléchit vers le flot pour porter à l'abri des vents mauvais des édifices très agréablement conçus :

Ce fut un lazaret, ce fut un sanatorium.

 

L'île des Morts emmagasine encore des explosifs ;

Trébéron n'accueille plus qu'un gardien qui traîne sa solitude à travers des salles immenses ou réveille de tragiques souvenirs aux abords d'un étroit cimetière.

 

Des souvenirs tragiques ?

Un cimetière ?

C'est l'histoire de Trébéron !

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Certes, cet îlot aride n'eût été qu'un rocher de plus parmi ceux qui bordent notre côte s'il n'avait été placé devant et à bonne distance de Brest.

Mais alors dans notre port, abordaient sans cesse des vaisseaux venus de tous les pays du monde, et comme les mesures d'hygiène et de prophylaxie étaient inconnues, ils ramenaient dans leurs flancs les pires maladies.

 

La nécessité d'éloigner les contagieux du centre de Brest avait décidé, en 1690, le médecin Olivier à créer une ambulance à Trébéron.

Mais cette ambulance n'était encore qu'une pauvre chose embryonnaire et provisoire.

 

C'est ainsi que le 24 juin 1697, un corsaire malouin entrant sur rade avec deux petites prises « faites, écrivait Desclouzeaux dans un rapport, en venant de la Barbade et de la Virginie, lieux suspects pour maladies contagieuses », on les envoyait mouiller devant Trébéron, où l'on entreprenait en grande hâte l'édification d'abris provisoires destinés aux malades et à ceux qui devaient leur donner des soins.

 

Pour cette construction on se servit des débris d'une galère et des hauts du vaisseau Saint-Martin, que l'on commençait à démolir à la même époque.

Équipages et prisonniers y furent débarqués pendant quelque temps, ainsi que les chargements de coton et autres marchandises qui redoutait-on, « pourraient, conserver le mauvais état, de l'air. »

 

Ces travaux, qui devaient faire de Trébéron un lazaret, n'étaient point encore tout à fait terminés en août 1697, lorsque l'on conduisit en ce lieu une autre prise faite par M. de Pointis, près du détroit, de Baham.

 

L'île à ce moment n'apparaissait plus propre à répondre aux besoins d'une quarantaine « car il n'y avait pas d'eau et se trouvait fort éloignée du commerce de toute ville. »

En conséquence, on propose « d'établir une espèce de lazaret sur l'île Longue.

Les gens de la forteresse seraient de garde, tiendraient les malades en sûreté et les empêcheraient, d'en sortir, ce qu'on ne peut faire à Trébéron sans corps de garde ».

 

La discussion était désormais ouverte.

Trébéron fut abandonnée.

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En mars 1705, de nouvelles propositions étaient faites pour qu'on y conduisit de nouveau les navires en quarantaine.

Quelques réparations devaient permettre la remise, en état des logements :

On y placerait des meubles provenant de l'hôpital et deux gardiens.

Un bateau du port y porterait l'eau et les vivres nécessaires aux malades et au personnel du service de santé.

 

En juillet suivant, on prenait, encore des dispositions pour recevoir dans l'île l'équipage de la Bellone ;

puis on demandait à laisser subsister l'installation pour les autres vaisseaux, les navires du long-cours ou les prises.

 

Enfin, l'on se rapproche d'une solution définitive.

Mais ce n'est qu'en juillet 1721 qu'on semble devoir y atteindre.

 

Des ordres sont donnés pour qu’une exploration minutieuse de l'ile soit faite afin d'y découvrir une source.

 

Si les recherches, précise-t-on, restent sans résultat, il conviendra d'installer ailleurs l’établissement projeté.

 

Une source est découverte et l’on prescrit la construction d' un puits.

 

Il faut maintenant se hâter de constituer un lazaret capable de recevoir de nombreuses personnes.

« La peste, dit Levot, qui avait désolé Marseille, Toulon et les autres villes de la Provence était une cause d’appréhension à Brest où devaient prochainement arriver les vaisseaux le Prothée et le Mercure ».

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Une prompte décision s'impose ; on hésite encore !

Le 2 octobre 1721 le Conseil de marine fait savoir qu'il voit avec peine que le projet d'un établissement à Roscanvel pour la quarantaine des vaisseaux le Mercure et le Prothée ne peut être exécuté sans grande dépense et autres difficultés.

Il ne juge pas à cet usage ni les postes utiles à la défense du port.

Comme il n'est pas d'autres endroits en rade il faut se contenter de Trébéron et prendre des précautions en attendant qu'on soit en état de disposes d'un lazaret convenable.

 

Pour le moment, il faut que tout soit prêt pour l'arrivée des vaisseaux :

Vivres, boissons, agrès, apparaux, remèdes, parfums, ustensiles ;

il faut choisir les chirurgiens et les gens qui devront s'enfermer avec les arrivants et marquer les postes à garder pour empêcher les communications.

 

L'événement a décidé du sort de Trébéron.

Le Mercure et le Prothée quitteront le port de la Sude, en Candie, le 31 janvier 1722 ;

les ordres de hâter la construction des édifices nécessaires se succèdent avec précipitation.

Les envois de fonds sont plus rares.

Les prix du transport des matériaux dans l'île ont dépassé les prévisions.

Une somme de 3.000 fr. a été réclamée d'urgence mais on n'obtient que des promesses et des encouragements.

 

Le mauvais temps vient aggraver les retards d'exécution.

Néanmoins il est possible de recevoir les équipages du Mercure et du Prothee lorsqu'en avril ils franchissent le Goulet pour venir mouiller en baie de Roscanvel.

 

En mai tous les officiers et les équipages « ont été parfumés dans la chambre du lazaret de l'île destinée pour les parfums ; toutes leurs hardes y ont été pareillement parfumées ainsi que les vaisseaux ».

 

Mais l'insuffisance des bâtiments est apparue ; il faut encore développer l'établissement.

Le peut-on alors qu'on n'a même pu obtenir le versement des 3.000 fr. dus ?

Les temps, on le voit, par cet exemple, malgré des apparences de transformation ou de bouleversement, sont bien demeurés les mêmes !

 

Le lazaret ne s'aménage guère de meilleure façon, bien qu'en 1741 l'escadre du marquis d'Antin et en 1746 celle du comte de Roquefeuil ramènent de nombreuses victimes d'épidémies.

 

En 1757 une escadre entière ravagée par une effroyable maladie se réfugiait à bout de souffle dans notre port après la plus tragique des odyssées.

C'était celle du lieutenant général Dubois de la Motte qui venait en dernier lieu de Luisbourg.

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Le 4 novembre le Bizarre et le Célèbre, la précédant, arrivaient avec un grand nombre de mourants.

Le 23 du même mois venaient les autres vaisseaux.

« Plus de quatre mille matelots, dit Levot, gisaient sur les cadres, dans l'entrepont et dans la cale des vaisseaux.

Ceux qui restaient debout étaient si débiles qu'ils ne pouvaient aider à la manœuvre et que pour affourcher les vaisseaux il fallut leur envoyer des renforts. »

 

À quoi pouvait servir le pauvre lazaret en formation à Trébéron en pareille occurrence ?

On plaça les malades à l'hôpital, dans les casernes de Recouvrance, dans les deux églises de ce quartier, dans les couvents des Carmes et des Capucins, dans le séminaire des Jésuites, dans l'hôtel des gardes de la Marine, etc...

Il y en eut partout car le mal s'était rapidement répandu en ville.

 

Le personnel infirmier comme le personnel médical avait été à ce point éprouvé qu'on dut faire appel au concours des forçats auxquels on promettait, la liberté.

 

Pour comble, une autre escadre, celle de M. de Kersaint, ramenait à Brest, le 11 janvier 1758 de nombreux scorbutiques.

On l'isola devant Trébéron où 154 lits furent établis.

 

Le mal qui sévissait déjà ne fut vaincu qu'en mars 1758.

Il avait causé dans notre port la mort de dix mille personnes.

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Le 13 septembre 1779, la baie de Roscanvel recevait encore les vaisseaux de l'escadre du comte d'Orvilliers et de l'escadre espagnole qui lui était alliée et rentraient avec 7.000 malades.

Trébéron, une fois de plus isolée, servit de centre médical.

 

En 1809, 964 galeux étaient transportés dans le bâtiment principal de Trébéron.

 

Enfin en 1813 on reprenait les travaux d'agrandissement qui se poursuivirent en 1818.

Mais cela n'était pas encore suffisant, et l'on s'en aperçut lorsque, en 1825, l'escadre de Jurien de la Gravière rentra des Antilles encombrée de malades.

De 1826 à 1832 de nouvelles constructions étaient faites.

 

Les crédits qu'on réservait chaque fois à ces « agrandissements » étaient tellement limités que l’importance du lazaret ne s'accroissait guère.

Et puis, ne devait-on pas en affecter la plus grosse part à la réfection des bâtiments déjà existants ?

 

De 1856 à 1858 on refait quatre salles longues de 80 mètres destinées aux soldats et aux marins, dont les façades étaient crevassées au point de laisser pénétrer le vent et la pluie.

C'est, alors qu'on entreprit de donner  l'îlot un caractère plus attrayant en y faisant des plantations et des semis de pins et de sapins.

 

Les arbres ont poussé.

Sur les navires on est mieux armé pour lutter contre les épidémies et l'on sait éviter les ports où sévissent les maladies contagieuses grâce à la rapidité et à la sûreté des informations.

 

Le lazaret ne semblait plus être de grande utilité quand en juin 1909 on résolut de faire de Trébéron un sanatorium.

Une première tentative de cure était faite sur vingt-trois bacillaires durant cet été.

 

On obtient, dit M. le docteur Cazamian dans un rapport très documenté sur le fonctionnement du sanatorium pendant, le premier trimestre de bons résultats thérapeutiques et prophylactiques.

 

« Certes, il serait bien téméraire de penser que la modeste installation de fortune créée à Trébéron pendant, l'été de 1909 soit capable, à elle seule, de révolutionner les usages reçus, mais nous croyons fermement, que l'idée qui a présidé à son établissement sera féconde. »

 

Pourtant une deuxième tentative faite dans le même sens depuis lors n'a pas été poursuivie.

 

Et Trébéron, une fois de plus, semble abandonnée de tous.

Serait-on, faute des crédits nécessaires à l'entretien, contraint de restaurer de fond en comble les beaux bâtiments qui s'y dressent si l'on se trouvait un jour dans la brusque nécessité de les employer ?

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